Sous le regard torve de la lune bleue - 4

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Aussitôt, plusieurs hommes-brouillard sautèrent à cheval et se dirigèrent à bride abattue sur les intrus. Ceux-ci redoublèrent d'efforts pour distancer leurs poursuivants, qui tentèrent de leur couper la route : il s'en fallut d'ailleurs d'un cheveu qu'ils n'y parviennent. Au dernier moment, ils se faufilèrent sous le ventre des montures de leurs ennemis. La seconde d'après, Naphta, Jack et Gérald plongèrent dans l'eau glaciale des douves du château. Lorsqu'ils crevèrent la surface, une vingtaine de mètres plus loin, ce fut pour se rendre compte que les hommes-brouillards étaient incapables de les suivre. Dès que l'un d'eux essayait de s'approcher des douves, il reculait avec des signes évidents de souffrance.

La goule, elle, avait disparu.

Cependant, lorsque les soldats du seigneur de Lone sortirent leurs arcs, les envoyés de la prophétesse cessèrent de chercher où la créature immortelle avait pu se dissimuler : ils plongèrent à nouveau.

« Un passage immergé permet d'accéder aux souterrains du château », leur avait dit Luna. Il ne restait plus qu'à espérer qu'ils le trouveraient avant de manquer d'air...

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« Mon seigneur, ils nous ont échappé, déclara le capitaine Duncan. Nous avons tenté de les suivre, mais la douleur... était trop forte. Nous leur avons envoyé une volée de flèches, mais je doute qu'ils aient été touchés.

— Savez-vous au moins de qui il s'agissait ?

— Il y avait une magicienne parmi eux, ainsi qu'un homme ressemblant à un elfe. La taille du troisième me fait dire qu'il s'agissait d'un demi-homme des rocailles. Peut-être un nain des monts Galgoths ? »

De Lone fixa le capitaine de sa garde personnelle au fond des yeux. Du moins semblait-il sincère. Malheureusement, cela remettait ses plans en cause. Si des envoyés de la prophétesse avaient pu pénétrer dans le château, il était plus que temps qu'il le prenne d'assaut. D'un autre côté, il restait important de s'assurer que toutes les protections magiques entourant la place forte étaient bien tombées. Le fait que Duncan n'ait pas pu s'approcher des douves n'était pas pour lui redonner confiance.

J'aurais juré avoir détruit le dernier des sortilèges de cette maudite Luna, ce matin même ! Il va bien falloir que je recommence à zéro. Mais ils ne perdent rien pour attendre. Ils devront ressortir de là, un jour. J'ai tout mon temps, moi...

Pendant que de Lone ruminait ses sombres pensées, l'officier Duncan patienta, tout en craignant pour sa vie. Pourtant, de Lone le congédia d'une main distraite avant de regagner sa tente. Après ces quelques minutes passées à motiver ses troupes en vue d'une attaque en règle, la nouvelle de cette intrusion l'ennuyait profondément. Mais avant tout, il lui fallait s'assurer que les rats de la prophétesse ne disposent pas d'une issue de secours.

Sinon, ils risquaient de lui échapper, une fois de plus...

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« Punaise, j'ai bien cru qu'on allait tous crever, là-dessous. »

Jack fixait la trappe dont ils venaient de s'extirper. Ils avaient nagé jusqu'aux limites de leur souffle avant de trouver enfin la porte de sortie dont leur avait parlé Luna. Et pendant tout ce temps, ils étaient restés à l'affut du moindre mouvement suspect indiquant la présence d'une goule, ou de toute autre créature susceptible de hanter les douves d'un château en ruines. À un moment, Jack avait remarqué un soudain assombrissement de l'eau autour d'eux, mais l'impression avait été si fugace qu'il s'était contenté de battre plus vite des jambes. Une fois parvenu à la surface, il n'avait pas cru bon de le mentionner à ses compagnons.

J'ai dû rêver, se dit-il, plus pour se rassurer que pour toute autre raison.

Et puis, ils avaient tous constaté que le baiser de la prophétesse était à nouveau visible sur leurs fronts, sous la forme d'une étoile brillante.

« Je pense que ça signifie que le château nous a reconnus comme des invités et qu'il nous autorise à rester, suggéra Naphta.

— Tu veux dire que sinon, nous serions déjà morts, c'est ça ? »

Jack ne semblait pas ravi à cette idée. Lorsqu'il avait été convoqué à Panarge, sur ordre de Luna en personne, il s'était senti flatté que quelqu'un d'aussi influent daigne remarquer son existence. Lui qui avait subi, son enfance durant, les quolibets de ses camarades d'étude à cause de sa petite taille, avait vu cela comme un formidable pied de nez contre le destin que lui annoncé chacun de ses professeurs, année après année : « Jamais l'armée ne voudra de vous, Torgrain. Vous êtes trop petit ! »

« Je commence à en avoir marre qu'on parle sans arrêt de ma mort, par ici, grommela Jack en sortant de ses rêveries.

— Pour l'instant, nous sommes en vie, c'est tout ce qui compte », répondit Gérald d'une voix calme.

Jack aurait aimé être aussi confiant que l'elfe.

« Vous entendez ça ? » leur demanda Naphta.

Ils se turent. Un grondement sourd enflait, en provenance de sous leurs pieds. Un geyser jaillit de la trappe qu'ils venaient d'emprunter.

« L'eau monte ! » s'écria Jack, qui en avait déjà jusqu'aux genoux.

Ils s'entreregardèrent une seconde puis se retournèrent vers l'escalier le plus proche. Ils foncèrent dans sa direction, dans le plus grand désordre. Lorsqu'ils l'atteignirent enfin, Jack faillit être entraîné en arrière par un soudain reflux. Naphta se concentra et le retint par magie avant qu'il ne soit emporté comme un vulgaire fétu de paille. Puis elle le projeta en haut des marches et il monta à l'étage supérieur. L'eau continuant de leur lécher les pieds, ils progressèrent encore un peu plus vers le haut, gravissant cette fois une simple échelle en bois qui leur permit de déboucher dans une vaste cave à vin. S'y trouvaient également d'énormes fûts de bières sur lesquels Jack loucha avec envie. Gérald dut lui donner une tape sur l'arrière du casque pour le faire revenir à plus de circonspection.

« Ce n'est pas franchement le moment, mon grand. L'eau continue de monter.

— Tu sais d'puis quand on m'a pas appelé mon grand ?, releva Jack en grondant.

— Non, on ne sait pas, et on s'en fout. Alors maintenant, tu te calmes et tu viens avec nous ! » s'écria Naphta en le menaçant de son bâton.

Sous le regard torve de la lune bleue - à l'ombre de la boussole...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant