Je dévalai les rues de Rome à grandes enjambées. Derrière moi, les cris de mes assaillants devenaient de moins en moins audibles. J'en profitais pour reprendre mon souffle. Je m'arrêtai au milieu de l'immense place principale du quartier et posai mes mains sur mes genoux, la respiration haletante. Certes, je possédais un physique d'acier, mais subir ce genre de courses-poursuites presque tous les soirs de la semaine me rongeait jusqu'au plus profond de mon être. Une épaisse fumée blanche s'échappa de mes lèvres et des frissons parcoururent mon corps trempé de sueurs. Même si les journées de cette capitale grouillante étaient chaudes, les nuits, elles, étaient étonnamment glaciales. Je me redressai et contemplai les alentours. La place formait un immense cercle à ciel ouvert. Je levai la tête et contemplai la pleine lune. Elle était très grande, ce soir-là, et paressait presque palpable. Autour d'elle semblait danser des centaines d'étoiles dans un ballet de lumière bleue et orange.Trêve de rêvasser, il fallait à tout prix rentrer à la maison. Ce petit arrêt pourrait me coûter très cher. Sans plus attendre, les poches pesantes et les poumons toujours en feu, je repris ma course. Mais, comme mon instinct me l'avait clairement signalé, ce temps perdu me retomba dessus comme un coup de massue. Je ne fis pas plus de deux pas avant de m'arrêter net. Derrière moi, un soldat venait de dégainer son glaive.
- Tiens, tiens, tiens, déclara-t-il en ricanant. J'ai bien l'impression que quelqu'un ne se réveillera pas en un seul morceau demain matin.
Je pris une profonde inspiration et tournai les talons, désormais face à l'ennemi. Je pivotai légèrement la tête vers la droite et examinai l'homme planté en face de moi. Son regard semblait déjà savourer une victoire future. Il me fixa d'un air désolé en secouant la tête et en parcourant mon corps de ses yeux pétillants. Qu'avait-il à l'esprit ? Était-ce de la pitié ? Du désir ? Ou tout simplement de la perversion ? Je crispai la mâchoire. Pourquoi les gens se permettent-ils de juger quelqu'un par rapport à ce que contient son entrejambe ? J'aimerais hurler à ce jeune soldat que je n'ai jamais subi de défaite au combat ! Que j'ai reçu un apprentissage des techniques martiales des plus efficaces ! Que je ne le laisserai jamais me toucher ! Ni pour me souiller, ni pour m'enlever la vie ! Mais je ne suis pas idiote et ne fais que continuer mon analyse. Son armure de fer brillait au contact de la lumière que produisait la torche qu'il tenait dans sa main. Une longue cape rouge lui tombait jusqu'aux chevilles et un casque munis d'une haute crête lui surplombait la tête. Une jupe de latte en cuir lui recouvrait les cuisses jusqu'au genou. Les jambes écartées et le glaive pointé devant lui, le soldat était prêt à attaquer. Un léger sourire survola mes lèvres.
- J'en ai peur, répondis-je d'une voix rauque.
Sur ce, je projetai mon pied sur la main armée de l'homme et fis valser son glaive dans les airs. J'attrapai l'arme en vol, tournai sur moi-même et, d'un coup vif, trancha la gorge de l'inconnu. Je sentais d'ici la chaire de son coup se séparer et l'incontrôlable flot rouge s'échapper de sa blessure.Le soldat poussa un cri strident et prit sa gorge entre ses mains tremblantes, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte. Il tomba à genoux devant moi et, après quelques secondes, s'écroula face contre terre, gisant dans une marre de sang. Je lançai le glaive sur son corps inanimé et repris ma course à travers les rues sombres et désertes, les poches toujours remplies de provisions.
- Encore un, murmurai-je dans la foulée.
Je courais droit devant, m'enfonçant de plus en plus dans les entrailles du quartier. Arrivée devant un grand bâtiment en pierre, je m'accroupis et frappai six fois contre la trappe devant mes pieds. Cette dernière se déverrouilla rapidement. Je descendis quatre marches étroites et refermai à clé. La cave qui nous servait d'abri était faite de pierres grises et poussiéreuses du sol au plafond, éclairé par une simple bougie de cire. J'aurais aimé leur offrir un toit digne de ce nom. Une vraie maison avec une grande porte et des fenêtres immenses. J'aurais aimé les voir s'asseoir devant une longue table de bois avec, sous le nez, un repas fumant et copieux. Oh, que j'aurais aimé les rendre heureux ! À mon grand désespoir, la vie en avait décidé autrement.
Devant moi, quatre petits yeux me fixaient avec impatience. Mon magnifique petit frère, Virgile, était âgé de dix ans. Mon grand gaillard m'arrivait déjà en bas de la poitrine.Comme mon père, il avait de beaux cheveux courts et noir comme l'ébène. Je le fixai en souriant. Comme ma mère, ce dernier avait de grands yeux noisette. Ma précieuse petite sœur, Octavie, avait à peine cinq ans et était le portrait crachée de ma défunte mère, omis son nez long et fin qu'elle tenait de son patriarche. Elle avait de grand yeux en amande ainsi que de longs cheveux châtain clairs et bouclés. Son visage était rond et potelés, et ces pommettes rose comme une fleur sauvage. Je souriais et les prirent tous deux contre mon cœur.Une chaleur délicieuse envahit mon corps fatigué.
- Tu en as ? demanda Octavie, ne tenant plus en place. Tu en as ?
Sans plus attendre, je vidai entièrement mes poches. J'en extirpai du pain, du raisin et du fromage. Les petits se jetèrent sur la nourriture tels des lions affamés, riant aux éclats. Les voir heureux et souriants me submergea de joie. Que serai-je devenu sans eux ? Ils étaient ma seule et unique raison de vivre. Mon moteur. Mon oxygène. Combien d'hommes avais-je dû tuer pour nourrir ma famille et la protéger ? Je savais que ma vie ne se résumerais qu'à voler et à fuir, et ce jusqu'à la fin.
Je rejoignis les couvertures entassées au coin de la petite pièce que les enfants appelaient « lit » et m'y jetai de tout mon long. Virgile s'approcha de moi et me tendit le dernier morceau de pain. Je fis «non» de la tête.
- Mange, déclarai-je, ne t'occupe pas de moi.
Octavie souffla sur la bougie, plongeant la cave dans le noir complet. Le ventre désormais plein, les enfants me rejoignirent dans le lit. Virgile plaça sa tête sur mon ventre et Octavie se blottit en dessous de mon aisselle. Je posai un baiser sur leurs têtes.
- Julia ? Demanda Virgile, tu peux dire à ton ventre d'arrêter de grogner ?
- J'essaye, répondis-je en riant, mais il ne m'écoute jamais.
- Un jour, je serais comme toi, ajouta le petit.
- Chut, chuchotais-je en lui caressant les cheveux, ne dit pas de bêtises. Dors.
- Je te le promets.

VOUS LISEZ
ULTIMUM
AdventureJ'avais tout vécu. J'avais fait face à la mort, à la faim, à la pauvreté, mais rien n'aurait pu me préparer à ce qu'il m'attendait dans cette arène remplie d'hommes assoiffés de chair. Seule, ou presque, face à un système tyrannique rongé par la cru...