Chapitre 3: Un repas froid

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12h20. Nous venons enfin de nous installer à une table de six personnes. Je guette Lucie afin qu'elle mange avec nous et non seule. Je la vois. Elle semble perdue, mais elle est si belle. Je ne pourrais la décrire. La lumière du soleil, traversant les immenses fenêtres de la pièces, la rend splendide. Elle passe, comme je le souhaitais, à côté de notre table, je lui fais signe de venir s'asseoir avec nous. Elle sourit, et c'est la mine ravie qu'elle prend place à ma droite. La place à ma gauche étant occupée par Justine, qui à ma grande surprise n'a pas contesté.

Lucie donne quatre petits coups sur la table avec son poing droit. Je cherche en vain la signification, mais apparement Elsa a compris:

- Oh mais ça veut sûrement dire bon appétit! s'exclame-t-elle.

- Tu crois? lui dis-je.

- Demande lui, répond Justine agacée.

Je prends alors le set de mon plateau, et sors un stylo de mon gilet. Et j'écris:

- Bon appétit?

Lucie hoche la tête, et on répète son geste, même Justine! A ce moment là Maxime nous rejoint, après avoir fumé sa satanée cigarette. Il s'installe en face de notre nouvelle amie, et commence à lui parler, apparemment cet idiot a oublié qu'elle est sourde. Lucie me regarde, comme si je pouvais faire quelque chose.

- Andouille, elle est sourde, s'empresse de lui rappeler sa petite amie.

- Ah bon?

- Dis, il t'arrive d'écouter quand le proviseur parle, continue Justine.

Maxime n'ose pas répliquer. Et là c'est foutu, si tu laisses gagner Justine, elle te mène à la baguette. J'écris sur mon set, à la suite, un court résumé de la situation à Lucie, en précisant que Maxime est une belle andouille, ce qui la fait rire.

Justine et Maxime quittent la table, et comme toujours, Elsa suit son amie, alors Clément se lève, me laissant avec Lucie. Ce qui n'est pas pour me déplaire.

Lucie ressort son bloc-note avec cette question:

- Qu'est ce que j'ai fait pour que ton amie me déteste?

- Elle ne te déteste pas, c'est juste qu'elle se méfie des gens qu'elle rencontre.

Ce qui au fond est à moitié vrai, puisque la jalousie de Justine reprend le dessus.

Ma nouvelle amie, rajoute de sa belle écriture:

- Tu veux faire quoi après ton BAC?

Décidément, tout le monde n'a que ce mot à la bouche. A vrai dire je n'y ai pas vraiment réfléchi, quel métier j'aimerais exercer? Je ne sais pas, je ne suis pas bon à grand chose. Peut-être la musique, l'écriture. Mais dois-je en parler à Lucie? Ne serait-ce pas un peu déplacé de lui parler de choses qu'elle ne peut pas comprendre? Je choisis donc de garder le silence, ou plutôt de laisser l'encre se relaxer et écrire seulement:

- Je ne sais pas. Et toi?

- J'aimerai être prof de LSF et donc aller à la fac.

LSF? Langue Significative Fondamentale? Non ça ne doit pas vouloir dire cela. Intrigué, je lui demande ce que ça veut dire, et là de nouveau, elle repose son stylo et décide de s'exprimer dans sa langue, qui à mes yeux est synonyme d'espoir. Je la regarde, passionné, ses mains font des mouvements

circulaires à la verticale, et je comprends tout de suis que ça veut dire signes, donc elle veut enseigner la Langue des Signes. Mais que signifie le F, elle fait donc un autre signe que je ne comprends pas, elle écrit alors sur le bloc-note, Française.

J'imagine ensuite qu'il y a alors une langue des signes pour chaque pays, mais je ne lui pose pas la question afin d'être sûr. Je me dis que j'aurai bien le temps de le lui demander. L'année est longue.

Je lui fais signe afin que l'on sen aille, elle acquiesce, on débarrasse nos plateaux, et l'on s'en va. A l'extérieur, le soleil est toujours là, faussant compagnie aux nuages présents sur les côtes de Bretagne. Ca à du bon de vivre là où je vis. On retrouve Elsa et Clément assis sur un banc, toujours devant le CDI. C'est à cela que l'on reconnaît les bons élèves, toujours d'après ce psychologue, ils sont toujours près de lieux culturels, même quand le besoin ne s'en fait pas ressentir. Je suis persuadé que, comme moi, la plupart des gens qui l'ont lu se demandent où est-ce qu'il a bien pu avoir ses diplômes.

Je me rends compte à cet instant précis que Justine n'est pas avec nous, ce qui n'arrive jamais. J'allais en parler à Elsa quand cette dernière me dit:

- Justine est à la grille, elle t'y attends.

- D'acc, lui dis-je, tu peux garder Lucie s'il te plaît?

- Hé c'est pas un bébé tu sais. Mais t'en fais pas je la garde ici avec nous et je ne lui fais aucun mal, ironise-t-elle avec un sourire jusqu'aux oreilles.

Je lui souris en retour, et j'explique à Lucie, au moyen du bloc-note que je reviens. Je me dirige vers la grille. C'est tout simplement l'entrée et la sortie du lycée. C'est également là que vont fumer tous ces drogués accros à leur poison qui les consume jour après jour, fête après fête, cuite après cuite.

Je retrouve Justine, accompagnée de Maxime, qui fume bien entendu, malgré le fait que sa copine ne soit pas d'accord. Cette dernière me prend à l'écart, loin de son copain, loin de cette foule:

- Désolée Valou, j'ai pas été très cool tout à l'heure. C'est toi qui a raison, elle parle, une autre langue mais elle parle.

- Tu as fait vite pour réagir, pour une blonde c'est un record.

Aïe... Un coup de point réflexe à l'épaule est le prix à payer pour cette pique.

- Mais c'était pas méchant, ma façon de l'appeler, reprend-t-elle.

- Non, mais un poil discriminatoire, c'est comme si je disais en parlant de toi, celle qui fait des blagues pas drôles.

Et là j'anticipe le moindre geste de violence de sa part, et je fais trois pas en arrière. Elle rit, je la rejoins. On décide alors d'aller retrouver les autres, laissant ainsi Maxime avec ses potes en train de fumer.

On arrive au banc, Elsa, Clément et Lucie sont morts de rire, c'est d'ailleurs la première fois que j'entends sortir un son de la bouche de ma nouvelle camarade. Et que dire? C'est le rire d'une jeune fille heureuse de s'être fait de nouveaux amis, qui l'acceptent comme elle est, et qui sont persuadés que la différence n'est pas un fardeau, mais une chance. La culture de l'autre n'est pas un monstre, dont il faudrait se méfier, mais c'est un enrichissement de sa propre culture.

Justine prend le bloc-note et le stylo des mains de Lucie, et lui montre l'unique mot qu'elle a écrit, Désolée. Alors notre amie silencieuse lui sourit comme pour dire que tout est pardonné. Ce sourire semble durer une éternité.

La sonnerie retentit, comme pour nous ramener les pied sur terre, nous dire que la vie reprend, qu'elle ne s'était jamais arrêtée. Alors on lui obéit, comme si l'on n'avait pas le choix, mais au fond que pouvons-nous décider par nous même? Le choix de nos amis, et je ne vois rien d'autre.

A la faveur de personneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant