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CADENCE

Mon père est un sujet tabou, la seule personne avec qui j'ai jamais réussi à en parler est Amelia. Ils nous est arrivé parfois de l'évoquer pendant de longues heures, d'en faire des insomnies. On aimait se l'imaginer, avait-il les yeux bleu comme moi? Petit ? Grand ? Est-ce qu'il avait une famille ?
Ma mère m'a donné une fois une photo d'elle, jeune , un bras d'homme sur les épaules.
《Quand ton père et moi avons été séparé, nous avons pris chacun la moitié de notre photo. Si un jour , il nous arriverais de nous recroiser, nous serons comment être certain l'un de l'autre》
Elle m'avait laissé emporter la petite photo, ma mère avait des yeux pétillant et à l'arrière il y avait son nom , Ella, et un & coupé en deux censé la relier à mon père.
Dans l'enveloppe d'Amelia , il y avait l'autre moitié et l'emballage d'un préservatif de la marque 《Boom》.
Je n'arrivais pas à comprendre, comment Amelia avait-elle trouvé cette photo ?
Perplexe, j'ai retourné la photo et le nom de Carter était écrit au dos.

《 Eros, attends !》

Mes jambes ne me supportaient plus, j'avais besoin de m'asseoir, de respirer calmement, d'avoir les idées claires. Visiblement, il ne m'a pas entendue, les écouteurs dans les oreilles il marchait dans un sillon droit et ses épaules était tendue, quelque chose clochait avec lui.

《EROS !》

Le grand garçon s'est retourné, ses lèvres formaient une ligne droite à l'instar de ses sourcils.

《Comment t'as eu ça ? Comment tu connais Amelia ? Pourquoi tu te manifeste maintenant putain ! Mais qu'est ce que t'a dans la tête ! Amelia t'a probablement donné ça lorsqu'elle était en vie , tu savais ce qu'elle allait faire...》

Ça m'a frappé comme ça, il était au courant, il l'avait toujours été. Le seul moyen de me canaliser a été de m'emprisonner dans un mutisme pendant tous ces mois. Je refusais de croire qu'il était arrivé quelque chose à ma meilleure amie, je la pensais lâche, je me trompais.

《Cadence rentre chez toi, il fait nuit noire》

Son pied tappait le sol nerveusement, en psychologie on nous apprends à étudier le langage corporel. Dans ma classe, il n'y est que moi qui sache interpréter.

《J'en ai rien à foutre》

J'ai murmuré cela pour moi même mais Eros l'a entendu et il a semblé blessé.
Ses longues enjambées lui ont permis de se retrouver face à moi en un laps de temps plutôt court et je pouvais voir l'éclat de la lune dessiner ses traits.

《Qu'est ce que tu veux savoir ?》

Des poches violacés logaient sous ses yeux, manifestement il n'avait pas dormis depuis un bon bout de temps.
《Tout. Absolument tous ce que tu sais》

*

Le banc sur lequel nous avions trouvé refuge n'était pas exposé. Un seul lampadaire permettait de nous observer, même si pour ma part je m'en foutais pas mal. La froideur de la nuit me fis resserer ma veste , je voulais en finir vite avec cette histoire.

《Tu vois la boîte près de la sortie de Fargue ? À River ?》

C'était une boîte pas très fréquentable où bon nombre de rumeurs circulaient. Des prostitués, des viols, des traffics d'organes, tous un tas de trucs que je me passerais de voir , où même des trucs inimaginable que je ne pourrai associer à Amelia.

《Eros, est-ce que tu essaie de me dire que c'est là bas que t'as rencontré Amelia ? Parce que tu sais comment était Amelia ? C'était pas son genre du tout.》

Ses yeux se sont assombris tout à coup, en pinçant les lèvres de nouveau -un peu trop fort cette fois ci- des fossettes ont creusés ses joues.

《Manifestement, tu ne connaissais pas Amelia》

Ne pas la connaître ? Je suis sa meilleure amie, comment je pourrais ne pas la connaître ? Ce mec est complètement con, il est tombé à la naissance ou quoi ? J'ai secoué la tête, il était inconcevable qu'il tienne ce genre de propos.

《Mon frère fait des trucs dont je suis pas très fier, et il m'est arrivé plusieurs fois de venir le chercher dans cette boîte. 》

Je ramène mes genoux contre ma poitrine, toujours incrédule.

《 Une fois, il m'a appelé et je suis partie le chercher》
《Mais t'as pas le permis, je t'es jamais vu conduire au lycée》

Eros soupire lourdement et positionne sa tête dans sa main droite. Comme ça, il n'y a qu'un côté de son visage qui est éclairé, l'autre plus sombre se fond parfaitement la pénombre.

《Et j'ai aussi fait des trucs dont je suis pas très fier, laisse moi finir.》

Il marque une pause, il attend que je lui confirme mon silence.

《Bon, quand j'y suis arrivé , l'un des amis de mon frère m'a dit qu'il s'était fait ramener chez lui. J'étais en colère et je suis rentré à l'intérieur, j'avais besoin de boire un truc. C'est là que j'ai vu Amelia, complètement saoule. Elle était en pleine séance d'échange de salive avec le barman.》

Amelia ?! Pas moyen.

《Je sais comment est Amelia d'habitude, je la voyais pas rester ici. Je l'ai traîné dehors et je l'ai ramèné chez elle. Après ça on a sympathisé, elle m'a remercié de l'avoir tiré de là. Elle m'a dit que c'était une longue histoire, que peut être elle me la raconterai un jour. 》

J'en revenais pas, elle est tellement calme et timide en temps normal, qu'est ce qui l'a poussé à faire ça ? Je comprennais rien. À cet instant, Eros était la seul certitude à laquel je pouvais m'accrocher, parce qu'il était réel, il était là , pas Amelia. Elle avait elle même décidé de ça en sautant de ce pont, nous étions impuissant désormais. La seule chose que je pouvais rétablir était la vérité.

《Est ce que... tu étais amoureux d'elle ?》

Ses muscles se sont contractés, il a lâché sa tête , son buste tourné vers moi.

《Amelia avait une condition, Cadence, elle la fermait pour mon frère et cette fille dont j'étais amoureux, et je la bouclais pour elle》

Cette discussion prenait un tournant étrange, Eros Thomas finissait par se confier à moi alors que la seule fois où nous nous côtoyons était au lycée, ce n'était pas mon ami et encore moins quelqu'un en qui j'avais confiance.

《Amelia a foutu cette enveloppe dans ma voiture le soir de son suicide, j'en savais rien je te jure, elle m'a juste laissé un mot en me disant de ne pas t'approcher avant six mois, où tu risquais quelque chose.》

Il y avait sur son air, quelque chose que je ne comprenais pas. Un sentiment que je n'arrivais pas à déchiffrer, ou peut etre que si, mais je ne voulais pas m'en rendre compte. C'est plus facile de nier le flagrant, la difficulté est une chose que je connais tous les jours, l'inverse me paraît improbable.

《Eros, c'est qui cette fille que tu aimes bien ?》

Je l'ai vu attraper son sac à ses pieds, triturer ses lèvres pulpeuses et me regarder dans les yeux.

《Toi》

AmeliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant