Chapitre 2: Lucie

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10H00. La sonnerie retentit. Les fauves sont lâchés. On se retrouve avec Justine, Maxime, Clément, et Elsa devant le bâtiment du CDI.

Il faut savoir que ces deux derniers sont jumeaux et aussi deux très bons amis à Justine et moi. Quant à Maxime... Eh bien à mes yeux il est juste le petit-ami de ma meilleure amie. Nous n'avons rien en commun. Nos discussions sont tournées vers la nouvelle, qui d'ailleurs se trouve à deux cents mètres de nous, assise seule sur un banc, juste à coté du préau, et il me semble qu'elle nous observe, au grand désespoir de Justine:

- Tu as vu ça Valou? Elle nous observe, dit-elle.

- Bah elle ne t'entend déjà pas, alors si en plus elle n'a pas le droit de te regarder, lui fait remarquer Clément.

Cette remarque un brin ironique m'a fait sourire, c'est du Clément tout craché. C'est pour ça que je l'adore, et en plus c'est un excellent guitariste. On est dans un groupe tous les deux, Les Têtes Brûlées, on fait principalement de la chanson française, et du rock, et je ne l'ai pas encore dit, mais je chante, et joue de la guitare et à mes heures perdues du piano.

- Clem a raison, reprend sa soeur, après tout elle est sûrement sympa.

- Quoi?! Vous voulez sympathiser avec "celle-qui-ne-parle-pas"? s'exclame Justine. Parle Valou! Tu n'as encore rien dit, s'emporte-t-elle.

- Il n'y a pas avoir de débat, elle est comme toi et moi sauf qu'elle a une façon différente de la nôtre de communiquer, et je pense aussi une autre culture, lui dis-je, l'air serein et sûr de moi.

Mais avec Justine, tous les débats sont à sens unique malheureusement. Et si tu n'es pas d'accord avec ses propos, elle est capable de ne pas te parler pendant des semaines, voir des mois. Crois en mon expérience! Alors, pour mettre un terme à cette discussion inutile, je reprend:

- Elle est nouvelle, et ne connaît personne, c'est donc à nous de faire le premier pas, non?

- Bah va faire le premier geste tout seul, on t'observe, me dit ma meilleure amie.

Sans relever la vanne de mauvais goût de Justine, à laquelle j'avais quand même sourit intérieurement, je prends la direction du banc sur lequel est assise Lucie, avec une démarche hésitante, pour ne pas dire tremblante. Quand j'arrive à son niveau, tout bêtement je lui dis:

- Hé hé, ça va?

Elle me regarde, comme si j'étais un clown à ses yeux, c'est alors que je comprends que je ne dois pas être le premier idiot à lui parler alors qu'elle n'entend rien. Elle sors donc un petit bloc-note et un stylo bille de son sac, et écrit ce mot si simple et qui maintenant pour moi signifie plein de choses:

- Bonjour.

Elle me tend alors le tas de feuilles reliées:

- Bonjour, lui réponds-je.

- Quel est ton nom? écrit-elle.

- Je m'appelle Valentin ou Valou pour faire plus court, en ajoutant un smiley qui sourit sur le papier.

- D'accord, je m'appelle Lucie.

Et là le plus étonnant, la chose à laquelle je ne m'attendais pas, elle pose le bloc-note et le stylo à côté d'elle sur le banc, et avec sa main droite elle forme une sorte de L avec son pouce et son index et le fait fait glisser le long de ses longs cheveux noirs, tout en remuant les lèvres mais aucun son ne sort de sa bouche. Je comprends qu'elle veut dire Lucie en Langue des Signes. Alors, impressionné, stupéfait, et intrigué, je répète ce geste, ce signe, ce mot, qui change ma vision des choses.

J'ai réussi! J'ai fait le premier pas vers elle, on a échangé quelques mots sur un vulgaire papier, et elle, cette fille qui ne me connait pas, que je ne connais pas, a cassé la barrière. Elle a brisé en milles morceaux ce mur qui se dressait devant nous, celui de la différence et aussi de l'intolérance, rien qu'en me disant son prénom dans sa langue! Pour certains ça paraît ridicule, mais pour moi ça veut dire beaucoup.

La sonnerie retentit de nouveau, et comprenant que pour elle, rien ne change au silence qui l'entoure, je lui fais signe de venir, et lui indique d'un signe de l'index pointant vers le haut, elle hoche la tête pour me dire qu'elle a compris. Elle fait alors avec ses deux index, un geste. Elle les met à l'horizontal, au niveau du côté droit de sa tête, et les agite deux fois. Elle reprend son bloc-note, et écrit le mot "Sonnerie", je répète avec elle, puis elle rajoute en dessous "C'est pour cela que je vous observais, toi et tes amis, pour savoir quand la sonnerie retentit, et vous voir vous diriger vers la salle". Ah la tête que fera Justine quand elle saura! Alors je souris à Lucie et la laisse passer devant pour retourner en cours.

On rentre, on s'installe. Deux gestes qui vont devenir routinier à partir de maintenant, et ce jusqu'au mois de juin. Justine rentre parmi les derniers élèves, avec Clément et Elsa, puis s'installe et me dit:

- Alors celle-qui-ne-parle-pas? Elle est sympa?

- Arrête de l'appeler comme ça! On dirait que tu parles de Voldemort. Et puis, elle parle, une langue que tu ne connais pas et que tu ne comprends pas, c'est tout. Elle est comme nous je t'assure.

- Ouh là! Maître Valou a parlé, ironise-t-elle.

On ne peut s'empêcher de rire tous les deux. Justine c'est aussi ça, elle paraît froide envers ceux qui ne la connaissent pas, mais dans une semaine ça lui aura passé. Il faut savoir qu'elle n'a pas vraiment eu d'éducation, elle voit ses parents tous les tremblements de terre, car ils voyagent beaucoup pour leur travail. Du coup c'est sa voisine qui l'élève, Madame Jantier, une dame d'une gentillesse exceptionnelle.

Monsieur Vincent réclame le silence, d'une voix calme et posée, et tout le monde lui obéit. Il doit avoir des pouvoirs hypnotisants, ou je ne sais quoi d'autre, mais en tout cas ça marche. J'observe Lucie, qui se trouve à ma gauche, elle ne fait rien, je suppose qu'elle doit s'ennuyer ici. J'essaie de me mettre à sa place, voir un prof gesticuler, articuler, observer ses camarades, et le tout sans rien pouvoir faire afin de comprendre ce qu'il se passe.

Justine me donne un coup de coude dans les côtes pour que je revienne dans cette salle de classe, le lundi 05 septembre, jour de rentrée, et que je me concentre sur ce que dit mon enseignant. Ou plutôt, venant de la part de ma meilleure amie, je dirais plus que c'est un acte de jalousie envers Lucie. C'est ça les filles, jalouses pour rien du tout. Je ne relève pas ce geste et obéis.

L'enseignant croit nous apprendre qu'à la fin de l'année il y a le BAC, et qu'il faut à tout prix l'avoir, que c'est notre avenir qui s'y joue, et blablabla. Décidément cette année de philo s'annonce géniale!

12H00. La sonnerie retentit pour la dernière fois de la matinée. La cantine va être inondée par une bande d'adolescents affamés et qui vont tout dévaster sur leur passage. Avec Elsa, Clément, et bien sûr Justine, nous nous dirigeons vers notre repas tant mérité. J'observe Lucie, qui nous suit, au grand malheur de Justine.

A la faveur de personneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant