Chapitre 3 L'homme au manteau gris

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Le lendemain. Un homme regardait d’un air maussade le sombre dossier étalé sous ses yeux fatigués. Trente ans que le vieil inspecteur oeuvrait à résoudre des affaires, trente ans d’horreur et de calamités qui avaient contribué à creuser de longues rides sur son visage. Il se rappelait le jour de son entrée au commissariat. Il était fougueux et plein d’espoir quand on lui avait remis son badge. Hélas, son expression juvénile avait bien vite laissé la place à celle d’un individu taciturne.

Sur le dossier figurait la photo d’un cadavre muré derrière une glace. Celui d’une jeune fille disparue quelques jours avant la prise de la photographie. Encore aujourd’hui, Roger s’en voulait de ne pas être arrivé à temps pour la sauver. Le tueur n’était plus de ce monde : une bien sombre satisfaction quand on pensait aux multiples victimes qui avaient péri dans sa demeure et ailleurs.

L’inspecteur avait aussitôt demandé sa mutation dans un endroit tranquille, situé à une altitude tout à fait propice à la méditation. À Saint-Didier, on ne se formalisait pas des forts orages qui venaient secouer les monts régulièrement, ni de la brume qui s’effilochait aux détours des routes désertes.

— Toujours mieux que la pollution et les chutes d’ozone des grandes villes, marmonna-t-il.

Roger referma le dossier d’un geste vif. Son bureau miteux protesta sous le choc et de la poussière macula ses chaussures. Des rayonnages d’affaires résolues garnissaient les murs de la petite pièce fortement encombrée. Il était arrivé trois mois plus tôt en ville, au volant de sa vieille voiture et avait constaté sans joie qu’on lui avait tout livré. Ces centaines de dossiers le pourchasseraient sans doute jusqu’à sa mort.

« Gardez les précieusement, qui sait, un jour, vous pourrez y trouver un certain réconfort… Profitez bien de votre mutation à la campagne ; reposez-vous, avait dit le chef de brigade, peu avant son départ.

« Vous êtes trop vieux et vous nous avez déjà assez posé de problèmes. Nous vous offrons un placard en guise de pré retraite, soyez donc bien gentil et que l’on ne vous entende plus. Voilà ce qu’il avait voulu vraiment dire… », songea l’inspecteur avec lassitude.

Et Roger avait fini dans ce qu’il appelait communément : « Le Trou à Rat ». L’obscure alcôve se trouvait au plus profond de l’édifice, accolée à un couloir moribond qui donnait directement sur des toilettes faiblement éclairées par une lucarne. L’inspecteur se demandait bien à quoi elle pouvait servir à part à donner de l’air froid au détenteur des lieux. Les rayons du soleil ne venaient jamais s’y aventurer. Seul le ronronnement de son ventilateur troublait le silence.

Brusquement, le téléphone sonna en faisant tressauter son bureau. Roger Dydille s’empressa de décrocher avant que le meuble branlant ne s’affaisse sur lui-même.

— Oui, bonjour, ici l’inspecteur Dydille, que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il d’une voix exagérément douce.

Il lui était déjà arrivé de recevoir l’appel d’une personne sur le point de se suicider. Depuis, il modulait sa voix sèche sans même y penser, histoire de ne pas brusquer son interlocuteur. La voix d’un homme plutôt âgé retentit à son oreille.

— Bonsoir, je vous appelle pour prendre des nouvelles d’un ami à moi, monsieur Melmon, récemment arrivé chez vous.

— Pour quel motif ?

— Un gendarme l’a emmené en cellule de dégrisement, je n’ai toujours pas reçu de nouvelles, je suis plutôt inquiet.

— Nous n’avons personne ici répondant à ce nom, je puis vous l’assurer. Cela fait maintenant deux semaines que personne n’a été interpellé.

Les Protecteurs d'Andalénia / La Danse du Lys tome 1 la Dame en BlancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant