Camp de Sagan, le 21 juillet 1940
Aujourd'hui, dimanche 21 juillet, il y a déjà un mois et sept jours que je suis prisonnier et il y a trois semaines que je suis ici. Combien de temps resterais-je encore ? Je ne le sais, ni quand je vous reverrai. Mais je vous reverrai un jour j'en suis sûr. Et ce jour sera l'un des plus beaux de ma vie. Et nous irons ensemble remercier Dieu et sa divine mère à Lourdes. Nous les remercierons de nous avoir conservé la vie afin de nous permettre de vivre unis et heureux pendant le reste de nos jours. Les souffrances que nous avons subies, Dieu les a permises pour nous faire expier nos péchés et nous faire comprendre nos erreurs. Aussi nous nous efforcerons de vivre simplement, chrétiennement sans ambition ni haine.
Breslau, dimanche 25 août 1940
Il y aura déjà un mois le 27, c'est à dire après demain que nous sommes arrivés à Breslau. Il y a deux mois et demi que je suis prisonnier, et aujourd'hui même, deux mois que l'armistice a été signé. Nous avons quitté le camp de Sagan, dix-huit copains et moi pour aller travailler on ne sait où. Les quinze premiers jours nous ont semblé durs. C'était un travail de manœuvre sur un chantier de construction de silo à grains. Le chef de chantier était assez réglo mais la nourriture pas assez tonique. Ensuite, nous fûmes séparés en plusieurs groupes et le jeudi 15 août, j'arrivai ici avec neuf copains, dans la Fabrique où j'écris actuellement. Nous pouvons tous dire que nous avons chopé la planque idéale. Changement de vie de 100%, à tous les points de vue : nourriture, boulot, logement.
Pour la nourriture, je dois dire qu'avant nous étions logés et nourris par un restaurant et que le patron nous exploitait drôlement. Il nous arrivait fréquemment de « faire ballon » (cf note de bas de page). Ici, c'est la Fabrique « Zimentfabrik » qui nous entretient et elle a intérêt pour sa production à bien nous soigner. En plus, comme c'est une femme qui dirige et qui veut bien s'intéresser à nous, je puis dire que pour des prisonniers nous sommes bien.
Le matin, nous nous levons à cinq heures et demi puis nous déjeunons un petit casse-croûte avec du café au lait. A huit heures et demi, re-casse-croûte et café au lait, confiture ou beurre. A midi et demi, bonne soupe épaisse (six louches chacun) avec viande ou saucisse et des pommes de terre arrangées différemment chaque jour. Le soir, sitôt le boulot terminé, repas avec 200g de pain, beurre, saucisson ou fromage avec pommes de terre cuites à l'eau (une dizaine chacun). En résumé, la nourriture est suffisante pour le travail qu'on fait, surtout qu'au camp de Sagan, on se serrait drôlement la ceinture : 150g de pain et un litre de « soupe » par jour. Je crois qu'ici je vais me retaper. J'ai bien maigri pendant deux mois de privation (juin et juillet). J'ai quelquefois un casse-croûte d'un ouvrier en plus et du tabac. Pour le tabac, nous en avons également assez. La patronne nous en donne un peu chaque semaine.
Pour le boulot, ce n'est plus le chantier où je poussais des wagonnets de sable, transportais des sacs de ciment ou des rails, des piles de bois sur l'épaule toute la journée, sous le soleil et la pluie. Dans les durs moments où je suais j'avais quelquefois le cafard mais je me ressaisissais en pensant à Dieu, à vous et aux copains qui dorment à jamais dans la terre de France. Ici, la boîte fabrique surtout des tuyaux de ciment de tous calibres. Je travaille avec un vieil ouvrier de 62 ans, sérieux dans son boulot, qui n'ouvre pas la bouche de la journée, si ce n'est pour manger ou me donner des ordres. Nous préparons le mortier au premier étage. Je verse dans une benne une certaine quantité de sable, de gravier, de granit et de ciment. L'ouvrier transvase le contenu de la benne dans un appareil qui fait le mortier et moi, je recommence toute la journée. Ce n'est pas dur si ce n'est le matin où il faut aller vite. Le seul inconvénient est que je respire la poussière de ciment. Cela me pique au nez. Mais ce n'est rien, le principal est que je ne travaille pas dehors sous la pluie, car ici il pleut très souvent, surtout depuis le 15 août.
Ne pas avoir à manger, jeûner, être privé de repas.
VOUS LISEZ
Journal d'un prisonnier de guerre
Non-FictionCeci n'est pas une fiction. C'est le journal d'un jeune homme de 21 ans, qui a été fait prisonnier au tout début de la Seconde Guerre Mondiale. Il est resté prisonnier en Allemagne de Juin 1940 à avril 1945. C'était aussi mon grand-père. J'en ai hér...