Fragment 4

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Je saisis son avant-bras pour éloigner sa lame de mon corps. Mon autre main glissa sous son aisselle. Son fumet de sueur alcoolisée me rappela les rixes dans les auberges de Lausanne, et comme par réflexe, mon genou lui pilonna l'entrejambe. Il se plia en deux, le souffle coupé, et je lui empoignai le col pour accompagner un mouvement prévu pour s'achever par sa chute dans la neige boueuse.


C'est ce moment précis qu'un garde choisit pour s'abattre de tout son poids sur notre étreinte improbable. "Je l'ai, hurla-t-il, le malandrin est à terre!". Plus précisément le malandrin était sur moi, et je baignais dans la fange versaillaise. Je me permis d'émettre un petit gémissement désapprobateur. Le garde me dévisagea d'un air incrédule et se retourna à demi:
"Et j'ai son complice aussi!"

Avant que j'aie pu dire un mot, une demi-douzaine de gardes se saisirent de nous et une voix retentit dans la cohue "Qu'on l'arrête mais qu'on ne le tue point!".

Cela n'empêcha pas une averse de coups de pied, de crosse et de crachats de s'abattre sur nous. Je me battais comme une belle diablesse, clamant mon innocence, mais le nombre eu raison de moi et je me retrouvai jetée dans une annexe du corps de garde.

La salle était voûtée, glaciale, et séparée de celle où la troupe retenait l'assaillant par une lourde porte. Celle-ci s'entrebâillait à intervalles irréguliers pour laisser passer les visages de mes geôliers, puis ceux de nobles aux sourcils froncés. Me parvinrent aussi les échos d'un tonnerre de questions, d'ordres à la recherche d'un médecin, une odeur de porc grillé et de longs hurlements. Puis ce fut le tour d'individus, poussés sans ménagement en ma compagnie. Bientôt la salle fut remplie d'une quinzaine d'hommes à l'air aussi confus que moi, mais moins boueux.

Nous nous regardions en silence quand le dernier arrivant, un colosse, opposa plus de résistance. Il portait beau et se disait Chevalier de Saint-Gall, mais dans un accent plus italien qu'alémanique. Il hurlait qu'il avait rendez-vous avec un abbé de Bernis, que ça n'allait pas se passer comme ça, que c'était une méprise d'envergure diplomatique etc. Un garde s'approcha de lui crosse en avant, et le braillard nous rejoignit dans notre mutisme.

Après tant d'émotions, mon corps cru opportun de se rappeler à mon bon souvenir et me faire ressentir un besoin pressant. Je rassemblai toute ma volonté, croisai les jambes, tentai de me distraire mais l'envie était trop impérieuse. Mon travestissement en homme avait survécu jusqu'ici,

- je décidai donc de maintenir l'illusion et tentai de me soulager le plus discrètement possible dans un coin de la geôle improvisée. [fragment 6]
- mais il jouait maintenant en ma défaveur. Je tambourinai donc à la porte pour révéler ma nature et exiger une détention séparée. [fragment 7]


Secret d'une Rouée [En Pause]Where stories live. Discover now