Chapitre 20 (corrigé +)

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- Il y a encore eu deux meurtres, soupira Dageus assit contre le mur à un pas de Wyatt et Heilin.

Les mains de la jeune femme caressaient, sans vraiment y prendre garde, les cheveux soyeux de l'adolescent couché sur ses genoux. Les bras de ce dernier encerclaient sa taille comme s'il craignait la voir partir à tout instant. Chaque fois que la pulpe de ses doigts touchait un morceau de peau, des images affluaient dans son esprit. Ces dernières l'assaillaient sans répit, dévoilaient toute l'étendue des dégâts psychologiques dont le jeune garçon était victime. Une main plus grande et plus masculine arrêta sa course sur le visage du plus jeune. Heilin releva un visage dénué d'expressions mais dont les yeux se noyaient de douleur et de peur vers le maître du Panthéon.

- Tu te tortures !

Son regard se baissa sur leurs mains jointes. Ses doigts encerclaient les siens avec force. Aucune image ne vint envahir son esprit. Au lieu de cela, elle ressentit nettement cette entité en elle qui jaillissait par intermittence depuis quelques semaines et qui demandait plus. Plus de contacts avec les wastes qui s'activaient autour d'elle. Plus d'échanges avec l'Odin.

Plus de liberté.

La peur secoua ses entrailles.

- Quand vas-tu le lui avouer? Demanda-t-elle.

La question le prit totalement au dépourvu, le désarçonna, elle put le constater dans sa posture soudainement plus froide et figée.

Dageus resterait Dageus quoi qu'il se passe entre eux. Sa poitrine douloureuse se détendit dans un soupir long et profond. Cette affirmation la réconforta d'une certaine manière.

Elle détacha délicatement les bras de l'adolescent et se leva tout aussi silencieusement.

Alors qu'elle allait dépasser le Tigre-garou, elle s'arrêta.

- J'ignore comment c'est possible et je crois que je n'ai pas envie de le savoir maintenant mais...

Sans qu'elle sache réellement pourquoi, elle « sentait » qu'elle pouvait faire confiance à Dageus, malgré son sale caractère de mâle dominant.

- N'attends pas trop ou tu le perdras définitivement. Il a besoin de sa vraie famille.

Sans attendre de réactions, la jeune femme sortit de la chambre pour rejoindre Vesper qui l'attendait dehors. Les gardes postés à l'entrée la saluèrent d'un mouvement de tête. A leur regard, Heilin savait que sa présence les perturbait. Les wastes supportaient mal les nouveaux venus dans leur rang. Une question de confiance, sans doute.

Sans le savoir, ils renforcèrent cette amertume immonde qui logeait dans son cœur. La solitude de Wyatt, elle la comprenait mieux que quiconque, elle la vivait depuis des années.

Les gens de l'extérieur et la majorité des wastes ignoraient tout de l'isolement. Elle ne leur en voulait pas réellement.

Quand on vit dans une famille unie, la souffrance des autres vous touchent peu voir pas du tout. Vous ne vous rendez pas compte de votre chance.

Elle, elle se levait tous les jours, allait se battre pour protéger ces individus et obtenait du mépris en retour. Pour avancer dans une enquête importante qui ne la touchait même pas - ou si peu -, elle devait se plier à ces gens, à leurs règles tordues, à leur besoin deprotection étouffant. Pourtant travailler en tant que Headhunter n'était pas le plus difficile. Le plus dur, c'était de continuer à vivre seule, de se dire que même si l'envie de mourir la tenait à la gorge, elle devait vivre, qu'elle irait simplement se coucher et que ça irait mieux quand elle dormirait.

Si tu réussis à survivre aujourd'hui, tu le peux aussi demain, non?

Elle ne l'avouerait jamais mais ça la rassurait énormément de savoir qu'une personne veillait sur Wyatt. Cet enfant souffrait tellement depuis qu'elle l'avait tiré des docks. Ne plus être sans cesse sur le qui-vive le soulagerait énormément.

Une pression entre ses deux yeux la sortit de ses pensées moroses. Le sourire de Vesper manqua l'éblouir.

- Tu penses encore de trop.

Elle leva les yeux au ciel en souriant à son tour, emportée par la bonne humeur du jeune homme.

- Comment pourrait-on trop penser? Se moqua-t-elle en roulant des yeux.

Son rire clair acheva de chasser ses sombres songes.

- Que fait-on aujourd'hui?
- Retour chez les léopards, grinça-t-elle, le regard sombre, les dents serrées. La dernière fois, Alpheus a noyé le poisson, mais cette fois-ci, je veux des réponses à mes questions.

Vesper acquiesça. Il conduisit en silence. Elle appréciait ce trait de caractère chez son coéquipier. Là où Matt insistait durant des heures, Vesper, lui, se contentait d'un regard lourd de sens et d'attente. Elle finissait toujours par craquer, bien plus rapidement qu'avec son ex-meilleur ami. D'ailleurs, elle prévint ce dernier de leur arrivée par message.

Vesper gara la voiture à quelques mètres de l'entrée du refuge des Léopards. La sentinelle à l'entrée, faux vendeurs de beignets et de caramels,leur jeta un regard peu aimable. Heilin le leur en envoya un tout aussi hargneux. Depuis son départ du Panthéon, elle se sentait au bord de la rupture, entre pleures et cris de rage incontrôlables.Quelque chose au fond d'elle tournait en rond. Quelque chose qui restait cachée. Quelque chose qui se tordait d'impatience. De la faim, de la colère, de la haine... Une cruauté primale...

JE VEUX SORTIR!

Elle ne dû son salut qu'au mur qui l'empêcha de tomber la tête la première sur le sol boueux. Elle frotta vivement son visage qui tiraillait douloureusement. Sa peau devenait hyper sensible, ses sens se renforçaient jusqu'à l'insupportable.

- Heilin?

Vesper la fixait, inquiet.

- Ça... Ça va, bredouilla-t-elle. Je n'ai pas déjeuné.

Il haussa un sourcil en réponse mais lui tendit la main pour l'aider à se rétablir sur ses pieds. La jeune femme inspira profondément et expira plusieurs fois pour calmer ses nerfs.

Comment l'entité en elle avait-elle trouvé le moyen de se manifester plus violemment encore ? Qu'est-ce que cela signifiait sur le long terme ?Ses doigts touchèrent la morsure à sa nuque. Le sentiment habituel de calme l'envahit. Elle emboîta le pas à son coéquipier toujours inquiet.

Alpheus les attendait aux pieds des marches qui menaient à son antre. Matt se tenait un peu en retrait. Son visage l'effrayait presque: trop fin,mal rasé, ses yeux bleu quasi blanc enfoncés trop profondément dans leurs orbites, ses cheveux bruns trop longs et mal lavés. La Headhunter l'inspecta plusieurs minutes, incapable de savoir si elles'inquiétait vraiment ou s'il ne s'agissait que des vestiges d'une amitié trop intense.La Caelestis des léopards l'accueillit sereinement. Elle descendit les deux dernières marches et leur passa devant. Heilin lui emboîta le pas, bien décidée à obtenir des réponses et à ne plus suivre les délires stupides de la vieille femme.

La morgue des léopards se situait près de la demeure de la Caelestis et ne possédait rien de ce que l'Academy n'aurait pu se procurer. En fait, Heilin trouvait l'endroit plutôt vétuste et trop simple dans ses outillages.

- Nous n'avons pas besoin de toutes les installations humaines pour découvrir comment est mort l'un des nôtres, expliqua Matt comme s'il lisait ses pensées.

La jeune femme ne commenta pas et poursuivit son chemin jusqu'à une pièce plus grande dans laquelle se trouvaient quatre personnes en tenue de médecin. 

- Voici notre médecin.

Celui-ci salua sa chef avant de se tourner vers les deux Headhunters et de serrer leurs mains l'une après l'autre.

- Il y a encore eu un mort, marmonna la toubib en se tournant vers Alpheus. Mais cette fois, on a eu une de ces saloperies.



Helldown #1 - Ville de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant