Plusieurs levers de soleil plus tard, Arouas était toujours obsédé par la fille brune même si ses traits s'étaient estompés de sa mémoire. Seul subsistait le regard de souffrance qu'elle lui avait lancé. Sachant qu'il ne pourrait bientôt plus résister à l'envie de plus en plus pressante de la revoir, il se décida à aller lui rendre visite. Il avait l'intuition que son père ne comprendrait pas, aussi se dirigea t-il discrètement en direction des cachots.
Les gardes le regardèrent passer avec surprise, leur prince n'avait pas l'habitude d'y venir, mais ils ne dirent rien. Il y avait peu de cellules - les elfes étaient en général respectueux des lois – et elles étaient plutôt spacieuses. La seule occupée se situait au fond sur la droite. Arouas avança dans le couloir séparant les cellules et s'assit devant celle de la jeune fille. A son arrivée, elle bondit sur ses pieds et se mit à faire les cent pas, tel un lion en cage. Elle le toisa avec méfiance. Les gardes avaient suivi les ordres du prince : elle portait des vêtements neufs et avait l'air plus propre qu'à leur dernière rencontre. Ses cheveux soyeux lui tombaient sur les reins. Son teint hâlé faisait ressortir ses yeux émeraude, exactement comme dans le souvenir de l'elfe : chargés de souffrance et de haine. Elle n'était pas belle à proprement parler mais il se dégageait d'elle une grâce envoûtante. Elle rappelait un félin au jeune prince. Beau mais sauvage. Gracieux mais dangereux. Arouas la salua et s'assit en tailleur face à elle.
- Qu'est-ce que tu veux ?! l'agressa t-elle.
- Je voulais te voir, répondit l'elfe sans se départir de son calme.
- Pourquoi ?
- J'ai l'intuition que tu as besoin d'aide.
Elle lui jeta un regard de dégoût :
- Je n'ai besoin d'aide de personne, encore moins de celle d'un elfe.
Elle appuya le dernier mot d'un tel mépris qu'Arouas frémit.
- Tu n'es pas heureuse, tu souffres. Je peux le lire dans ton regard.
L'elfe devina qu'il avait visé juste en voyant des larmes emplirent les yeux verts.
- Tais-toi ! ordonna la jeune fille d'une voix rauque. Va t-en. Je ne veux plus te voir. Jamais.
Arouas demeura impassible, immobile. Elle se mit alors à hurler :
- T'es sourd ou quoi ?! Dégage, espèce de... !
Il s'ensuivit alors une cascade de jurons que le prince, qui avait l'habitude d'être entouré de personnes parlant un langage soutenu, ne connaissaient pas pour la plupart. Il préféra s'en aller, pour ne pas l'énerver davantage. Il passa devant les gardes, sans un mot, ignorant leur question muette, puis sortit des jardins pour se diriger la forêt. Il appela Plume, qui le rejoignit presque aussitôt. Une fois l'elfe sur son dos, la jument s'élança au galop. Il la ralentit quelques temps après, afin de ne pas la fatiguer. Son pas doux et tranquille le berçait. Être à cheval lui procurait toujours une sensation de bien-être et lui permettait de faire le point sur ses idées, ce dont il avait tout particulièrement besoin en ce moment. Il repensa à la conversation qu'il venait d'avoir avec la jeune humaine et se sentit malheureux. Il se doutait qu'elle ne se serait pas confiée tout de suite mais il ne pensait pas qu'elle l'aurait rejeté de cette façon. Il ne voyait pas ce qu'il avait fait de mal pour qu'elle s'énerve autant. C'est sûr, elle n'avait pas l'air de beaucoup apprécier les elfes, pensa Arouas, mais ne s'était-elle pas rendue compte qu'il venait en ami ? Lui qui voulait tant lui venir en aider ! Une vague de déception le submergea soudain. C'était dans sa nature, Arouas ne supportait pas de voir les autres malheureux. Il faisait tout son possible pour les secourir. Alors que Plume passait au galop, il se pencha à gauche de son encolure et murmura à son oreille :
- Je vais l'aider, je te le promets. Qu'elle le veuille ou non !
Le cavalier et sa monture se retrouvèrent sur la berge d'une rivière. La jument s'arrêta pour s'y abreuver un instant et Arouas en profita pour se baigner. Il plongea, admirant la beauté du monde sous-marin. Les plantes aquatiques ondulaient et lui caressaient les chevilles. De temps en temps, un minuscule poisson frétillant émergeait des algues et passait devant lui sans lui accorder l'ombre d'un regard. Ayant épuisé ses réserves d'oxygène, il remonta à la surface pour respirer. Il resta faire la planche un moment, les yeux fermés, le soleil réchauffant sa peau hâlée avant de regagner le rivage. Plume avait fini de boire et arrachait consciencieusement une touffe d'herbe. Quand il fut sec, Arouas remonta sur la jument. Il chevaucha encore une bonne heure puis se décida à rentrer pour assister à son cours d'apprentissage du combat.
Un peu plus tard, il attendait sa professeur à l'ombre d'un grand chêne, l'emplacement de tous leurs entraînements dès que le froid de la mauvaise saison quittait la région. En hiver en revanche, ils se battaient dans la salle des duels, à l'intérieur du palais. Elle ne tarda pas à le rejoindre. À quelques pas de lui, elle lui jeta un bâton. Il le saisit et se leva prestement. Ils se mirent en position de combat et restèrent immobiles, chacun cherchait la faille dans la garde de l'autre. La professeur se nommait Colgia. Soudain, elle bondit et essaya de frapper le genou de son élève qui n'était pas assez protégé. Ce dernier para juste à temps et sauta en arrière pour se mettre hors de portée de son aînée. Celle-ci, aussi vive qu'un feu follet, ses cheveux roux tombant en cascade sur ses épaules, attaquait, feintait, esquivait... Arouas reculait petit à petit sous la pluie de coups qu'il évitait de justesse. Il se ressaisit, et passa de la défense à l'attaque. Il toucha Colgia à l'épaule et elle riposta sur sa hanche. Ils s'affrontèrent ainsi une demi-heure, jusqu'à ce que la professeur fasse voler l'arme de son élève d'un habile mouvement de bâton. Arouas se laissa tomber sur le sol, la tête entre les genoux pour souffler un peu. Colgia s'assit à ses côtés et s'adressa à lui :
- Tu es mal parti, mais tu t'es bien repris. Dans l'ensemble, ce n'était pas mal.
Le prince hocha la tête. Même s'il n'aimait pas se battre, il accordait une grande importance à ce que pensait son enseignante, car en plus de lui apprendre à se battre, elle était la conseillère de son père et se révélait une stratège hors-pair lors des batailles. Elle ne lui accorda qu'un court temps de repos avant de l'entraîner au lancer de poignard.
Quand ils eurent fini, Arouas rentra au palais se doucher, épuisé. La nuit commençait à tomber et les premières étoiles apparaissaient dans le ciel encore clair. Après un dîner en famille, l'elfe se dirigea en catimini vers les cachots. En passant devant les gardes, il leur ordonna de ne pas intervenir s'ils entendaient des hurlements. Il s'assit devant la cellule de la jeune fille aux cheveux d'ébène et cette fois, resta silencieux. Il avait pris place si discrètement qu'elle ne remarqua pas immédiatement sa présence. Quand elle le vit cependant, elle se plaqua contre le mur du fond, comme si elle voulait mettre le plus de distance possible entre elle et son visiteur inopportun. Celui-ci ne changea pas sa technique d'approche et ne pipa mot.
- Qu'est-ce que tu veux ? cracha t-elle comme un chat en colère.
- ...
- Tu n'as donc pas compris que je ne voulais plus te voir ?!
- ...
Elle se mit alors à hurler. Un des gardes s'approcha, voulant intervenir, mais le regard peu avenant que lui lança Arouas le fit changer d'avis. Dès lors que l'humaine se rendit compte que ses cris restaient sans effet, elle les interrompit.
- Comment t'appelles-tu ? s'enquit l'elfe d'une voix calme.
Son interlocutrice le dévisagea avec méfiance mais elle dut penser que cette question n'avait rien d'indiscret car elle consentit à répondre du bout des lèvres :
- Leya.
- C'est un joli prénom, commenta le jeune prince. Moi, c'est Arouas.
N'obtenant aucune réponse, il se leva et lui annonça qu'il viendrait la voir le lendemain. Il sortit des cachots, le pas léger et le sourire aux lèvres. Elle lui avait parlé sans agressivité ! Il ne s'agissait que d'un mot, mais c'était un début. Il savait qu'il pourrait bientôt l'aider, il le sentait.
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Arouas, prince elfe - Terminée
FantasyA son arrivée, elle bondit sur ses pieds et se mit à faire les cent pas, tel un lion en cage. Elle le toisa avec méfiance. [...] Ses cheveux soyeux lui tombaient sur les reins. Son teint hâlé faisait ressortir ses yeux émeraude, exactement comme dan...