Chapitre 1

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"Mille vies ne sont pas suffisantes,Mille hommes ne sont pas assez forts".

Stephan Eicher, 1000 vies. 



Dehors, la ville était dévorée et obombrée par la nuit.Les lampadaires extérieurs tentaient vainement de rompre avec ce tableau opaque, mais l'éclairage donnait une allure secrète et mystérieuse, comme si une conspiration allait s'établir. Je sirotais mon café en attendant Lucie.

Bien qu'ennemi de la solitude, je savourais cette parenthèse suave et singulière. Le bar, tenu par un couple de quinqua, semblait joyeux et cosy. Des photos d'acteurs ornaient les murs de l'établissement. On pouvait apercevoir les visages de Bogart, Brando ou James Dean.

J'observais avec minutie et prévenance le portrait de Marilyn Monroe. J'étais fasciné par sa beauté candide, son sourire serein et enjôleur,ses cheveux bouclés qui effleuraient délicatement son visage poupin, et son grain de beauté, qui était la cerise sur le gâteau de son sex-appeal légendaire.

Tout cela contrastait ironiquement avec le physique de la gérante. Généreusement poitrinée, les cheveux courts et grisonnants, des lunettes en écailles qui lui donnaient un air ahuri, elle semblait malgré tout amène.

Son mari, petit, brun et timoré, était à l'avenant. Une jolie blonde officiait comme serveuse. Fraiche comme l'aurore du matin, elle me gratifia d'un sourire charmant que je recevais tel un zéphyr. Je tentai tant bien que mal de dissimuler ma gêne en plongeant mon regard dans la tasse de café. Le reflet de la boisson me donna un air gauche. Lucie entra à ce moment là.

Elle avait un sourire crispé. Elle s'avança vers moi d'un pas sec.

-" Tu m'attends depuis longtemps ? " demanda t-elle.

-" Quinze minutes environ. Tu bois quelque chose ? " demandai-je.

-" Un café". Rétorqua t-elle.

Je demandai un café à la serveuse.

-" Pourquoi tu ne m'embrasses pas ? " demandai-je.

Elle s'assit sans dire un mot. A cet instant, un frisson intempestif me parcourut l'échine.

-" Tu veux rompre ? " questionnai-je.

Elle tentai d'exorciser son embarras en regardant les alentours. Elle poussa un petit rire, comme si elle s'amusait de la situation.

-" Je suis désolé, mais nous deux ça ne peut pas marcher. " affirma t-elle.

La serveuse avança d'un pas timide et servit Lucie sans dire un mot. Elle semblait comprendre la situation et me lança un regard indulgent.

-" Pourquoi ? " demandai-je.

-" Je ne ressens rien pour toi. Tu es mignon, sympa et tout. Mais j'ai besoin de quelqu'un qui soit plus... comment dire..."

Elle chercha ses mots.

-" Tu me trouves trop gentil ? ". Je voulais satisfaire ma soif de réponses.

-" Oui, il y a un peu de ça. "

-" Mais tu cherchais quelqu'un de gentil, attentionné. "

-" Oui, c'est vrai, mais en fait, ce n'est pas ce que je veux. "

Cette réponse sonnait comme un coup de tonnerre. J'étais l'innocent protagoniste d'un cruel tremblement de terre.

-" Il me faut quelqu'un de plus solide, de plus rassurant..." affirma t-elle.

-" Je ne le suis pas ? " demandai-je.

-" Je crois que je vais y aller. "

-" Tu ne peux pas me laisser comme ça..."

-" Je suis désolé, Thomas. "

-" Ne fais pas ça. "

Je ressemblais à un petit animal qui demandait grâce. Je ne voulais pas la voir partir.

-" Salut. " dit-elle.

Elle paya son café et se leva. Je ne cherchai même pas à la retenir. Elle quitta les lieux sans se retourner, ni me regarder.Je restai de longues minutes sans rien dire, ni rien faire. La serveuse s'approcha de moi et me demanda si je voulais boire quelque chose. Je refusai.

Je quittai les lieux, ombrageux et tourmenté.Les premières gouttes tombaient. La pluie complètait idéalement ce tableau sinistre. Je pris le métro. J'étais assis sur strapontin, las et désanchanté.

En face de moi se tenait un clochard hirsute et emprunté. Il était tellement ivre qu'il n'arrivait plus à boire sa bouteille. Il se lança dans un soliloque interminable et incompréhensible, dont lui seul avait le secret.

Je n'arrêtai pas de penser à Lucie. Pourquoi m'avait-elle quitté ?

Je me rappelai de notre première rencontre. C'était dans ma librairie . Elle était venu acheter un livre pour son père. Une véritable sylphide.Je me souvenai de ses yeux bleus brulants, de son regard vif et déterminé, de ses cheveux délicatement bouclés et de son sourire ravageur, qui lui donnait une aura non négociable. Elle avait mis le feu à ma mémoire.

Elle me demanda conseil.Subjugué par sa beauté unique, je voulais m'abriter sous ses cheveux flaves, dévorer ses yeux de reine et explorer sa silhouette superbe.Je lui suggérai le récent prix Goncourt, que je trouvai pertinent et bien écrit. Elle fut ravi et l'acheta.

Ragaillardi par son enthousiasme, je lui proposai de prendre un verre. Elle accepta.Le soir même, nous nous retrouvions dans un café du 5e arrondissement. Nous parlions de tout et de rien.J'appris qu'elle était étudiante en lettres et qu'elle voulait devenir professeur de français.

Je lui racontai mon parcours, mon bac L en poche, mes études pour devenir libraire. Ma vie était très banal, je n'avais jamais cherché à décrocher la lune.Je lui parlai de mes futurs projets, notamment de mon premier roman, même si je n'avais toujours pas écrit une ligne.

Elle fut attendri par mes atermoiements. Elle aimait mon coté indécis et fragile.Je pensais que les femmes aimaient les hommes francs du collier, je me rendis compte que certaines n'étaient pas insensibles aux pusillanimes.

Je l'invitai à nous assoir sur un banc, dans un parc près du café. Elle accepta. Je voulais plus que copiner avec elle, sachant que son décolleté n'était pas une invitation à l'amitié. Avait-elle deviné mes intentions ?

Elle me souriait, je rougissais comme un jouvenceau.Je tentai de balbutier quelques mots, mais ma timidité fut victorieuse.Je réussis à lui demander , l'air gauche et imbécile, si je pouvais l'embrasser. Elle me répondit oui. Je ne me fis pas prier.

Je goutais à ses lèvres ardentes et délicieuses tandis que mon coeur battait la chamade.Sa main caressait mes cheveux, la mienne frôlait ses épaules.Je touchai délicatement son visage tout en continuant à lui voler des baisers. Ses sourires étaient des trésors, ses baisers des offrandes. Je vivais ces moments avec délectation et gourmandise.

Je lui proposai de la raccompagner. Elle me proposa un dernier verre.Je n'étais pas spécialement porté sur la bagatelle, même si j'avais très envie de la mettre à l'horizontale.Pourtant, je refusai de coucher le premier soir. Je préférai me débiner.

J'eus le loisir de la retrouver le lendemain. Ce fut ensuite trois mois d'insouciance et de complicité.

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