Chapitre 2

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« Cela s'était fait progressivement. Pour en arriver là. Sans qu'elle s'en rende vraiment compte. Sans qu'elle puisse aller contre. Elle se souvient du regard des gens, de la peur dans leurs yeux. Elle se souvient de ce sentiment de puissance qui repoussait toujours plus loin les limites du jeûne et de la souffrance. Les genoux qui se cognent, des journées entières sans s'asseoir. En manque, le corps vole au-dessus des trottoirs. Plus tard, les chutes dans la rue, dans le métro, et l'insomnie qui accompagne la faim qu'on ne sait plus reconnaître.Et puis le froid est entré en elle, inimaginable. Ce froid qui lui disait qu'elle était arrivée au bout et qu'il fallait choisir entre vivre et mourir »

                                                #Delphine De Vigan-Jours sans faim

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Aujourd'hui le temps est un peu gris. Ma mère n'est pas là, elle participe à un séminaire en Belgique et elle est partie avec mon frère. Du coup je suis restée seule. Je ne me sens pas trop bien. J'ai en quelque sorte une boule au fond de la gorge. Je sens que je vais m'étouffer. Hier, à la bibliothèque, un garçon m'a demandé si je savais écrire. Sans doute il avait remarqué le calepin dans lequel je griffonnais. Je lui ai répondu que oui. J'avais une petite flamme d'espoir qui s'était allumé en moi. Enfin quelqu'un se souciait de moi. Ça m'avait fait plaisir, je jubilais intérieurement lorsqu'il m'a demandé de lire un peu de ce que j'écrivais. Mais sa réaction m'a envoyé valser. Du genre, complètement. « Comment tu fais pour écrire sur la solitude ? Personne ne peut écrire sur un sujet pareil ! Tu essaies d'écrire quelque chose de sensible mais c'est tout faux, j'en suis dégouté. » Ma réaction ? Je lui ai souri. Aussi simplement. Je lui ai souri. Et je suis partie. La technique c'est ça. Montrer que rien ne nous atteint. Même pas les mauvaises critiques. Enfin je n'y avais plus pensé. Jusqu'à maintenant. Au fait je ne sais vraiment pas pourquoi j'y pense... J'écris si mal que ça ? Mais peut-être qu'il a raison. Peut-être que je ne peux pas réussir dans l'écriture même si j'écris seulement pour me sentir bien, pas pour plaire aux autres. Peut-être que je devrais me chercher autre chose à faire quand ça va mal ? L'écriture est le seul moyen pour moi de ne pas partir. Partir en fumée.

Pourquoi c'est si difficile pour moi d'être comme tous les autres ? Je ne vais jamais à des soirées, je n'ai jamais bu une seule bière, je lis constamment, je griffonne, je me perds dans mes livres, je fantasme sur mon voisin qui porte toujours des t-shirts noirs qui lui vont à merveille, je n'ai pas une famille normale et ma mère n'est pas ma meilleure amie. Tout est si compliqué. Trop compliqué à mon gout... J'en ai marre. Il commence à pleuvoir. Je pense qu'il est peut-être temps que je termine le roman de Delphine de Vigan, Jours Sans faim. L'histoire de Laura m'intrigue un peu. Du coup j'ai envie d'être comme elle. Ah je t'ai complètement oublié toi. Tu ne l'as peut-être pas lu. Cela parle d'une fille, Laura. Qui a cessé de s'intéresser à la nourriture. Elle est devenue anorexique... J'y pense tous les soirs tu sais ? au fait que si je le voulais, je pouvais tout bonnement choisir de devenir une anorexique... Cette envie de renoncer aux aliments, aux boissons, a tout. Rester sans manger. Pour perdre du poids. J'ai envie d'être comme ces mannequins dans les Cosmopolitan, Marie-Claire et Elle. Je n'en peux plus... Tu sais ce qui est bizarre ? C'est que normalement je suis invisible pour les autres mais cela ne leur empêche pas de voir mon corps... Invisiblement visible dirais-je si j'avais à me décrire en deux mots. Ils me rappellent toujours que je ne fais que du mal à la terre à cause de mon prétendu poids et qu'avec ça, la piscine, les soirées entre jeunes devraient m'être interdits. Un jour où j'en avais particulièrement marre, je me suis coupée, genre, une longue trace sur le bras. Je suis peut-être folle mais je m'étais mise en tête que comme ça j'arriverais à retirer un peu de graisse. Je suis asthmatique, le sport et moi ne sommes pas amis...

Alors je disais. Penses-tu que ce soit une bonne idée si j'arrêtais de manger ? Comme ça je ferais moins de mal à la planète terre, peut être serais-je visible, peut être j'aurai des amis, une famille qui s'inquiète pour moi...un amoureux...Erich...Peut être qu'avec ça mon rêve pourra enfin se réaliser. Etre heureuse. Plus dans les rêves mais dans la réalité... Aide moi s'il te plait. Je me sens désemparée. Je sens que je perds le contrôle de moi-même. Je sens que plus aucun mécanisme n'est là pour empêcher quoi que ce soit dans mon cerveau... Rassures moi que je ne suis pas toute seule. Tiens-moi fort dans tes bras, comme ça je me sentirais vivante et j'aurai une bonne raison de continuer à espérer quelque chose de positif dans cette vie...Je te fais pitié ? Excuse-moi. Ce n'est pas de ma faute. Je te dégoute ? Ça non plus, ce n'est pas de ma faute. Désolée. C'est tout simplement plus fort que moi. Je ne trouve rien que le mur de la salle de bain comme soutien. Je ne trouve que la froideur du carrelage contre mon dos et la tiédeur de mes larmes coulant sur mes joues sèches. Je n'ai même pas assez de force pour émettre le moindre petit son. Je n'ai aucun appui à part peut-être toi qui es en train de me regarder. Je me noie. Je t'en supplie. Aide-moi. Tu es la seule aide qui puisse exister dans ce monde. Peu importe ce que tu ressens pour moi actuellement. Je ne te demande qu'une chose.

Dis-moi que tu me vois. Dis-moi que tu es là pour moi. Dis-moi que je peux compter sur ton aide....

Attends tu penses sérieusement que j'étais aussi désespérée à ce point ? Au point de te demander ton aide ? Qui es-tu ? Je ne te connais même pas. Rien ne me dit que ça t'intéresse de me lire tu sais. Je n'ai confiance en personne. Absolument personne ok ? De toute façon cela ne te fout peut-être rien que je meure ou non. Tu es derrière un écran et tu es en train de lire une pauvre petite fille en détresse. Vas-y je suis sûre que tu as eu ce genre de pensées en tête : « On s'en fout de toi pauvre fille ». « Tu fais pitié » ou ah la plus drôle « Si tu as besoin d'être connue va sur Facebook ou exposes toi le corps sur Instagram ». MERCI.

Alors là je dois vraiment te dire que tu me déçois. Genre vraiment. Tu es absolument dépourvu de cerveau si tu as pu penser que j'étais aussi faible au point de penser à la mort parce que tout simplement je suis grosse ? Ouais j'avoue je n'aime pas mon corps mais c'est pas une raison d'être anorexique, d'être un paquet d'os qui ne peut ni se coucher, ni s'asseoir ni rien.

Tu es pitoyable. Tu sais quoi ? Je t'enmerde.


The LonelyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant