Chapitre 4

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Je me réveille en sentant avec délice sa chaleur, le poids de son corps sur moi, sa tête dans le creux de mon cou. Mon homme. Je l'étreins avec ferveur. J'enroule mes jambes autour de sa taille. Je l'embrasse à pleine bouche. Ma langue cherche sa langue mais... Mais je réalise soudain que je mâchouille ardemment un bout de tissu trempé! 

J'ouvre les yeux et je tressaille aussitôt. Mon cœur fait des cabrioles dans ma poitrine. J'étais en train de rouler des pelles à mon traversin! Je l'éjecte hors du lit. Un peu honteuse, bien qu'il n'y ait pas de témoins. Je regarde tout autour de moi: je suis dans ma chambre, seule. Quelque chose ne colle pas. Je ne suis pas folle! Hier Luka et moi nous avons...

Mes yeux se posent soudain sur un papier laissé bien en évidence sur ma table de chevet.

" Bonne nuit ma petite marmotte! 

J'espère que tu n'auras pas trop mal au crâne demain...

LUKA

PS: en plus de baver, tu ronfles!"


Je reste assise sur mon lit, la bouche béante et les bras ballants, abasourdie.
Non seulement j'ai eu Luka dans mon lit, mais plutôt que d'en profiter, je n'ai rien trouvé de mieux que de bêtement m'endormir pour faire des rêves érotiques en ronflant comme un ours et, cerise sur le gâteau, je me suis réveillée en train de bécoter ma literie!
Un profond désespoir m'envahit, mon corps semble peser dix mille tonnes. Je voudrais ne plus jamais sortir de mon terrier... Je pourrais vivre de belles histoires d'amour par procuration avec la pile de romances érotiques qui s'amoncellent près de mon lit et me nourrir de nouilles instantanées et de pizzas surgelées.

Ce programme me convient bien mais on est samedi et j'ai promis à mon père de manger avec lui ce midi. C'est à dire dans une demi-heure, je constate démoralisée. J'aurai volontiers décommandé mais il avait l'air d'y tenir beaucoup. Je ne suis pas idiote, j'ai bien compris qu'il avait quelque chose à me dire. Je soupçonne une femme là-dessous.

Je me lève sans entrain et me dirige vers la salle de bain. Je saisis ma brosse à dents et LE CHOC! J'ai du mal à me reconnaître en me confrontant à mon reflet dans le miroir. Dire que cette nuit je me sentais comme une déesse du sexe dans les bras de mon Luka virtuel... Il faut bien se rendre à l'évidence: le retour à la réalité est cruel.

Ayant évidemment omis de me démaquiller hier soir, je ressemble à un panda avec les deux énormes taches noires qui encerclent mes petits yeux ensommeillés. Ma peau est blanche comme de la craie, mes cheveux en broussaille. Je pourrais presque participer à une Zombie Walk sur le champ. Pour ne rien gâcher j'ai un joli bouton rouge sur le menton, annonciateur d'une super semaine de fluctuation hormonale.

Le week-end commence vraiment bien.

- Tu es en retard, me fait remarquer mon père.

Je me retiens de ne pas lâcher un juron de mon cru. Il n'a rien fait le pauvre pour que je défoule mes nerfs contre lui.

- Oui je me sentais un peu patraque ce matin, je prétexte.

- De l'eau chaude avec du citron, il parait que c'est bon pour soigner la gueule de bois! Me répond t-il avec un clin d'œil appuyé.

Denis, quarante-sept ans, mon paternel dans toute sa splendeur. Je ne peux décidément rien lui cacher... Comment fait-il pour toujours tout deviner à mon sujet? C'est encore un mystère. Je vais me contenter de penser que c'est la preuve que je suis bien sa fille.

- Je vais peut-être en prendre alors, je dis avec un sourire mi-fautif, mi-complice, comme pour confesser mon petit écart de conduite.

Il rit. Il doit croire que je me suis follement éclatée hier soir, que je suis une fêtarde comme lui quand il était jeune. Quand il portait des blousons en cuir et des pulls rayés, comme sa bande de copains rebelles, tous un peu gras du bide maintenant. Quand ma mère était encore une fille pleine de vie et belle à tomber par terre. J'aurai tellement aimé lui ressembler. Evidemment ils étaient tous fous d'elle, mais c'est mon père qui l'a eu. Il n'a jamais compris pourquoi mais il n'a pas manqué de saisir sa chance et de la garder. Tant qu'il a pu.

On se met à table. Et tandis que je me sers une part de polenta, mon père se racle la gorge un peu bruyamment. Il ne perd pas de temps.

- Sarah, je pense que c'est le moment de parler de quelque chose de très important pour moi et peut-être un peu pour toi aussi.

- Si c'est pour me dire que tu t'es trouvé une copine, c'est pas la peine de te fatiguer papa, j'avais compris!

Il reste stupéfait. Je jubile. Et vlan! Ça c'est pour avoir fait ton malin tout à l'heure! Tu n'es pas le seul de la famille à être intuitif! Il laisse échapper un petit rire.

- Oui tu as raison, c'est bien de cela dont je voulais parler. Alors... Tu n'as rien contre le fait que je fréquente quelqu'un?

- Papa, ça fait quatre ans que maman nous a quitté, tu as le droit de passer à autre chose. Je peux comprendre, je suis adulte. Je ne vais pas en faire tout un drame comme dans les séries télé pour ados!

Il soupire de soulagement.

- Est-ce que tu aimerais la rencontrer? Demande t-il avec espoir.

- Si ça peut te faire plaisir, j'en serais ravie.

Il se lève soudain tout guilleret pour aller chercher sa sacoche et sort de son portefeuille une photographie rangée précieusement près de celle de ma mère.

- Elle s'appelle Carole. Elle a une fille qui a environ ton âge.

J'examine les deux visages féminins qui illustrent le cliché qu'il me tend. Le premier est celui d'une femme, jeune quarantenaire selon moi, aux cheveux longs, d'un brun soyeux, plein de reflets comme dans les publicités pour shampoings. Ses yeux sont grands et doux, couleur chocolat. Elle a une bouche en cœur, avec l'arc de venus et la courbe de sa lèvre inférieure bien dessinés. Son teint un peu hâlé. Je remarque qu'elle a aussi un long cou de cygne et de jolies mains fines. Décidément mon père attire les belles femmes. Je me sens un peu fière de lui tout à coup.

Le deuxième visage ressemble à s'y méprendre au premier, en plus jeune et plus pétillant. Les mêmes prunelles chocolats avec une lueur plus malicieuse dans le regard, la même jolie bouche à la moue boudeuse, le même cou gracile, les mêmes épaules délicates... A la différence près que la jeune fille a coupé ses cheveux très courts et les a teint en blond platine, qu'un joli grain de beauté vient orner sa joue gauche et qu'elle a fardé ses yeux très lourdement, je la soupçonne même d'avoir mis des faux-cils, ce qui lui donne un regard de poupée.

- Et voilà Edith. Elle est parisienne et je pensais que tu pourrais l'aider à s'intégrer un peu ici. Elle a une relation très fusionnelle avec sa mère, alors elle a choisi de la suivre. Mais bon tu penses bien que ce n'est pas facile pour elle de changer aussi radicalement de vie. Elle va aller à la fac de La Garde, comme toi.

- Ok...

Je n'ose pas le contrarier mais ça n'était pas vraiment dans mes projets. On ne peut pas dire que je sois un modèle de sociabilité. 

Finalement cette histoire va peut-être m'ennuyer plus que prévu...  

IndicibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant