Chapitre 4

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Ce fut la nuit la plus noire de sa vie bien qu'elle fût blanche. Patrick n'avait pas fermé l'œil et pensait sans cesse à cette scène. Maintes fois il avait tenté, en vain, de recontacter la jeune fille qui ne verrait plus jamais le soleil se lever. Au matin, dépité, il décida d'aller à l'école et de tenter d'oublier cette sombre histoire, après-tout, peut-être avait-il rêvé ? Une longue journée l'attendait car le manque de sommeil l'empêchait de se concentrer et certains de ses camarades lui firent remarquer son visage marqué par la fatigue. Il répondit qu'il avait lu une bonne partie de la nuit, n'arrivant pas à dormir.

Le soir venant, sur le chemin de retour au foyer, il décida d'essayer de contacter une dernière fois Anaïs et s'il n'avait pas de réponse, alors tant pis, il passerait à une autre fille. Par chance, il avait gardé le contact avec les autres candidates qui lui avaient répondu. Ainsi il dîna rapidement avec ses parents et prétexta la fatigue pour aller se réfugier dans sa chambre bien décidé à avancer dans sa quête de l'amour. Si pressé ce jeune homme qu'il ne pensa pas à regarder le journal télévisé, et pourtant... Ses parents furent choqués d'apprendre qu'une jeune fille avait été assassinée dans la banlieue et, fait troublant, il n'y avait pas de traces d'effraction. La porte d'entrée et les fenêtres étaient fermées et bien que clamant leur innocence, les parents étaient en garde à vue. Ainsi allait la justice, aveugle et droite.

— Tu te rends compte, cela s'est passé à Gagny ! dit la mère de Patrick.

— Dire que mon frangin y a habité pendant cinq ans, ça se dégrade de plus en plus le 93, répondit son mari.

— Tu as raison, ici, au moins, on n'a pas de tels fous.

— Remarque, c'est peut-être un des parents qui a fait le coup, ils l'ont précisé, conclut le père.

Puis les parents attendirent avec impatience leur moment préféré, le bulletin météorologique, ils avaient déjà oublié cette sordide affaire.

Patrick, dans sa chambre, décida d'envoyer un message à une fille dont le profil semblait proche du sien. Son physique lui plaisait et il avait toujours eu un faible pour les blondes aux yeux bleus. Elle était un peu plus vieille que lui mais qu'importe, son père avait bien deux ans de moins que sa mère, ce qui ne les avait pas empêchés de filer le parfait amour depuis toutes ces années. Il hésitait encore un peu, pensant à cette Anaïs et se demanda même s'il n'avait pas été victime d'une sorte de canular. Une mise en scène pour permettre à la jeune fille de s'éclipser et sûrement de s'amuser avec d'autres victimes dans le futur. Après tout, elle aurait pu demander à un ami de jouer le rôle de l'agresseur et le tour était joué. Il avait entendu tellement d'histoires plus ou moins bizarres qui se passaient sur la toile. Il décida d'aller de l'avant et de contacter une autre fille, il avait la vie devant lui et elle était trop courte pour se prendre la tête avec une mauvaise blague.

Un de ses amis virtuels sur Facebook lui avait parlé de ce site. Au début, elle n'y croyait pas, mais le caractère gratuit l'avait incitée à remplir une fiche et faire ensuite une recherche approfondie afin de trouver le garçon qui correspondrait le mieux à ses critères.

Elle se prénommait Angélique et avait 21 ans. Tous les matins, le miroir de la salle de bain reflétait une fille aux traits fins, les cheveux blonds, mi-longs, ondulaient sur les pointes, les yeux d'un bleu azur invitaient à sonder son âme innocente, quant à sa bouche, son rose pâle suffisait à donner l'envie d'y déposer délicatement ses propres lèvres. Ses amies l'appelaient Angel, parce que tout en elle faisait penser à ces anges gardiens qui viennent, un soir sombre, se poser sur votre épaule et vous donner le courage d'affronter l'adversité. Les garçons ne lui avaient pas donné de surnom, certains dans leur romantisme légendaire se bornaient à se dire qu'elle était trop bonne et sûrement inaccessible quand ils voyaient dans leur miroir leur face parsemée de boutons disgracieux. Cette jeune fille à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession ne cherchait pas à collectionner les conquêtes, qu'elles soient masculines ou féminines. Du haut de ses 21 printemps, elle souhaitait avoir le coup de foudre. Elle avait eu quelques aventures, histoire de voir comment cela se passait et pour ne pas paraître idiote auprès de ses camarades. Une fois elle avait même passé une soirée avec une copine, les deux filles s'étant amusées à échanger quelques baisers et caresses. Et maintenant elle se voulait exigeante, alors ce garçon qui lui avait envoyé ce message, elle allait le sonder. Sa description lui plaisait bien, il avait l'air sympa, sérieux, assez beau garçon et il était encore étudiant. Quant à elle, après avoir obtenu son BTS en secrétariat en juillet dernier, elle était sur le marché du travail, à la recherche de son premier job, les dizaines de CV envoyés depuis septembre n'avaient à ce jour rien donné. Cette inactivité commençait à peser sur son moral et ses parents tentaient tant bien que mal de la rassurer, la crise était là et pour une jeune fille, les premiers pas dans la vie active butaient sur les pierres de l'indifférence générale. Elle avait même pensé à postuler comme serveuse dans un fast-food célèbre et ses parents l'en avaient dissuadée. Alors elle continuait sa recherche tentant d'ouvrir nombre de portes fermées à clé.

En attendant, rien ne lui interdisait de trouver un petit ami et, qui sait, le grand amour. Elle ouvrit la fenêtre de dialogue et décida de répondre au message de ce garçon, comment s'appelait-il déjà, ah oui, Patrick.

Cela faisait plusieurs jours que Patrick conversait avec la charmante Angélique, une jolie blonde qui lui semblait plus mature et sérieuse que la précédente. Au départ, ils avaient échangé quelques courriels puis, chemin faisant, ils commencèrent à discuter via Skype, discussions par webcams interposées. Il était confiant et avait oublié sa mésaventure. Il espérait que bientôt, il pourrait concrétiser cette relation virtuelle devant un verre, ou, pourquoi pas, à la table d'un restaurant. D'ailleurs, il avait décidé de l'inviter à dîner, il attendait le moment propice pour lui demander. Un jeune homme concentré ne fait pas attention à son environnement, il sentit cependant un courant d'air dans son cou, comme un souffle glacial qui le fit frissonner, mais il ne prêta guère d'attention à cette bise froide et encore moins à cette ombre qui se dessinait derrière lui. Il vit son interlocutrice écarquiller les yeux et reculer de son écran, comme si elle avait aperçu quelque chose. Il n'eut pas le temps de se retourner, déjà les doigts étaient autour de son cou. Le souffle puis les forces lui manquèrent, pas un cri, pas un ultime sursaut de défense, son visage contre le sol, il vit le noir s'introduire dans ses yeux et son esprit. Au moment où il comprit, il sut que plus jamais il ne comprendrait.

Le programme signala à Angélique que la liaison était coupée, un dernier message s'afficha :

« L'enfer de Faust. »

La jeune fille ne se formalisa pas et pensa de suite que Patrick venait de lui jouer un sale tour, ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait avoir sur internet. Elle décida de signaler le profil sur le site comme indésirable. Décidément, elle n'avait pas de chance avec les rencontres virtuelles. Pendant quelques instants, elle se demanda si elle devait continuer à fréquenter le site en question et animée d'un espoir naïf, elle décida de se donner une deuxième chance, elle avait repéré un garçon qui lui plaisait bien et dont la photo l'invitait à le contacter.


L'enfer de FaustOù les histoires vivent. Découvrez maintenant