Enlèvement

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« -Mon prince, vous ne devriez pas sortir ainsi en douce. S'il venait à vous arriver quelque chose...
-Ne t'inquiète pas, Ryeowook. Personne ici n'a de raison de s'en prendre à moi. Tous les habitants de la ville sont loyaux envers mon père et les étrangers ne s'aventurent jamais jusqu'ici. On ne risque strictement rien.
-Mais vous auriez tout de même pu prévenir vos gardes du corps.
-J'avais besoin d'être un peu tranquille. J'ai besoin de me sentir libre de temps en temps et ce n'est pas avec trois sangsues qui sont toujours à surveiller mes arrières de trop près que je pourrai vivre ma vie. Je vais finir par devenir fou si ça continue ainsi. Et si tu continues de critiquer mes décisions, je te laisse là et je continue mon chemin tout seul.
-Bien mon prince. »

Enfin un peu de silence. La forêt qui entoure le château a toujours eu le don de m'apaiser, mais mon père n'a jamais essayé de me comprendre ni même d'écouter mes arguments. Il a tellement peur qu'il m'arrive quelque chose de grave. Mais que pourrait-il bien m'arriver ? Il s'inquiète toujours inutilement. Ryeowook, mon conseiller, est un peu comme lui pour ça. Ce dernier me suit tout de même avec réticence dans la forêt, sachant que je suis capable de mettre mes menaces à exécution et qu'il ne veut surtout pas se retrouver seul dans ces lieux trop inquiétants à son goût. Il fait la tête, mais je n'y fais déjà plus attention. Je laisse mon esprit dériver au gré des vents. La douce odeur de rosée du petit matin envahit mes narines et me plonge dans un calme profond. Dans ces moments-là, plus rien ne peut m'atteindre. Ni mes obligations envers le royaume, ni mon enfermement constant depuis ma naissance, ni la mort précoce de ma mère. Plus rien. Tranquillement, je m'installe au bord d'une petite rivière et m'accroupis pour passer le bout de mes doigts dans l'eau fraiche. J'ai envie de m'y baigner. J'ai envie de voir la mer, l'océan. Je voudrais tellement suivre ce petit cours d'eau qui me guiderait tout droit vers d'autres aventures. L'ennui me guette depuis déjà bien longtemps et ce n'est pas ces petites escapades, qui ne durent jamais très longtemps puisque mes gardes finissent toujours par me retrouver, qui va changer quelque chose à la banalité de mon quotidien. Beaucoup de personnes voudraient être à ma place, mais ils ne savent pas ce que l'on m'a volé pour que j'occupe correctement cette place. Je n'ai jamais eu une enfance normale car je ne devais pas me mélanger avec les autres enfants. Je n'ai jamais connu l'amour de qui que ce soit : même mon père ne s'inquiète pour moi que parce que je suis son seul héritier et qu'il tient à la survie de son royaume. En fait, son territoire a toujours été plus important que moi. Ma mère, je ne l'ai jamais connue. Des amis, je n'ai jamais pu en avoir. Les seules personnes de mon âge que je côtoie sont mes gardes du corps et mon conseiller. Mais ce n'est pas eux qui me feront connaitre l'amour. Une épouse, j'en aurai certainement une, mais de là à ce qu'on s'aime...

Je suis brusquement sorti de mes réflexions par une main qui se pose sur mon épaule.
« -Mon prince, je pense qu'il faudrait rentrer au plus vite. J'ai l'impression que quelqu'un nous observe.
-Qu'est-ce que tu vas encore imaginer, Ryeowook ? Il n'y a personne. Tu as juste dû apercevoir un animal qui passait par là. »

Mon attention se reporte à nouveau sur la petite rivière et j'en oublie la présence de mon conseiller durant quelques minutes. Mais cette fois, c'est moi qui sursaute brusquement en apercevant un reflet étincelant dans l'eau : le reflet d'un sabre. Je me relève d'un seul bond et tente de me retourner. Mais des bras puissants m'enserrent brusquement, m'arrachant un hoquet de surprise. Ma main glisse vers mon poignard, glissé à ma ceinture, mais ne l'atteint jamais. L'homme derrière moi vient d'apposer une lame aiguisée contre la peau fine de mon cou.
« -Tu tentes quoi que ce soit pour t'échapper et je t'ôte la vie. T'as compris ?
-Oui, dis-je d'une voix tremblante.
-Bien. Maintenant, tu vas gentiment suivre le mouvement sans chercher à me fâcher, glisse-t-il à mon oreille. »

Sa lame caresse doucement ma peau, remontant lentement sur mon visage pour frôler ma joue, alors qu'une de ses mains tente de se frayer un chemin sous ma chemise. Ce qu'il me fait subir me dégoute. Je n'ai peut-être jamais connu l'amour, mais je sais reconnaitre le désir. Et là, l'homme semble un peu trop désireux à mon goût. Il faut que j'y échappe d'une manière ou d'une autre : maintenant que le danger de mort s'est un peu éloigné, je peux peut-être tenter de sortir mon arme. Ma main glisse discrètement sous ma chemise, heureusement du côté opposé à celui qui intéresse mon agresseur, et je trouve à tâtons le manche de mon poignard. Je commence à le sortir doucement de sa cachette pour le glisser dans ma manche en même temps que je recule pour suivre mon agresseur qui m'entraine à sa suite. Mais apparemment, je n'ai pas été assez discret.
« -Qu'est-ce que t'essayes de faire, là ? »

La lame retrouve le chemin de mon cou et s'y presse un peu plus fort qu'avant, faisant s'écouler un mince filet de sang. Sous le choc de la surprise, mon poignard m'échappe et tombe sur le sol vert et mousseux. L'un des hommes, une quarantaine d'années, les cheveux blonds, presque jaunes, et longs, les dents complètement cariées, se penche et le ramasse, le regardant avec intérêt.
« -On dirait qu'on a tiré le gros lot. Je ne connais pas beaucoup de gamins qui se baladent avec ce genre de lame dans la poche. Ça doit être le fils d'un noble ou d'un général, ricane l'homme qui tient mon poignard. »

Heureusement, ils ne semblent pas m'avoir reconnu. J'espère juste qu'aucun d'entre eux ne va remarquer mon tatouage sur ma hanche droite, la marque de la famille royale. Je doute que cette information ne me sauve dans cette situation.
« -Et on en fait quoi alors, demande mon agresseur.
-On les ramène sur le bateau. Je ne suis pas contre un peu de distraction si tu vois ce que je veux dire. »

Là, leur discussion ne me rassure absolument pas. Un bateau ? Ça ne peut tout de même pas être des pirates...
Pour une fois, j'aimerais bien que mes gardes du corps débarquent comme à leur habitude. Mais bien sûr, c'est quand je regrette pour la première fois de ma vie entière de les avoir semés qu'ils ne sont pas là. C'est bien ma chance. Ne voulant pas les provoquer davantage, je les laisse me mettre un bandeau sur les yeux et m'entrainer dans une direction inconnue. Durant le trajet, je m'encouble quelques fois sur des racines et des cailloux, mais mon agresseur m'empêche à chaque fois de tomber. Chaque fois, sauf une. Brusquement, je trébuche sur je ne sais quoi et me retrouve à terre, mon agresseur emporté avec moi. Un gémissement de douleur m'échappe quand le corps puissant de l'homme s'effondre sur le mien, coinçant mon bras gauche sous le poids de nos deux corps. Il se relève rapidement et j'entends un vague gargouillis suivi de la sensation de mains qui m'attrapent par les épaules pour me relever et m'attacher les poignets avant de m'emmener encore une fois. Mais ce contact, ce n'est pas celui désagréable de l'homme qui m'a menacé de son couteau. Celui-ci est plus ferme, montrant qu'au moindre faux pas il est prêt à agir, mais pas vicieux. Et son odeur est totalement différente. L'autre sentait l'alcool à plein nez. Tellement que j'aurais pu être saoul rien qu'en restant en sa présence. Autour de l'homme dans mon dos, je sens l'odeur de la mer et du sang. Il aurait tué quelqu'un quelques minutes auparavant que ça ne m'aurait pas étonné. Cette constatation aurait dû m'effrayer, c'est certain, mais après avoir été en contact avec mon précédent ravisseur, je ne peux qu'être rassuré en présence de quelqu'un d'autre. En cours de route, mes pensées dérivent vers Ryeowook : je ne sais même pas s'il est là ou s'il est resté avec les autres. Je m'inquiète un peu pour lui. Je le connais depuis des années et il a toujours été à mes côtés, ne me lâchant pas d'une semelle.

Tout à coup, un bruit de vagues retentit à mes oreilles, attirant mon attention : est-ce qu'on aurait déjà atteint la plage qui borde le royaume ? Lorsque mes pieds s'enfoncent dans le sable humide, je n'ai plus aucun doute sur la question. Mon nouveau ravisseur me fait monter dans ce que je pense être une barque et je sens bientôt l'embarcation être secouée par les vagues alors que nous prenons le large. Il nous faut environ cinq minutes pour atteindre le bateau qui nous attend et sur lequel on me hisse. Mon ravisseur me pousse ensuite dans le dos pour me forcer à avancer avant de me faire brusquement m'arrêter et me mettre à genoux sur le sol en bois.
« -Alors, qu'avons-nous là, interroge une voix chaude et légèrement provocante.
-Ceux qui nous avaient volés les avaient en leur possession, capitaine. On n'en sait pas plus, répond une voix à l'accent chinois.
-Très bien, Han Geng. Enlève-leur le bandeau. »

Le tissu qui couvrait mes yeux disparait aussitôt l'ordre donné et je découvre enfin le décor dans lequel je me trouve. Un bateau imposant, armé de nombreux canons. Un pont bien entretenu malgré le fait qu'un drapeau pirate s'y trouve posé. Mes yeux se posent ensuite sur l'homme qui me fait face. Son corps fin est couvert par un pantalon de toile noir, maintenu par une ceinture à laquelle pendent un sabre court et un pistolet, et une chemise blanche, légèrement teintée de rouge au niveau du poignet droit et laissant entrevoir son torse musclé. Mes yeux s'attardent quelques secondes sur ce bout de peau découvert avant de remonter vers son visage. Et quel visage... Avec son air arrogant et fier et ses cheveux blonds savamment décoiffés par le vent, j'en reste sans voix. Mon cœur accélère brusquement dans ma poitrine et les sons me parviennent étouffés. Je le vois alors se rapprocher de moi, un sourire dévoilant ses gencives, et s'accroupir devant moi avant d'attraper doucement mon menton entre ses doigts.
« -Qui es-tu, souffle-t-il alors que mon cœur s'arrête brusquement de battre face à notre proximité. »

Que faire ? Mentir ? C'est surement la meilleure solution.
« -Je suis le fils d'un marchand de coton, répondis-je peu sûr de moi.
-Et pourquoi aurais-tu été enlevé si c'est bien le cas ? Les pirates n'enlèvent que les nobles, qui peuvent leur amener l'argent d'une rançon.
-Je les ai entendus dire qu'ils voulaient se distraire, chuchotai-je.
-Je dois avouer qu'ils ont plutôt bon goût pour leurs distractions. YeSung, occupe-toi d'interroger l'autre. HanGeng, emmène celui-ci dans ma cabine et occupe-toi bien de lui. J'arrive tout de suite. »

L'homme derrière moi me relève sans violence et m'entraine avec lui dans la partie protégée du bateau. Il nous fait longer un long couloir et me pousse dans la dernière pièce, tout au fond du couloir. La cabine du capitaine. Un bureau en bois de chêne couvert de cartes et de documents en tous genres. Une armoire fermée mais qui doit certainement contenir des habits. Un tapis épais de couleur beige. Un globe terrestre posé sur un pied à même le sol. Des tableaux magnifiques, surement volés dans des pays lointains à un quelconque noble ou bourgeois. Et un lit deux places caché en partie par un rideau de soie presque transparent tiré sur les côtés visibles depuis l'endroit où je me situe. L'homme qui m'a mené jusqu'ici passe devant moi et se dirige vers l'armoire pour en tirer une chemise blanche, tout comme celle du capitaine et un pantalon, également blanc. Je peux enfin observer l'homme de face. Les cheveux courts et noirs, un visage fin et plutôt séduisant, assez grand. Il porte une chemise noire en coton et un pantalon en cuir de la même couleur.
« -Tu peux aller te nettoyer dans le bain, dit-il en me désignant un baquet vide. L'eau pour le bain ne va pas tarder à arriver. Je te laisse ces habits pour tout à l'heure.»

J'observe un instant mon habillement : effectivement, ma chute m'a mis dans un état assez lamentable. Il détache mes poignets et sort ensuite de la pièce alors qu'un autre homme y pénètre. Le nouvel arrivant est à peu près de la même taille que l'homme aux accents chinois et a l'air plus jeune et moins habitué à se battre. Mais il a dans le regard une lueur bien plus dangereuse : un homme dont il faut se méfier. Il est accompagné par un autre homme bien plus âgé que ceux que j'ai pu voir ici depuis mon arrivée qui verse l'eau qu'il transporte dans un baquet avant que tous deux ne sortent de la pièce sans un mot. Je me décide alors à quitter mes habits et me glisse dans l'eau chaude qui efface peu à peu les traces de mon enlèvement et détend mon corps crispé. J'y reste jusqu'à ce que l'eau ne devienne trop froide, puis me relève et attrape le tissu laissé à ma disposition pour que je puisse me sécher. J'enfile ensuite mon caleçon et le pantalon indiqué par le pirate.

Alors que je m'apprête à enfiler la chemise, je sens une main se poser sur ma hanche droite et une autre attraper mon menton pour m'empêcher de tourner la tête. Un corps vient alors se coller à mon dos nu.
« -Depuis quand le fils d'un marchand de coton porte la marque de la famille royale, glisse à mon oreille une voix glaciale que je reconnais comme étant celle du capitaine de ce bateau. »

Je me fige brusquement et mon corps se met à trembler sous la menace cachée derrière sa constatation. Je suis fini...

Un Pirate Ne Rend Jamais Les ArmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant