Chapitre 7

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Je fulmine. Pour qui se prend-t-il? Comment peut-il être aussi sûr de lui? Croit-il que je vais me comporter comme l'une des groupies qu'il ne doit pas manquer de collectionner?

 Je m'appelle Mathias, retiens ce nom, j'ai l'intention de te l'entendre dire très souvent à partir d'aujourd'hui.  

Dans tes rêves.

Le cours de littérature comparée a commencé depuis bien dix minutes. Je rentre par l'arrière de la salle sur la pointe des pieds et me glisse dans les gradins en ignorant le regard réprobateur du professeur qui s'attarde sur moi. Luka s'étonne de me voir passer juste devant lui pour me glisser près de Sam, mais j'ai à lui parler.

- Traîtresse! Tu m'as abandonné! Je chuchote sur un ton de reproche.

- Faux, répond-t-elle sans même lever les yeux de son ordinateur. Je t'ai rendu service ma vieille. Quand un mec canon mate les fesses de ta copine avec autant d'insistance et que par chance elle lui rentre dedans, le devoir d'une vraie amie c'est de savoir s'éclipser.

Je déglutis. Ah, il matait mes fesses? Intéressant...

- Tu ne m'as pas demandé mon avis! Peut-être qu'il ne me plait pas!

Elle pouffe.

- Il fallait voir la manière dont tu le dévorais des yeux, on aurait dit que tu allais le manger tout cru! Ou alors c'est parce que tu es plus en manque que je ne l'aurai pensé...

Je lui donne un coup de coude dans les côtes.

- N'importe quoi! Je rugis.

Luka sursaute et plusieurs élèves se retournent vers nous. Le professeur a cette fois pour moi un regard clairement hostile, il semble hésiter entre sa petite tranquillité d'universitaire qui fait son boulot sans s'impliquer et l'agacement croissant qu'il commence à éprouver à mon égard. Je devine qu'il ne me laissera pas perturber le cours une troisième fois sans rien dire.

Sam serre ses lèvres pourpres en un sourire crispé pour s'empêcher d'éclater de rire, ses joues sont gonflées comme celles d'un hamster et quelques spasmes parcourent son corps. Je croise son regard pétillant et c'est tout de suite communicatif: je sens monter dans mon ventre ce sentiment d'hilarité qui grimpe et menace d'exploser dans ma gorge, alors je grimace à mon tour. 

- N'importe quoi, je répète dans un murmure en reprenant mon calme. Et puis les gars arrogants et irrespectueux dans son genre ce n'est pas ma tasse de thé.

- Je ne te dis pas de te maquer avec, mais un petit coup vite fait ou juste un flirt ça pourrait te faire du bien. Tu te souviens de ce que je t'ai dit tout à l'heure? Eh bien ce mec est peut-être tombé du ciel au bon moment! Peut-être que l'Univers nous a entendu et qu'Il t'envoie ce bel étalon!

- Mouais...

Je réfléchis à ses paroles, pas très convaincue. Il faut bien admettre qu'un si beau garçon en tant que substitut ça vend du rêve, je n'ai pas à me plaindre. Il y a une part de moi qui se grise d'être désirée ainsi et qui se complaît dans quelques fantasmes pervers inavouables... Mais mon petit côté romantique se refuse à me comporter en objet sexuel pour un bellâtre, alors qu'il y en a un autre tout près qui semble avoir été fait juste pour moi. Je jette un œil à Luka qui griffonne sur sa feuille l'air absent, je comprends aussitôt qu'il écrit un poème. Il compte les vers sur ses doigts, sa bouche forme parfois des mots inaudibles et ses sourcils se froncent. J'aime terriblement cette petite tête là.

*

Le reste de la journée se passe assez paisiblement, même si je peine à me concentrer sur les cours tant je pense à ce Mathias. Non à Mr. Crâneur, pas question de l'appeler par son prénom!

Je sors de mon dernier cours à dix-huit heures, Luka sur les talons.

- On va chez toi? Me propose-t-il.

- Ok, si tu promets de me montrer le poème que tu as écris en littérature comparée.

- Ah tu m'as vu, dit-il en se grattant la tête avec l'air d'un de quelqu'un pris sur le fait.

- Evidemment je te connais par cœur.

- Quand tu n'es pas à côté de moi pour me rappeler à l'ordre, je suis incapable de ne pas laisser mon esprit vagabonder...

Je ne lui dis pas que moi aussi aujourd'hui j'ai eu beaucoup de mal à être la petite Sarah sérieuse que tout le monde connait.

Nous arrivons près d'un fast food qui longe l'arrêt de bus. J'ai une envie dévorante de milk-shake, mais cette pensée pourtant obsédante s'évapore en un instant telle une bulle qui éclate et je tourne la tête comme si tout mon corps était aimanté vers un seul point. Alors je le vois: le filou qui a occupé mon esprit toute la journée. Je l'aperçois au loin accompagné d'autres garçons que je ne connais pas.

Le bus arrive à cet instant et Luka me tire par la manche pour m'entraîner avec lui. Mes pieds refusent de bouger, je m'entends dire:

- Luka, est-ce que ça te dérange de prendre le bus tout seul? Je prends le suivant, tu n'auras qu'à m'attendre pendant un petit quart d'heure chez moi, tu as les clefs.

Il me regarde incrédule.

- Pourquoi?

- Je dois... acheter un truc, je viens de me souvenir.

- Je peux venir avec toi!

- Non, non... Vas y, tu pourras peaufiner ton poème avant de me le montrer comme ça.

- Ok...

Il n'insiste pas mais je sens bien que ça le contrarie de voir que je ne lui dis pas toute la vérité. Il monte dans le bus qui démarre quelques secondes plus tard. Pourquoi est-ce que je ne suis pas montée dedans? Qu'est-ce que je compte faire au juste? Je n'en sais foutrement rien! 

Je me dirige vers le fast food et le contourne, ils ne sont plus là. J'attends. Quoi? Je ne sais pas. Je regarde autour de moi comme une idiote.

Puis mon regard se porte sur un immense magasin d'une enseigne de chaussures: devant le bâtiment morne et grisâtre, un garçon d'une vingtaine d'années fait le pied de grue. Il me semble l'avoir vu avec Math...  avec Mr. Crâneur tout à l'heure. Il est fin mais nerveux, ses cheveux sont très noirs et drus, il fume une cigarette en regardant autour de lui d'un air faussement détaché mais tout son corps semble à l'affût, dès le premier coup d'œil je trouve ça étrange. Je décide de m'approcher comme le ferait une cliente, il me dévisage, je fais mine de ne pas m'en rendre compte et d'envoyer un message sur mon portable en continuant de marcher. Il me bloque soudain le passage. Je le regarde interloquée.

- Vous n'avez pas le droit de passer derrière le magasin madame.

- Depuis quand?

- Maintenant, répond-t-il avec un curieux mélange de courtoisie et de menace. Nous sommes en train d'approvisionner la réserve.

- Je ne vois pas de camion.

Je ne sais pas pourquoi j'insiste bêtement comme ça, quand il est évident que ce mec me monte un bateau, que cette histoire ne sent pas bon du tout et qu'il vaut mieux que je tourne les talons illico.

Il garde le silence, me foudroyer de son regard noir lui apparaît comme une réponse suffisamment dissuasive et il a raison. Je m'éloigne, enfin raisonnable, et retourne au fast food où je commande ce fichu milk-shake. Lorsque je sors, mon verre en plastique à la main, j'aperçois le grand blond et ses acolytes sortirent de derrière le magasin, j'avais raison. Je n'avais pas remarqué lors de nos deux précédentes rencontres combien il était musclé, son tee-shirt rouge cerise moule ses bras et ses pectoraux à la perfection. Il se masse les poings, l'air terriblement sérieux, intimidant même, je reconnais à peine le garçon taquin qui m'a dragué ce matin.

Et malgré la distance, son regard croise soudain le mien.

IndicibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant