Ayame

149 15 15
                                    




Pourquoi tout va si vite?



Le claquement des talons sur les pavés cabossés est le seul bruit que l'on entend dans la ruelle sombre. Je me sens perdue. Pourtant, je sais où je vais.

La pluie est silencieuse et abondante ce soir. Des gouttes ruissellent sur ma cape, ondulante derrière moi, et s'infiltre à travers le tissu. L'eau froide atteint ma peau encore chaude et je frissonne à ce contact. Je n'ai jamais vraiment aimé la pluie. Je me demande pourquoi, puisqu'en ce moment, étrangement, elle m'apaise. Cette pluie dissimule les larmes qui glissent lentement le long de mes joues.

Un bruit métallique retentit brusquement dans le silence, je rabats ma capuche de plus belle. Personne ne doit me reconnaître ; cela ferait scandale. Tête baissée, je continue mon chemin sans me retourner alors qu'une ombre passe près de moi. Ce n'est qu'un chat, heureusement pour moi. Je regarde autour de moi pour m'assurer qu'il n'y a personne, mais je suis bien seule. Mon rythme cardiaque ralentit, alors que je maudis cet importun de m'avoir fait peur. Alors qu'il fuit déjà à travers les fumées des tavernes,  je sors ma montre de ma poche. L'heure tourne, il doit déjà m'attendre.

Le bout de la ruelle n'est plus qu'à quelques mètres. Des éclats de voix résonnent jusqu'à moi, et le mélange d'odeur présent dans l'air m'enivre les narines. Je respire profondément et me délecte de ces effluves de viandes trop cuites, de tabac, et d'hommes ivres, que je trouvais agaçantes autrefois, mais qu'aujourd'hui, j'adore. Ce parfum singulier m'amuse plus qu'il ne le devrait et le sentiment d'interdit qui l'accompagne me réjouit. Pourtant, pour la première fois, une profonde mélancolie s'y mêle lorsque je réalise que c'est peut être de la dernière fois que je le sens.

La place, sur laquelle l'étroit chemin débouche, est entourée de nombreux commerces. Il est tard, mais pourtant, la plupart d'entre eux sont ouverts et le resteront jusqu'au petit matin. Notamment, les nombreuses tavernes regorgeantes d'âmes en effervescence, qui font de cette endroit l'un des lieux les plus vivant de tout le port.

Une enseigne de bois se balance sous la pluie battante, elle semble déjà vieillie par le temps et dans l'obscurité on peut à peine y lire La Fraternelle ; c'est là où je me rends. Plus que quelques pas. Des lumières se reflètent dans les flaques, traversant les carreaux embués du bar animé. Si mon père savait où je suis en ce moment, il me tuerait. Personne ne doit le savoir, surtout après la une des journaux de ce matin. Tout le monde est déjà au courant pour le mariage, je n'ai pas besoin d'attirer l'attention outre mesure.

Avant de pousser la porte, je marque une hésitation. Et si on me reconnaissait ?

Non Ayame, tu dois entrer. Tu as prévu de quoi faire, et surtout, tu le lui as promis.

J'inspire un grand coup et ma main dégoulinante tourne la poignée glissante. La porte grince légèrement à l'ouverture et j'entre trempée à l'intérieur de l'auberge, dont la chaleur m'accueille à bras ouverts.

Quel étrange sentiment de liberté. Ici, des hommes d'âge mûr s'attellent au jeu, ne comptant plus les verres qui s'empilent sur le bord de la table. L'espace est étroit, vieux, et sens le renfermé. Je n'ai bel et bien rien à faire ici. Et pourtant je m'y sens libre, vivante comme jamais.

Le comptoir est au fond, je me glisse entre deux tables où un groupe d'hommes rougeauds jouent aux cartes. À voir la maladresse de l'un d'entre eux, et le regard avide des autres vis à vis du peu de femmes présentes ici, je m'interroge encore sur les raisons de ma venue. Je suis tellement différente de ce monde... Mais loin, très loin au fond de moi, je sais que j'ai besoin d'un endroit comme celui-ci pour m'échapper de temps à autre de ma réalité.

AveriyahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant