Chapitre 3

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Je  reste un long moment encore contre lui. Son corps épouse le mien comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. Ses grandes mains enrobent mes hanches avec fermeté. Il me semble sentir son bassin se coller au mien un instant. Une fulgurante montée de désir grimpe entre mes reins et diffuse dans tout mon corps une frustration presque animale.

J'ai subitement envie d'envoyer voler tous les verres qui encombrent cette fichue table derrière nous, d'y poser mes fesses et d'attirer Luka entre mes cuisses, de déboutonner sa chemise et passer mes mains sur son torse nu...

Avant que j'ai le temps de poursuivre mes divagations, il me repousse soudain avec douceur et me contemple, une certaine gravité dans le regard. Puis son visage s'illumine d'un sourire un peu fier.

- Alors? Est-ce que je devrais le mettre dans notre recueil?

Je me racle la gorge, un peu gênée par les images qui me venaient en tête juste deux secondes auparavant.

- Oui je pense que tu devrais, je réponds, espérant qu'il n'entende pas la tension dans ma voix.

Luka hausse un sourcil, je ne sais pas quelle tête j'affiche à cet instant mais il a l'air de se demander si je vais bien.

- J'ai vraiment adoré, je rajoute avec sincérité. Quand l'as-tu écris? On a passé quasiment tout notre temps libre ensemble cette semaine!

- Quand tu t'es endormie mercredi soir sur nos cours d'histoire de la littérature! T'avais un peu de bave sur le menton, tu étais mignonne comme tout! Se moque t-il.

Tout à l'heure j'étais trop troublée pour que mon cerveau fonctionne normalement... Mais maintenant une pensée me traverse l'esprit: serait-ce moi le petit ange de son poème? Après tout, et à ma grande satisfaction, Luka n'a jamais manifesté le moindre intérêt pour une autre fille que moi. Je ne lui connais aucune petite-amie depuis Coline en deuxième année de lycée. C'était au début de notre rencontre. Il y a bien euh... quatre ans?! Fichtre! Est-ce possible pour un garçon sain de corps et d'esprit?!

Je décide d'éluder sa remarque.

- Ah je vois que le moussaillon s'amuse bien quand le capitaine quitte le navire!

- Prends ça pour de la loyauté! Je ne voulais pas risquer d'obtenir une meilleure note que toi au contrôle, ton petit côté bêcheuse ne l'aurait pas supporté! 

Il a sa mine de sale gosse. La situation redevient à peu près normale. Enfin autant qu'elle peut l'être. Je commence à reprendre mes esprits.

- Tu as eu raison d'utiliser ce temps pour écrire, au moins ça t'aura permis de faire quelque chose de bien! Je ne suis pas sûre que j'aurai pu en dire autant si tu avais révisé... Rappelle-moi combien tu as eu au dernier contrôle?

Luka fait signe de se prendre une balle en plein cœur.

- Ouch! Touché! Tu es dure!

Il rit et se garde bien de répondre à ma question. Mais je sais déjà.

Quelqu'un lui tape sur l'épaule, il se retourne et salue une fille. Et merde. Alexia. Voilà une éternité que je vois cette morue tourner autour de Luka... Et même s'il ne rentre pas dans son jeu, ça m'agace de le voir se laisser faire.

- Pas de chance ma vieille, me susurre Sam à l'oreille.

Je sursaute. Elle a vraiment l'œil partout cette fille.

- Peuh! Comme si j'avais peur d'elle! Il mérite mieux qu'un têtard à lunettes à la voix de crécelle!

- Oui à sa place j'aurai déjà fait mon choix, dit Sam d'une voix sucrée.

Elle dépose sur ma joue un long baiser appuyé pour y laisser sa marque. Je jette un coup d'œil à l'un des grands miroirs fixés aux murs du Paradis. C'est du plus bel effet. On dirait presque un cœur noir sur ma peau diaphane.

Je reprends ma pinte toujours abandonnée sur la table et je la cogne contre celle de Sam avant de la porter à mes lèvres. L'amertume de la bière vient se mêler à l'amertume que j'ai déjà coincée au fond de la gorge. Je me sens un peu nauséeuse. Le liquide frais ne parvient pas à me rafraîchir les idées. Il ne parvient même pas à étancher ma soif et je finis cette pinte plus vite que je ne l'aurais cru. J'en commande une autre que je bois tout aussi vite.

Un garçon aux cheveux longs et gras vient m'aborder.

- Je peux t'offrir un verre ma belle? Demande t-il d'une voix qu'il essaie en vain de rendre suave.

Il me sourit. Je remarque qu'il lui manque une dent. Une incisive en plus.

- Oui, je m'entends répondre avec étonnement.

En général je refuse toujours mais là j'ai terriblement soif. Il me ramène une vodka Red-Bull. Je déteste ça. Je la bois en grimaçant mais elle finit dans mon gosier en deux ou trois gorgées.

Les bruits me semblent assourdis. D'ailleurs le mec édenté me parle mais je l'entends à peine. Je fixe bêtement sa bouche. Puis ennuyée, je le laisse en plan, sans doute au milieu d'une phrase.

Le Paradis est comme un bateau en haute mer. Le sol tangue, les gens et les tables aussi. Les couleurs sont plus vives mais les contours plus flous. Je trébuche. Un bras puissant me rattrape.

Luka?

Le corps encore renversé en arrière, je lève la tête vers mon sauveur. Non il ne s'agit pas de Luka mais d'un garçon qui a cet instant me parait vraiment immense. Environ deux mètres je dirais, même si dans mon état je me trompe peut-être. Ses cheveux blonds, mi-longs, encadrent ses prunelles d'un bleu limpide mais intense. Sans doute à cause de l'alcool, je me perds plus longtemps que de raison dans son regard. Mais je réalise soudain que sa main me tient sous le sein, alors je le repousse un peu trop violemment peut-être, ce qui me fait à nouveau chavirer. L'inconnu m'attrape par les épaules pour me remettre sur pieds.

- Tout va bien?

Sa voix est très grave. Un peu rauque.

- Oui... Je balbutie. Merci...

Il me sourit. Enfin je crois qu'il s'agit d'un sourire, car il l'esquisse à peine, mais je le devine. 

C'est le moment que choisit Luka pour arriver.

- Sarah, est-ce que ça va?

Il a son air inquiet. L'inconnu répond à ma place.

- Tu devrais emmener ta petite-amie s'aérer dehors et même la ramener chez elle, à mon avis elle est cuite!

- Oui je m'en occupe, réponds Luka avec une expression insondable.

Il me prends le bras et commence à m'entraîner vers la sortie.

- C'est pas mon petit-ami, je proteste d'une voix pâteuse.

Je ne sais pas pourquoi j'ai tenu à le préciser, mais même le corps complètement engourdi par l'alcool, ça m'a fait un peu mal de le dire.

Je ne me souviens pas vraiment du trajet qui nous a mené jusqu'à chez moi, mais je me doute qu'il n'a pas dû être facile pour Luka. 

Il essaie de me faire doucement basculer sur le lit mais je tombe comme un sac. Gracieuse comme toujours. Il fait glisser mon pantalon sur mes chevilles mais ça bloque aux pieds: je porte un slim. Je ne l'aide pas, je ris à gorge déployée, comme une débile. Il se démène et finit par réussir à me le retirer, je me demande soudain quelle culotte j'ai bien pu mettre... Je n'ose pas vérifier. Je sens qu'il hésite à déboutonner ma chemise mais qu'il abandonne l'idée. Il rabat la couette sur moi, m'embrasse sur le front et se relève. Je lui prends la main.

- Reste, je le supplie.

Il me fixe quelques secondes et me rejoint.  

IndicibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant