Sous le regard torve de la lune bleue - 5

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Une série de craquements secs retentirent dans les sous-sols : sous la pression de l'eau, le plancher risquait de s'effondrer sous les pieds des trois envoyés. Grommelant, Jack finit par entendre raison et ils gravirent un nouvel escalier, en colimaçon cette fois. La salle à laquelle il menait était au dessus du niveau des douves. Ils purent le vérifier en se penchant par l'une des fenêtres qui en ornaient le mur ouest. Une petite flaque s'étendait pourtant déjà dans la pièce, mais le raz de marée semblait avoir perdu de sa puissance.

« Nous sommes assez haut, je crois », dit Naphta en frissonnant.

Quelque chose dans l'air lui parut lugubre, porteur de mort. Une magie négative avait envahi les lieux depuis longtemps et avait fait sien le château de la prophétesse, sans pour autant parvenir à briser les sceaux de protection que celle-ci avait placées un peu partout.

« Nous allons devoir nous monter prudents. Une ombre plane dans les parages. J'espère qu'elle n'y circule pas librement, ajouta Naphta.

— Bon, rapp'lez-moi ce qu'on est venu chercher ici, au fait ? »

Gérald prit un air ennuyé et Naphta se plaqua une main sur le visage.

« Non, mais je rêve ? Tu dormais quand Luna nous a parlé, ou quoi ? Remarque, tu faisais une telle tête de poisson mort que ça ne m'étonnerait même pas !

— J'étais aveuglé par sa beauté... cadavérique.

— Moi, j'ai su voir au-delà des apparences, trancha Naphta. Son âme est belle et elle lutte pour nous sauver tous. Ce n'est pas de sa faute si elle a dû attendre si longtemps sa remplaçante ! J'aimerais voir ta tête, si tu avais son âge.

— J'imagine très bien ma face trouée par les vers. Mais moi, je s'rais au fond d'un tombeau ! Pas coincé dans une bulle d'eau pour mieux montrer mon squelette à tous mes visiteurs.

— Elle n'apparaît qu'aux yeux des élus et des protecteurs, ce que nous sommes censés être. Enfin, c'est mon cas, mais quand je t'écoute parler, je me pose des questions à ton sujet. »

Gérald s'interposa entre les deux belligérants, sans pour autant parvenir à les calmer. Il dut crier plus fort qu'eux pour les forcer à se taire.

« Nous cherchons la boussole d'orichalque, voilà ce que nous sommes venus trouver ici !

— Haaaa, hé bien voilà, y suffisait d'le dire ! C'est quand même pas si compliqué, quoi ! »

Naphta commença à incanter et une boule de feu surgit entre ses doigts, mais Gérald lui referma la main et le sortilège s'évanouit comme il était venu.

« Garde tes pouvoirs pour les ennemis qui rodent, ou pour les hommes-brouillards »

Elle acquiesça, la gorge soudain nouée. Plus personne n'avait osé la toucher ainsi depuis la mort de son père. Elle détourna le regard, mais Gérald eut le temps de voir la douleur au fond des yeux de la jeune femme.

« Sais-tu où trouver cette boussole, Napthalina ?

— Bien sûr que je le sais. La prophétesse m'a donné ce don, répondit Naphta en reniflant.

— Et pourquoi pas à moi ? s'insurgea Jack.

— Parce que j'ai plus de magie dans mon petit doigt que toi dans tout ton corps, abruti. Maintenant, suivez-moi et cessez de faire un tel vacarme », trancha Naphta d'une voix aigre.

Le nain n'insista pas.

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Gérald laissa errer son regard autour de lui tandis qu'ils empruntaient une série de couloirs sombres. Seule la lumière du bâton de Naphta leur permettait de se diriger et l'atmosphère devenait de plus en plus étouffante à mesure qu'ils s'enfonçaient dans les entrailles du donjon principal. Ici, ils étaient un peu plus loin des douves et l'eau n'était pas montée. Pour autant, les murs étaient dans un état de délabrement avancé et il était étonnant que les plafonds ne se soient pas écroulés depuis longtemps, tant les poutres les soutenant paraissaient vermoulues. Des craquements sinistres retentissaient à chaque pas que faisaient les envoyés de Luna, qui essayaient de se faire aussi légers que possible.

« Je ne pensais pas que cette forteresse serait devenue une telle ruine. On dirait qu'elle ne tient en un seul morceau que par la grâce des toiles d'araignée, murmura l'elfe.

— À quoi tu t'attendais ? Ça fait près de deux siècles qu'elle est inoccupée. Et la présence des vaisseaux des étrangers a toujours fait écran aux pouvoirs de la prophétesse. C'est déjà étonnant qu'elle soit parvenue à en interdire l'accès aux pilleurs de tous poils, aussi longtemps.

— Tu as raison, Naphta, bien sûr, mais...

— Taisez-vous, à présent. Je sens que nous approchons de notre but. »

Naphta désigna une porte, perdue au bout du couloir. Ses gonds manquaient à l'appel et le bois avait gonflé, l'empêchant de pivoter. Ils durent pousser dessus de toutes leurs forces pour la faire chuter à l'intérieur de la pièce. De l'autre côté, un homme en armure couvert de rouille leur tournait le dos. Il se tenait droit, l'allure fière. Il semblait surveiller un tombeau, sur lequel une série de runes magiques étaient profondément gravées. Malheureusement, ils étaient incapables d'en déchiffrer le message.

De son côté, Gérald reconnut néanmoins le blason que l'inconnu arborait sur sa cape : le lion rampant, couché sur une épée, avait été le symbole de ralliement de l'élu, il y a près de deux siècles. Ils le contournèrent, sur leurs gardes. La visière du casque du chevalier était relevée et sur son front s'étalait la marque de la prophétesse. À son cou pendait une boite dorée, dont émanait une douce magie positive. Gérald n'en croyait pas ses yeux.

« Vous croyez que c'est le précédent élu ? Il ne serait donc pas mort ?

— En tout cas, y bouge plus trop, si c'est l'cas », répliqua Jack en s'approchant du guerrier.

Lorsqu'il le toucha, les paupières de l'élu s'ouvrirent. Une lueur démente y transparaissait et les traits de l'homme se tordirent, comme sous le coup d'une atroce souffrance.

« Vous êtes revenus. Mais je vous empêcherai d'obtenir l'artefact, maudits démons !

— Merde, il est devenu fou, ou quoi ? »

Jack ne dut son salut qu'à un bond sur le côté. L'épée à deux mains du guerrier s'était abattue sur lui, défonçant le plancher là où il s'était tenu une seconde plus tôt. Il para l'attaque suivante avec la garde de sa hache à double lame, mais l'onde de choc lui fit vibrer les os des bras et le força à lâcher son arme. Gérald décocha un trait sur l'élu, mais il ricocha sur son casque. Le seul effet fut que le chevalier reporta aussitôt son attention sur l'elfe, se précipitant sur lui en faisant de grands moulinets avec son battoir. L'arc de Gérald n'y résista pas et il se retrouva avec deux morceaux de bois inutiles entre les mains. Il les jeta au sol pour se saisir de sa dague. Comparant son arme à la taille de l'épée de son adversaire, il se sentit ridicule.

Sous le regard torve de la lune bleue - à l'ombre de la boussole...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant