La cavale

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Presque deux heures se sont écoulées depuis le début de la cavale improvisée. Marcus, au volant, semble perdu, les yeux fixés sur la route, il ne dit plus rien, il est d'un calme olympien qui tranche avec l'agitation que ressent Arthur. Lui, il est sur la banquette arrière, il pianote sur son ordinateur, note tout ce qu'il se passe, tout ce qu'il sait, car si Valérand est immortel, sa vie sera le témoin de toutes les époques traversées, dont l'époque actuelle. Pour Alexandre Valérand, la journée est bien plus normale que pour les deux autres, il a déjà été torturé, poursuivi, chassé et tué à plusieurs reprises, mais être accusé d'avoir tué le chef de l'Etat, c'est une nouveauté qui sort un peu de l'ordinaire chasse aux sorcières dont il a toujours été la victime. Enfin la voiture ralentit sur une petite nationale au coeur de la Picardie, un endroit suffisamment calme pour se faire oublier quelques jours et préparer la suite de leur fuite. Marcus dirige le véhicule sur des routes de plus en plus étroite, après le périphérique parisien et les autoroutes franciliennes, la nationale, la petite route, et enfin, la Mercedes entre dans un petit village désert, on a l'impression qu'il n'y a plus âme qui vive depuis des années. Parfois, un tracteur emprunte la rue principale pour rejoindre les champs en hauteur. C'est dans cette vallée et ce petit village perdu que Marcus a décidé que sa bande allait se retirer. Les trois hommes quittent la voiture, longent un haut mur de brique rouge jusqu'à la grande porte de bois délabrée, enfin ils pénètrent dans ce lieu sombre, poussiéreux. Une couche de terre et de paille recouvre le sol, de grandes poutres de bois traversent ce qui semble être une grange abandonnée. Arthur et Valérand s'assoient sur une poutre et commencent à souffler, comme soulagés d'avoir trouvé un refuge isolé. Sauf qu'ils sont les seuls à s'asseoir, Marcus lui, n'est déjà plus là, il semble connaitre l'endroit et commence à dépoussiérer le sol avec son pied.

"Qu'est ce que tu cherches Marcus ?" demande alors Arthur.

"Je ne vous ai pas emmené ici par hasard, c'est la maison dans laquelle je venais faire des bêtises quand j'avais à peine 10 ans. J'entrais par le trou dans le mur là-bas, et par une .. trappe que .. Ah elle est là ! " Marcus interrompt soudainement son récit pour tirer sur la lourde trappe de bois, il la soulève, remuant un flot important de saletés, et entreprend sans sourciller de descendre dans la trappe. Aussitôt, et car il est leur meilleur moyen de survivre en cas d'attaque, Arthur et Alexandre le suivent, ils descendent tous dans la trappe, font quelques mètres à tâtons dans une obscurité complète jusqu'à ce qu'un mince filet de lumière viennent les guider. Marcus le savait, cette maison était inoccupée d'une part, mais également condamnée car ses derniers occupants l'avait quitté il y a 40 ans de cela, en laissant toutes les issues ouvertes, les enfants adoraient venir y jouer, comme Marcus, sauf qu'un jour, un enfant a chuté du premier étage et est décédé sous les yeux de ses copains. Depuis, la maison est condamnée, les enfants du coin disent qu'elle est hantée, d'autres disent qu'il s'y passe des réunions sataniques. En réalité il ne s'y passe rien, du moins jusqu'à l'arrivée aujourd'hui d'un homme immortel soupçonné d'avoir tué le président et recherché par des centaines de personnes venant du monde entier.

Les trois hommes pénètrent enfin dans la maison par une autre trappe sous le tapis de la salle à manger. La maison est déserte, sombre, jonchée de déchets et les murs sont recouverts de graffitis, mais le lieu est sûr, il n'y aucune possibilité d'être trouvé ici, d'autant plus que Marcus fait le chemin inverse pour aller cacher la Mercedes dans la grange. Mais à peine Marcus reparti, Arthur s'approche rapidement de Valérand, lui prend le bras, et lui demande :

"Je t'en supplie Alexandre, dis moi que tu n'as pas tué le Président !"

"Pourquoi le tuer ? Il m'a sorti de prison, il m'a accueilli chez lui, et il m'offre la possibilité de retrouver une vie normale une fois que les menaces auront disparues" assure alors l'immortel

"Je devais te poser cette question, et je te fais confiance, mais alors comment cette lame est-elle arrivée dans le cou du Président ?" demande le jeune historien

"Je n'en sais rien, il était seul dans cette pièce quand je suis parti, et il était en vie.. Et bien sur on peut écarte la thèse du suicide, il était au plus haut dans les sondages, sa vie de famille semble plutôt tranquille, je crois bien que quelqu'un l'a tué .. Mais qui.. C'est encore un mystère.." dit Valérand, dubitatif. Arthur retourne s'asseoir sur le bord de la fenêtre condamnée, et poursuit ses questions : 

"Tu sais, aujourd'hui tu as pu voir qu'on ne te lâcherait pas, même en cas de grand danger, donc maintenant que nous t'avons aidé, c'est à ton tour, il faut que tu nous parles de toi, pour que nous arrivions à trouver les origines de ton pouvoir, qui sont tes ennemis et qui sont les gens qui t'ont aidé à atteindre cette immortalité, aide nous, il faut abréger cette cavale au plus vite en trouvant tout ces éléments. Valérand regarde au sol, il hésite, c'est la première fois de toute sa vie qu'il est tenté de raconter son histoire, il est à deux doigts d'accepter, mais 50 ans de torture l'ont rendu légèrement suspicieux vis-à-vis des autres. Soudain, il lève la tête, au même moment Marcus entre dans la pièce et les trois hommes sont réunis, Valérand prend la parole :

"Ecoutez, voilà ce qu'on devrait faire, Marcus tu dois me blanchir par rapport a cette affaire de meurtre du Président, je ne l'ai pas tué, il faut que la police le sache, ça nous fera un poursuivant en moins, pendant ce temps, je vais raconter mon histoire à Arthur, il notera tout et me dira vers quelle piste nous devons nous tourner dans la recherche de l'origine de mon immortalité, êtes vous d'accord ? " Le charisme naturel et l'assurance de Valérand finirent de convaincre Marcus et Arthur, ils acquiescent tout deux de la tête, sans dire un mot. 

"Alors mettons nous au travail sans perdre de temps !" ordonna Valérand, pris d'une soudaine aisance face au pouvoir. L'immortel passe alors son bras sur la table du salon, faisant virevolter la poussière qui la recouvrait, et intima à Arthur de s'y installer, il allait lui révéler son histoire, tout ce dont il se souvenait, de son enfance à aujourd'hui, tout ce qui en valait la peine, et tout ce qui pouvait sembler accessoire. Valérand s'installe alors à table, posa ses bras sur la table, éclaircit sa voix, et commença le récit :

"Je m'appelle Alexandre Valérand, et je suis né en 1740 dans la ferme familiale située entre Viroflay et Versailles.."

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant