De la ferme à la guerre

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Valérand était enfin en train de raconter son histoire, Arthur n'en perdait pas une mienne et prenait note de chaque phrase prononcée par l'immortel comme s'il retranscrivait les dix commandements.

"Je suis  Alexandre Valérand, né en 1740 dans la ferme familiale située entre Viroflay et Versailles, j'ai grandi avec mes parents Henri Valérand, et ma mère Jacqueline Valérand, mes parents étaient de valeureux fermier qui ont grandi près du château de Versailles, ils ont même eu l'honneur de rencontrer le Roi Louis XIV lors d'une foire aux poulets organisée à Versailles. Comme tout fils de paysan, j'ai arrêté l'école pour les aider à la ferme, j'étais très attaché aux lapins, je passais mon temps à les soigner, à les nourrir et leur donner l'impression que leur sort n'allait pas être si funeste. Jusqu'à mes 14 ans je n'avais jamais quitté les environs de Versailles, j'étais même souvent moqué par les autres enfants des alentours car je ne connaissais rien d'autre que mes lapins et mes parents. 

J'ai vécu à la ferme jusqu'à mes 19 ans. A l'époque, nous sommes en 1759 et la guerre de Sept-Ans fait rage, les armées françaises subissant quelques déroutes contre l'armée britannique et fait face aux plus grandes difficultés lorsqu'il s'agit de prendre Hanovre face à des troupes de Grande Bretagne pourtant en nombre bien inférieur. Le Roi décide alors de gonfler le nombre de ses soldats et réquisitionne tout les jeunes hommes capables de tenir une arme ou de monter à cheval. Je me suis donc retrouvé à même pas 20 ans dans une bataille dont je ne savais rien. Très vite je me suis retrouvé parmi les premières lignes, à faire face aux canons et au feu britannique, esquivant les boulets, me couchant lorsque les soldats faisaient feu. En réalité, j'étais terrifié, affolé, paralysé par une peur que je n'avais jamais connu, dans un pays étranger, entouré d'homme que je ne connaissais pas. Je ne suis pas sur d'avoir fait honneur à ma famille dans ce conflit, je me suis souvent baissé, j'ai peu tiré, je n'ai du abattre aucun soldat ennemi, et j'ai peut-être mis en danger mes propres camarades par certains comportements lâches.. Mais j'avais peur.

Un matin, nous devions attaquer un détachement de soldats britanniques retranchés derrière une colline, l'objectif était de faire courir les chevaux seuls en haut de la colline, et pendant qu'ils auraient subit le feu des ennemis qui pensaient que des cavaliers les attaquaient, nous les aurions pris à revers en contournant la colline. Le plan se déroulait à merveille, j'étais en deuxième ligne, et le soldat devant moi à pris une balle dans la tête, sa cervelle a explosé devant moi, le mousquet lui a littéralement arracher le crane, j'étais recouvert de sang, les pieds enfoncés dans la boue, je ne pouvais plus bouger. Autour de moi, mes camarades continuaient d'avancer, et petit à petit je me suis retrouvé seul, isolé à une dizaine de mètres des autres soldats, immobile et effaré par tant de violence. Mes camarades ont tous été abattus, les troupes britanniques avaient repéré notre tactique, et avaient préparés une riposte. J'étais désormais seul, et quand j'ai vu un cheval tout aussi effrayé que moi fuir le combat, j'ai grimpé dessus et j'ai rejoint l'arrière du combat, lâchement, sans venir en aide à mes compagnons d'armes.

A mon retour au camp, j'ai expliqué j'avais réussi à sauver ma peau en abattant un soldat à bout portant, que le sang venait de là, mais au fond de moi je savais que j'étais un lâche. Puis j'ai obtenu le droit de rester à l'infirmerie pour y aider le médecin de guerre, le Docteur Isigny, un homme courageux qui passait ses journées à amputer des soldats dans des conditions précaires, et à voir mourir des jeunes hommes qui n'avaient jamais tenu une arme de leur vie. Peu à peu il m'a accepté comme assistant, je nettoyais les instruments, je portais les cadavres, je jetais les membres amputés dans un large trou à quelques mètres du camp. C'était une fonction horrible, mais j'apprenais quelques rudiments de médecine et j'étais surtout loin des coups de canon. Du moins c'est ce que je pensais, un matin, les troupes anglaises ont fait une avancée rapide, écartant plusieurs troupes françaises et se frayant un chemin pour être à seulement une centaine de mètre de notre camp de base. Pendant que les premiers coups de canons retentissaient à l'avant du camp, les généraux quittaient les lieux à la hâte, allant organiser les tactiques plus en retrait du conflit. Les canons firent de nombreux dégâts, une homme fut coupé en deux par un boulet, un autre perdit un bras, un dernier se fit arracher la tête par un projectile. Le combat faisait rage seulement quelques mètres à l'extérieur du camp. Et si de mon coté, la panique se faisait largement ressentir, pour le docteur Isigny, rien ne changeait, il sorti à la hâte de la tente et courra vers le front pour y aider au plus vite les soldats blessés. Pendant qu'il tentait d'obstruer une plaie dégoulinante de sang, et ce à quelques dizaines de mètres des premières lignes, il fit frappé un par boulet en bout de course, accroupi et dos au projectile, il fut assez puissant pour briser nette la colonne vertébrale du pauvre médecin. Et comme nous représentions un front mineur, il était le seul médecin du camp, nous étions alors totalement isolés, une autre troupe prenait le camp à revers, et pour tout les soldats présents sur place, cela ressemblait à la fin de nos vies.

Par miracle, nous fûmes sauvés par une troupe d'artillerie qui avait été alerté par les détonations, de lourds projectiles venaient torpiller les chevaux, les hommes et les canons ennemies. Il y avait du sang partout, des hurlements, les cadavres jonchaient le sol, c'était à la fois affreux et tellement agréable de pouvoir envisager vivre encore. Le combat terminé, la troupe d'artillerie décida de rester sur place, il restait un milliers d'homme au camp, mais plus aucun médecin, et comme les britanniques avaient pris tout les camps aux alentours, l'arrivée d'un nouveau médecin semblait impossible. Alors peu à peu, je suis devenu le médecin du camp, j'appris à suturer, à amputer, à faire des saignées, à analyser les urines et à opérer lorsque c'était nécessaire. Selon le seul général encore présent sur place, le Général Dubuisson, c'était moi ou mourir, et souvent les soldats choisissaient de me laisser tenter ma chance. C'était affreux de voir mourir des soldats par ma faute, par mon inexpérience, mon incompétence, mais je progressais, et de plus en plus de soldats pouvaient repartir au combat après être passé dans ma tente. Un matin de juillet, nos troupes ont réussi à reprendre la ville de Minden, et nous avons pu créer un corridor jusqu'à la ville pour y rapatrier le camp. En tant que "médecin", j'ai eu droit de m'installer dans une belle maison de la ville, confisquée à un lieutenant de l'armée prussienne, j'avais une vue imprenable sur la grand place, mais tout était bizarre, l'atmosphère dans une ville occupée n'est souhaitable ni pour l'occupant, ni pour l'occupé. A la fin du conflit, j'étais devenu médecin, officieusement, tout du moins on m'appelait Docteur. La France était affaiblie militairement et économiquement, tout comme ses ennemies la Prusse et la Grande-Bretagne. J'étais tout aussi affaibli que mon pays, je n'avais qu'une envie, rentrer à Versailles et m'allonger dans le foin, caresser des lapins, manger la tarte aux pommes que ma mère faisait si bien. Malheureusement, sur le chemin du retour, on m'annonça que je devais rejoindre Paris avant de rentrer chez moi. Un homme m'y faisait mander pour y écouter mon histoire, et me féliciter des miracles que j'ai effectué pendant les combats. Sur tout le chemin, je repensais à la ferme de mon enfance, au clapotis de l'eau quand je dormais au bord de la rivière, aux lézards que j'attrapais dans les marais, à mes chers lapins qui devaient se sentir bien seuls sans moi. Le chemin fut des plus banal, je marchais en compagnie des autres soldats, en formation approximative due à la joie de rentrer chez nous. Enfin nous arrivions à Paris, une ville que je découvrais, mais que je n'allais pas avoir le temps de voir plus longuement, on me fit rapidement monter dans une voiture, qui m'emmena rue Pavée, en plein coeur de Paris. Je descendis de la voiture, les chevaux étaient épuisés par la cavalcade que leur avait demandé d'effectuer le cocher. Je n'eu pas le temps de réfléchir qu'un maître d'hôtel me fit entrer dans une grande demeure. Un escalier central occupait presque toute la pièce, de grands tableaux étaient accrochés de part et d'autre, des portraits d'hommes en tenue militaire,  un tableau représentant Aphrodite, et un autre semblant représenter Louis IX sous son légendaire chêne, rendant la justice. Une pièce démesurée, bien loin de ce qu'il avait connu durant sa campagne en Prusse. Enfin, un homme apparu au sommet de l'escalier, toujours dans une pénombre certaine, il éleva la voix : 

"Monsieur Valérand, je suis ravi de vous rencontrer, je suis Léopold Haguenard, chef de l'ordre des médecins de Paris, venez, rejoignez moi à l'étage." Je montais les escaliers et lorsque je fus arrivé, je vis un homme d'une trentaine d'années, fourbu, une belle moustache épaisse fleurissait sous son nez, et un ventre rebondit trahissait son statut d'homme fortuné par qui la famine n'était pas passée. Sur ordre de Monsieur Haguenard, Je pris place sur un fauteuil, bien que légèrement inquiet par cette entrevue mystérieuse, je me risquai a demander à qui j'avais affaire. La réponse fut des plus calmes :

"Je vous l'ai déjà dit, passons à la raison de votre visite, vous êtes ici pour que je vous remette la médaille du mérite de l'ordre des médecins de France, pour les nombreux exploits que vous avez réalisé au sein de l'armée française."

"Et bien c'est un honneur .. Je ne sais pas quoi vous dire, je n'ai fait qu'aider mes compagnons .." déclarai-je, ému.

"Cessez !" Monsieur Haguenard toujours face à la fenêtre, semblait inquiet. En bas, quelqu'un semblait vouloir pénétrer de force dans la demeure, Haguenard s'approcha de moi, posa sa main sur mon front, naturellement je reculais brusquement, mais il appuya sa main contre mon front plus fermement. En bas, un premier coup de feu retentit, le maître d'hôtel hurle de douleur, il a été touché, les hommes se précipitent dans l'escalier, ce sont deux soldats français, Haguenard passe derrière moi, et sans que j'ai le temps de comprendre, m'assène un violent coup avec un vase. Je perds lentement connaissance, et ma dernière vision fut ce Monsieur Haguenard, se précipitant sur les deux soldats pour les poignarder avec un couteau qu'il avait rangé dans sa manche, le coup de feu tiré par l'un des soldats lui arracha ensuite littéralement l'épaule, puis je perdis complètement connaissance sur le sol de cette vaste demeure.

Le fil rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant