Là Où Les Arbres Chantent

Partie 1 : chapitre 9

Oki se tût d'un coup. Son public attendit quelques instants mais, comme il ne continua pas à parler, le roi lui demanda :

  - Et c'est tout ? C'est ça la fin de l'histoire ?

  - Qu'arriva-t'il au voyageur ? -voulut savoir le prince Bériac-. Est-ce qu'il trouva la source de la jeunesse éternelle ?

   Oki lui dédia une grimace qui aurait pu être un sourire.

  - Ça on ne le sait pas, Altesse -répondit-il-, car personne n'a suivi ses traces depuis. La légende dit  que ses ennemis ne réussirent jamais à l'attraper, mais elle ne précise pas si c'est parce qu'il devint invulnérable ou si, par contre, c'était du au fait qu'il ne sortit pas vivant de la Grande Forêt.

  - Alors -osa demander Viane avec timidité-, la dame lui a menti pour qu'il suive le mauvais chemin ?

Les yeux d'Oki contemplèrent la jeune fille avec approbation.

   - Peut-être -admit-il-, tout le monde sait qu'il faut se méfier des cadeaux empoisonnés des fées.

Le roi grogna quelque chose et remua sur sa chaise, il était clair que la fin du conte l'avait déçu. Mais, même lui n'osa pas questionner le grand Oki; il acquiesça avec la tête, comme si ça lui semblait bien, puis il le gratifia d'une salve d'applaudissements. Le reste des invités l'imita et le troubadour les remercia d'une révérence.

   - Assieds-toi à table avec nous, Oki -le convia le roi, comme il le faisait chaque année.

  Et, comme chaque année, Oki déclina l'invitation.

   - Je me sens très honoré, mais, si ça ne vous dérange pas, je préfère manger avec le service.

Le roi ne s'offensa pas. Avant que lui, son père lui avait fait la même offre et avait reçu la même réponse, année après année. En fait, si un jour Oki acceptait l'invitation, il serait le premier surpris.

   - Va-t'en donc, avec notre bénédiction -dit-il- et que l'on te serve en cuisine tout ce dont tu as besoin pour te rassasier, car aujourd'hui, ami Oki, tu l'as bien mérité. -C'était aussi une formule du rituel, mais Viane eu l'intuition qu'il ne le pensait pas vraiment, du moins pas cette nuit.

   Oki s'inclina une nouvelle fois devant les nobles et abandonna la salle. Viane pensa avec une pointe de tristesse qu'elle ne le reverrait plus avant l'année prochaine.
   Quand on n'entendit plus le son des grelots et clochettes du troubadour, le roi tappa des mains sur la table. 

   - Et maintenant -annonça-t'il- nous allons continuer à célébrer ce banquet. Musique !

   - Non -l'interrompit une voix âpre depuis l'entrée-. Pas de musique. Pas ici, pas maintenant. 

   Tous les invités se retournèrent, stupéfaits, vers la porte, par laquelle entrait un homme aux traits durs, aux cheveux noirs qui grisonnaient déjà vers les tempes, et au regard transperçant. Viane l'observa, toute surprise, pendant qu'elle se demandait qui il pouvait bien être, vu qu'elle ne se rappelait pas l'avoir déjà vu à la cour, et elle eu un frisson en voyant qu'il lui manquait une oreille, peut-être un souvenir d'une des nombreuses batailles qu'il semblait avoir mené. Il se tenait de manière noble et orgueilleuse, mais il portait des vêtements en cuir souillés et abîmés plus propres à un chasseur qu'à un soldat. Il avait une épée à la ceinture, mais aussi un arc et un carquois à l'épaule.