Chapitre 1 : La naissance d'une idylle

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La vieillesse est si traître. La vue trouble, Jean-Marie reposa l'exemplaire de Mein Kampf à sa place respective et se frotta les yeux. Son appartement était si calme ces temps-ci. Sa propre fille ne venait plus guère lui rendre visite depuis leurs récentes querelles et s'il pouvait encore compter sur sa chère Marion, elle ne lui apportait qu'un maigre réconfort, insuffisant pour combler son manque d'affection. Mêmes les bruits de klaxon éperdus qui résonnaient dans la rue ne réussissaient plus à l'agacer.

A 87 ans, il était conscient que sa vie touchait à sa fin. Peu de gens pouvaient se vanter d'être aussi sain d'esprit et éclairé que lui à cet âge. Il se savait toujours lucide à propos des questions politiques, mais il ne comprenait désormais plus cette distance qui naissait entre lui et sa fille, Marine. La vie réservait parfois de cruelles déconvenues, plus sournoises les unes que les autres.

Jean-Marie se dirigea à petits pas dans son salon. Il actionna l'interrupteur, allumant au même instant les trois lampadaires qui encadraient la pièce, révélant une file de bibliothèques remplies de livres soigneusement rangés. Le parquet craqua sous ses pieds lorsqu'il s'avança pour rejoindre son canapé en cuir sur lequel il s'assit péniblement. Le craquement du cuir sous son poids résonnait à ses oreilles. C'était le bruit de la réussite, du mérite. Et pourtant il était seul.

Ses yeux se posèrent alors sur son poste de télévision, relique d'un autre temps, un peu comme lui-même songea-t-il tristement. Il finit par repérer la télécommande à l'autre bout du canapé. Avec un grognement, il tendit le bras et poussa un nouveau juron lorsque ses rhumatismes se firent sentir. Enfin, il alluma la télévision.

Il fit défiler les chaînes sans manifester un grand intérêt pour ce qu'il regardait. Les émissions modernes se voulaient si « progressistes » qu'elles n'avaient plus grand sens à ses yeux. Et puis, maintenant qu'il semblait définitivement écarté de la scène politique française, il n'avait plus grand intérêt à suivre les débats. Il allait éteindre le poste quand le journaliste à l'écran céda sa place à un homme qui attira immédiatement son attention.

Plus jeune, bien plus jeune, le visage toutefois marqué par quelques rides et une probable exposition prolongée au soleil, ses cheveux mi-longs d'une blondeur presque aussi prononcée que ses camarades aryens semblaient incroyablement doux au toucher bien que l'écran n'en renvoyait qu'une image de piètre qualité que son unique œil encore valide ne pouvait que partiellement saisir.

A en juger par son accent et l'expérience de Jean-Marie pour les langues, cet homme était très probablement un Américain, de la côte Est de surcroît. Il buvait plutôt qu'il écoutait ses paroles. Il s'exprimait avec tant de verve et d'animation qu'il avait l'impression de revenir 60 ans en arrière, dans des temps aussi glorieux qu'immémoriaux où la politique était bien différente de celle d'aujourd'hui. Jean-Marie était conquis. Une fois son discours terminé, il descendit de son piédestal et la foule scanda son nom.

« DONALD TRUMP ! DONALD TRUMP ! DONALD TRUMP ! »

Le nom résonnait encore aux oreilles de Jean-Marie alors qu'il avait éteint le poste de télévision sans même s'en rendre compte. Le martèlement de ce nom prononcé par cette foule en liesse lui rappelait le bruit des bottes cloutées des soldats frappant le sol lors de ses vertes années. Il lui fallait en savoir plus sur cet homme. Qui était-il ? Pourquoi apparaissait-il sur une chaîne de télévision française ? Était-ce une simple coïncidence ?

Ses articulations ne protestèrent même pas lorsqu'il se leva presque d'un bond pour récupérer sa tablette posée sur la table basse, devant le poste. Offerte à l'occasion de son 86e anniversaire par sa petite-fille, il n'avait jamais vraiment eu l'occasion de s'en servir, d'autant plus qu'il n'en voyait guère l'utilité. Mais pour le moment, il était prêt à laisser de côté toutes ses convictions pour en savoir plus sur ce Donald Trump. Il tapa son nom avec difficulté dans la barre de recherche de son navigateur et quelques instants plus tard, il tomba sur une myriade de liens et photos de l'homme qu'il avait vu à l'écran quelques instants plus tôt.

Il n'aurait jamais pensé qu'il s'agissait d'un candidat potentiel à la présidence des Etats-Unis. Bien qu'il détestât profondément ce pays aux valeurs libérales poussées à l'extrême, cet homme-là semblait différent. Ses idées lui plaisaient, il faisait preuve d'un charisme évident à chacune de ses interventions télévisées ou lors des débats publics, et de toute évidence, il semblait être l'un des favoris pour la course au mandat présidentiel.

Et comble de bonheur, ledit homme serait de passage à Paris d'ici quelques jours pour un meeting exceptionnel tant l'engouement suscité par la campagne américaine était palpable en France. Jean-Marie respira un grand coup. Comme cela aurait été dommage de manquer une pareille occasion !

La semaine défila sans aucune interruption. Tout semblait aller plus vite. Les douleurs liées à la vieillesse paraissaient sans importance désormais. Jean-Marie ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il avait l'impression d'avoir rajeuni d'une vingtaine d'année, d'être de nouveau le jeune loup craint de tous, au caractère aussi imprévisible qu'impétueux. Il lui fallait rencontrer Trump, lui parler. Plus qu'un désir, c'était devenu un besoin presque irrépressible, né d'une simple interview vue à la télévision.

Le jour du meeting, Jean-Marie se leva de fort bonne humeur. Sa goutte pourtant diagnostiquée comme irréversible par ses médecins ne le faisait pas souffrir ce matin-là. Il peignit soigneusement les quelques cheveux qu'il lui restait et mit son plus beau costume, un ensemble mêlant confort et chaleur. Il prit sa canne des grands jours, saisit son fauteuil puis sortit finalement de son appartement en prenant soin de verrouiller la porte.

Le trajet en bus fut tranquille, personne ne vint le déranger dans ses pensées. Il espérait pouvoir le voir juste après son discours et échanger quelques mots avec lui. Son anglais n'était certes pas des meilleurs, mais il était certain de pouvoir se faire comprendre. Le nom des le Pen n'était sans doute pas inconnu, même pour un Américain. Une fois arrivé, une foule dense s'amassait déjà devant l'entrée du bâtiment où Trump était attendu. Jouant de sa vieillesse et de sa notoriété, il se fraya un chemin parmi les visiteurs, faisant fi des « Jeanne au secours » moqueurs qu'il entendait s'élever dans son sillage. Il finit par se trouver une place, non loin du premier rang, à l'extrême droite de la salle, son coin favori.

Après une demie-heure d'attente, une des plus longues qu'il ait jamais eu à vivre pendant sa longue vie, la foule salua l'entrée du politique américain. Souriant, décontracté, les cheveux toujours impeccablement plaqués contre le sommet de sa tête, Trump était rayonnant. Les projecteurs pointaient sur lui leur lumière aveuglante qu'il affrontait sans ciller. Sa figure orangée contrastait magnifiquement avec le fond de la salle plongé dans l'obscurité. Il haranguait, impassible devant les applaudissements, huées et acclamations qu'il soulevait. Même s'il ne comprenait pas tout, Jean-Marie pouvait lire sur un écran devant la retranscription en français de son discours. Il avait l'impression de revivre cette scène de découverte devant sa télévision, mais cette fois-ci, les émotions étaient plus fortes, plus prenantes, plus réelles.

Le discours dura deux bonnes heures, mais pour Jean-Marie, elles n'avaient semblé être que quelques minutes. Il n'avait pas tout retenu du discours, mais le personnage lui plaisait de plus en plus. Il voulait lui parler. Il le fallait.

Alors que la salle se vidait, il fut pris d'une audace telle qu'il n'en avait plus connue depuis des années. Sans hésiter, il se dirigea droit vers l'arrière de la salle. Il réussit à convaincre non sans difficulté les deux gardes du corps qui protégeaient le couloir dans lequel s'était engouffré Trump après une énième ovation. Des portes se découpaient de chaque côté des murs verts, chacune portant un numéro et faisant probablement office de loge pour l'occasion. Dans laquelle s'était réfugié Trump ?

Mû par il ne savait quelle intuition, Jean-Marie se dirigea vers la numéro 2. La poignée était légèrement abaissée et du bruit semblait venir de l'intérieur. Il toqua doucement mais fermement.

Un « Come in ! » lui répondit.

Sans hésiter une seconde de plus, il entra.

Jean-Marie le Pen x Donald TrumpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant