25 Septembre

9 0 0
                                    

       

J'ai passé la majeure partie de ma journée chez Grand-Mère. Elle m'a raconté la vie de mon grand-père. Il lui avait adressé une longue lettre avant de mourir. Il lui racontait sa vie. Elle l'avait lue. La lettre avait fini dans les mains de Victor qui l'avait brûlée. Mais des souvenirs, cela ne s'efface pas. Elle n'a pas oublié les moindres détails d'une vie si affreuse. Après avoir vécu plus de 20 ans auprès de lui, sa vie racontée en tant que telle l'avait profondément touchée. Elle ne s'était pas rendu compte. On ne se rend jamais compte du mal qu'on peut causer sans le vouloir.

Grand-Père était fils unique. Sa mère était femme au foyer et son père, un homme d'affaires très réputé. Il est né dans une banlieue parisienne très chic. Il est élevé dans le luxe. Il souffre de sa timidité qui ne l'aide pas trop à se faire des amis. Il est seul dans la récréation. N'ayant ni frère, ni sœur, il n'a aucune approche relationnelle. Il est solitaire. Sa vie familiale est bouleversée un soir où son père annonce qu'il est viré. Etant au chômage, il gagne un maigre salaire, ce qui l'oblige à faire d'énormes changements. Il change de maison, de ville, de mode de vie. La petite famille réside dans une cité. Grand-Père est scolarisé dans un établissement public où il n'arrive pas à s'intégrer. Il devient vite le nouveau bouc émissaire. On le frappe. On l'insulte. On ne fait que l'approcher pour le racketter. Il ne veut pas laisser sa mère seule avec un deuil sur le dos et un mari alcolo à gérer. En effet son père sombre dans une dépression et ne tient que grâce à l'alcool. Sa mère se débrouille comme elle peut pour l'habiller. Ses parents finissent par divorcer. Il ne voit son père qu'un weekend sur deux. Mais celui-ci devenant fou, commence un attachement maternel très fort. Sa maman le défend toujours même lorsque son mari lève la main sur elle. Elle le convoque en procès. Grand-Père n'a plus le droit de voir son père. Désormais sa mère demeure comme elle peut pour payer leur foyer et toutes les taxes. Elle rentre tard le soir. Grand-Père devient autonome. A l'école, rien ne soutient ses problèmes familiaux. Il subit un harcèlement permanent. Un jour une petite fille vient récolter des fonds pour une association. Pris de pitié Grand-Père lui donne tout ce qu'il a. A la fin du mois sa mère ne retrouve pas un sou pour payer la maison. Ils sont mis à la porte. Grand-Père se retrouve accueilli dans une famille d'accueil. Cela lui fera beaucoup de peine. Il pleure beaucoup. Mais il trouve le soutien parmi cette famille d'une petite fille. Celle qui avait sonné à sa porte. Elle devient la seule personne à laquelle il peut se confier. Il lui raconte ses joies, ses peines et elle en retour lui redonne le sourire. Il est de nouveau scolarisé dans un charmant collège. Il n'a qu'une seule amie : la petite fille de sa famille d'accueil. Mais au bout d'un an il redevient le bouc émissaire. Il ne réagit pas. Puis viennent les coups et le harcèlement qu'il avait tant connus autrefois. La petite fille essaye de le défendre mais en vain. La petite fille, révoltée, les dénonce. Les discriminateurs sont recasés. Mais cela n'arrange pas la situation. Grand-Père subit des menaces de mort d'une certaine personne qui lui reproche de l'avoir dénoncé. Pour sa sécurité, Grand-Père se plie aux ordres de ce jeune garçon. Son adolescence sera menée par les menaces de ce jeune homme. Il ne dit rien à son amie qui croit désormais qu'il a de nouveaux amis. Elle lui posera souvent la question :

- Pourquoi as-tu donné toutes tes économies pour moi qui t'en demandais pour une association alors que tu en avais besoin ?

Grand-Père refusait toujours de répondre. Arrivé en âge de choisir sa profession, on se dirigea vers une carrière de serrurier. Il ouvrit une boutique. Il se maria avec la jeune fille de sa famille d'accueil. Ils eurent un enfant : Alexandre. Il avait pour la première fois de sa vie le sentiment qu'il était heureux. Mais cela ne dura pas longtemps. Sa femme tomba amoureuse d'un autre garçon. Elle le délaissa en partant avec son enfant. Il n'y avait pas de garde-partagée. Le nouveau conjoint de sa femme refusait. Soudainement, il perdit un bon nombre de ses clients. Il fit faillite. Il n'avait plus rien. Il était sans toit. Dans ces moments difficiles on se remémore toujours sa vie. On repense aux bons moments. Sauf que Grand-Père n'avait jamais vécu de bons moments. Il avait toujours connu la souffrance et la colère des autres. Malgré cela il se rappela de sa mère. Il l'aimait plus que tout. Il fit de nombreuses recherches. Après 20 ans il la retrouva. Elle avait rencontré un homme riche avec qui elle s'était mariée. Elle avait refait sa vie de son côté. Elle vivait auprès de ses trois filles dans la région parisienne. Lorsque Grand-Père se présenta à elle, elle ne le reconnut pas. Elle disait avoir renié son passé. Grand-Père perdit tout espoir à partir de ce jour. Il sombra dans une dépression. Plus personne ne l'aimait, il ne vivait que pour lui. La seule chose qui le remplit de bonheur fut sa descendance. Il avait eu une petite-fille. Il alla la voir à la maternité. Il était comblé. Combien de fois avait-il était heureux comme ça dans sa vie ? Ce bébé était pour lui tout espoir. Mais en y repensant il savait qu'il serait plus utile mort que vivant. Que ce nourrisson devait au moins l'aimer. Il rédigea une longue lettre racontant sa vie à sa femme. Tout en lui donnant une autre lettre pour sa petite-fille qui comme il l'espérait, l'aimerait. Le soir même il se donna la mort. Grand-Mère a gardé sa carte d'obsèques, à l'abri du regard de Victor. Et elle respecta les instructions de Grand-Père.

Il espérait donc que je l'aime. Mais bien sûr que je l'aime. C'est mon grand-père. Aucun humain ne pourrait ne pas être touché par cette histoire. Un homme sans avenir et sans amour de la part des autres arrive à garder le courage et à tenir la route. Victor. C'est un long sujet. Il a empêché toute vie heureuse pour Grand-Père. Il aurait pu se construire une vie ailleurs sans gâcher son bonheur. Comment Grand-Mère a-t-elle pu le suivre. Il guide sa vie. Il l'empêche d'aimer Grand-Père. C'est improbable de sa part de rester avec lui. C'est incompréhensible. Elle sait tout ce qu'a enduré Grand-Père et reste avec l'autre. Tout comme le discriminateur de son adolescence. N'a-t-il point de cœur ? Comment peut-on faire cela ? C'est affreux. Grand-Père a toujours voulu aider les autres. Il ne l'a pas simplement voulu il l'a fait : en donnant de l'argent pour l'association par exemple, au prix de son bonheur.

Moi je suis le bébé sur quoi tout repose. Il voulait que je l'aime. C'est fait. Peut-être souhaitait- t-il mon bonheur. Pour le moment c'est raté. Auprès de la famille j'essaye de le cacher. Mais à l'école c'est inévitable. Je pleure presque toute la journée. Une remarque me suffit. Puis je vais me réconforter chez Louis. Il me redonne le sourire. Sans lui je ne sais pas ce que je serais. Je suis sensible. Je pleure pour rien. Je me chiffonne pour rien.

Mes quinze ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant