Partie 1: chapitre 8

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-En ces temps là -continua Oki, et Viane eut l'impression qu'il aurait continué quand même, même sans l'accord tacite du roi-. Nortie n'existait pas encore comme un pays, mais la Grande Forêt était déjà là Grande Forêt. Mais les gens ne le savaient pas, car ils n'étaient pas encore arrivées jusqu'ici. Ils vivaient sur des terres plus au sud, de climat chaud, de longs étés et d'hivers doux.

   >>Mais un jour, vers la fin de l'automne, un voyageur traversa pour la première fois le turbulent fleuve de Pèdrefroide et s'enfonça dans les larges plaines qui constituent aujourd'hui votre royaume. Il était le dernier d'un clan qui avait été détruit par ses rivaux. Tant qu'il était en vie pour réclamer l'héritage, ses ennemis n'arrêteraient pas de le chercher, et pour ça il s'était vu obligé de fuir dans un endroit où personne ne pourrait le trouver, loin de toute terre connue, plus loin des limites tracées par les cartes. Il avait devant lui un avenir incertain, mais il laissait derrière une mort certaine, et pour cela il n'hésita pas a traverser le fleuve et poursuivre le chemin vers le monde froid et inhospitalier qui l'attendait sur l'autre rive.
  >>Asurément, c'était un homme courageux, mais pas fou ; il s'arrêta donc à l'orée de la Grande Forêt et contempla avec peur les hautes cimes, les ombres impossibles qui dansaient dans l'obscurité, le labyrinthe de sentiers sinueux qui se perdaient dans l'ombre. Il n'osa pas s'y enfoncer, même s'il doutait que ses ennemis le trouvent là-bas. Au lieu de ça, il continua de fuir vers le nord, longeant la Grande Forêt- ce fut probablement la première personne à l'appeler comme ça- pour chercher fortune en des terres plus septentrionales.
    >>Ainsi donc, il campa tout près de l'épais bois, décidé à ne pas se laisser effrayer par les étranges bruits qui en sortaient. Il dîna un repas frugal ; et quand il fut prêt à dormir avant de continuer à fuir... Une silhouette voutée surgit de l'obscurité.
Un murmure d'inquiétude parcouru la salle. Oki laissa son public se poser des questions sur l'identité du mystérieux visiteur, mais seulement pendant un court instant. Il poursuit ensuite, imitant avec talent les voix des personnages :
    >>"Qui êtes vous ?" ... "Seulement une pauvre vieille qui s'est perdue dans les parages, monsieur" ... "Et d'où venez-vous, madame ?" ... "Oh, pas de très loin monsieur, pas de très loin... Mais j'ai faim et froid. Me permettrez vous de partager votre feu et votre pain pour une nuit ?" . Le voyageur hésita à croire les paroles de la  femme car il doutait qu'il y ait un village dans les environs. De toutes façons, poussé par la compassion, il l'accueillit finalement près du feu et lui offrit un crouton de pain avec un reste de fromage. Après tant de temps de fuite solitaire, il appréciait un peu de compagnie humaine, même si c'était celle d'une vieille femme comme celle-ci.

    >> Car en effet, nobles amis, l'ancienne était indescriptiblement laide : son visage ridé était plein de verrues, elle avait un nez crochu plein de poils et était borgne. Seuls quelques cheveux gris ornaient son crane dégarni et son corps était sec et bossu. Elle sourit, lui montrant les quatre dents qui  lui restaient, en voyant l'expression de dégout de son bienfaiteur. "La vie ne m'a pas fait de cadeaux, monsieur", lui dit elle. "Et j'espère ne pas être en train d'abuser de votre générosité si je vous demande que vous me permettiez m'allonger à vos côtés cette nuit..." 

-Ah ! Au final c'était quand même une histoire d'amour ! -s'exclama alors Bélicia, faisant éclater de rire le public. Mais elle se tût rapidement quand Oki la fusilla du regard. Elle avait oublié quelque chose très importante avec le troubadour : il détestait qu'on l'interrompe.

    -"...si je vous demande que vous me permettiez m'allonger à vos côtés cette nuit -continua Oki quand les rires s'arrêtèrent- car il fait très froid, et mes pauvres os me font mal".

Le voyageur était sur le point de refuser mais, une fois de plus, il fut pris de compassion. "Fais ce que tu veux" dit-il. Il s'enroula dans sa cape et s'allongea près du feu. Bientôt il sentit que la vieille femme se recroquevillait contre son dos, il sentait sa respiration douloureuse, ses cheveux qui lui chatouillaient la nuque et il pouvait même sentir l'odeur putride qu'elle dégageait. Mais il ne dit rien. Il ferma les yeux avec force, s'enveloppa du mieux qu'il put sous sa cape et essaya de dormir. Ce fut difficile, car la femme n'arrêta pas de ronfler, tousser et péter pendant toute la nuit. Mais le voyageur fatigué ne trouva pas le "courage" pour lui dire de partir, la nuit étant vraiment très froide. Il réussit enfin à s'endormir, quand il ne restait plus que quelques heures pour le lever du jour.

    >> Quand il se réveilla, fatigué et courbaturé, il ne vit pas la vieille femme. Déconcerté, il rangea ses affaires et alla se laver a la rivière. Vous pouvez imaginer sa surprise quand, en se penchant au dessus de l'eau, il vit dans son reflet le visage d'une jeune fille extraordinairement belle qui lui souriait. "Qui êtes vous, belle demoiselle, et que faites vous dans l'eau ? Seriez vous par hasard une vision ou un délire de mon esprit exténué ?"..."Je suis", lui répondit-elle, "la vieille femme que vous avez aimablement accueilli hier soir".

     Les invités ne purent retenir une exclamation de surprise. Au contraire, Viane avait anticipé ce dénouement. Sa mère lui racontait beaucoup d'histoires quand elle était petite, et dans certaines d'entre elles des créatures magiques se présentaient devant le héros sous une apparence humble et repoussante pour provoquer la bonté de son cœur. "Elle lui offrira maintenant un prix pour sa compassion", se dit Viane.

 - Le voyageur ne pouvait pas croire les paroles de cette femme si belle -continua Oki-.

"Mais comment est-ce possible que vous ayez autant changé en une nuit ?", lui demanda-t'il. Elle rit, d'un rire cristallin, comme le ruisseau lorsqu'il descend des cimes les plus hautes. " Car les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent, cher ami. particulièrement celles qui sortent de ce bois. Et comme vous avez prouvé que vous êtes bon et fidèle à parole donnée, je vous ferait cadeau d'un don qui vous aidera à vous débarrasser de vos ennemis". Le voyageur pensa que, sans doutes, une femme qui pouvait changer d'apparence de manière si surprenante devait avoir les moyens de deviner ce qu'il ne lui avait pas dit. Peut-être qu'elle était une fée où une sorcière. Cette possibilité l'inquiéta, mais il se sentait tellement captivé par ses beaux yeux verts qu'il ne broncha pas. "Et comment allez-vous le faire, ma dame ?", voulut-il savoir. Ses yeux s'assombrirent légèrement et son visage devint grave, elle était sur le point de révéler un des secrets les mieux gardés de la Grande Forêt. "Vous devrez être courageux", lui dit-elle, "et voyager au cœur de cette forêt, là où les arbres chantent, où aucun être humain n'est jamais arrivé. Là bas vous y trouverez la légendaire source de la jeunesse éternelle. Si vous buvez une gorgée de cette eau, vous serez invulnérable pour toujours". Le voyageur était émerveillé, mais en même temps un peu sceptique. "Comment je peux savoir si ce que vous dites est vrai ?  Vous avez vous même affirmé que ce n'était qu'une légende". Elle répondit juste : "Vous devez avoir foi, mon ami, et rappelez vous que les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent". Et après avoir dit ces quelques mots, elle disparut.

Là Où Les Arbres ChantentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant