Mercredi 1er janvier 1941
Nous attaquons aujourd'hui l'année 1941. J'espère qu'elle nous apportera la libération. Nous sommes tristes ce matin. C'est l'hiver. Il gèle. Dehors, 15 cm de neige. Nous pensons aux joyeux jours du Nouvel An chez nous en France. Que c'est loin ! Je pense à vous et vous devez penser à moi. J'ai maintenant quatorze cartes et deux lettres. Je viens de les relire. Ça me réconforte. En particulier une de mon frangin Roger qui me dit d'avoir du courage pour attendre ce grand jour que sera la libération.
Breslau, dimanche 12 janvier 1941
Il fait doux aujourd'hui. Je suis sorti un moment dans la cour. Le ciel était clair et les rayons du soleil faisaient briller des milliers de petits feux sur l'épais tapis de neige. « La plaine était blanche, immobile et sans bruit » (NB : Nuit de neige par Guy de Maupassant). Le paysage d'hiver, les arbres dépouillés de leurs feuilles, le silence, tout portait à la mélancolie et j'ai rêvé un peu de la France, du pays, de vous. J'ai revu les endroits où j'aimais me promener, seul, un bâton à la main. J'ai revu le village, l'église, la maison, les promenades en ville, au ciné, au football. Je me suis revu à la messe du dimanche, près de Roger. C'était simple et beau. Et le soir auprès du feu, à la maison, en écoutant la TSF (NB : poste de radio de l'époque). Toutes ces images vécues ont défilé devant mes yeux et j'ai vivement désiré les revivre. Puis j'ai senti que j'en étais loin encore. Alors je suis revenu dans la piaule, triste et pensif. Mais maintenant je suis calme et courageux, et j'écris avec espérance et patience. Oui. J'ai de l'espoir au cœur, car je sens que je les revivrai ces images.
Breslau, dimanche 26 janvier 1941
Le mois de janvier touche à sa fin. Toujours rien de neuf en ce qui concerne la classe. Je comprends maintenant et je me résigne. Je ne serais pas à la maison pour Pâques et je doute d'y être pour la Noël. Je sens que je terminerais ce carnet en Allemagne et j'en commencerai un autre sans doute ? Tant pis. « Il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur ». Je n'espère plus. Ni pour ce printemps ni pour cet été. Je vis et j'attends sans conviction. Je sais que « ça viendra bien un jour » comme disent les copains. Mais quand ??? Je n'en ai aucune idée. C'est le x de l'histoire. Pour le moment, je rouspète, nous rouspétons de ne pas pouvoir écrire chez nous. En effet, nous avons écrit la dernière fois le 15 décembre. Et nous n'écrirons pas avant février. Comme tu vas te tourmenter maman ! Plus de deux mois sans recevoir de mes nouvelles.
Dimanche 9 février 1941
Nous n'avons encore pas écrit. Cela fait deux mois cette semaine. C'est du long. Pour passer le temps et ne pas penser au pays trop souvent, je me suis acheté un bouquin d'allemand et tous les soirs ainsi que le dimanche, j'étudie un peu. Je fais des progrès et je commence à me débrouiller tout seul. C'est même moi qui essaye de faire l'interprète avec le gardien. Je suis quelquefois embêté, mais on en sort toujours. J'ai reçu cette semaine une lettre et un colis de 5 kilos. J'en suis très content. Nous sommes maintenant 15 prisonniers et parmi les 5 nouveaux, il se trouve un « stimmy » (N.D.A : prononcer Chti'mi), encore mieux un valenciennois ! Il habite à la pyramide Dampierre. Chaque dimanche et quelquefois la semaine, avec les produits de nos colis, on se fait un « extra » du pays. Une fois du macaroni, une autre du chocolat, ensuite un cassoulet. Cela nous change des éternelles « Kartofel » et nous parlons en patois de nos plaisirs d'antan. Nous répétons souvent : « quand cela reviendra-t-il ? ». J'ai maintenant 24 cartes et lettres. Je les relis souvent. Quand je pense que samedi prochain 15 février, il y aura 6 mois que je travaille ici. Mais je ne me plains pas, je pourrais être plus mal ailleurs. Je mange bien, je suis bien couché. Avec celle que vous m'avez envoyée, cela me fait 3 couvertures. Je n'ai pas froid.
Breslau, dimanche 16 février 41
Il y a aujourd'hui 9 mois que je vous ai quitté. Roger a aujourd'hui 19 ans et demi. Je le trouverai certainement changé et vous me trouveriez vieilli aussi. Ça fait 2 mois que je n'ai pas écrit. Qu'est-ce que vous devez penser ? Une note est venue du camp demandant s'il y avait parmi nous des prisonniers habitants le Nord et le Pas de Calais et d'origine flamande. Je me suis inscrit ainsi que le copain de Valenciennes. Je n'ose pas trop espérer. Enfin, le mois de mars arrive. Bientôt Pâques, bientôt les beaux jours. Et peut-être la fin de la guerre ? Il paraît que ça va barder ? Dans son discours, le führer a dit que l'organisation de la nouvelle Europe commencerait cette année ?
Breslau, dimanche 9 mars 1941
Enfin Mars ! Oui, enfin ce mois que j'ai, que nous avons tant réclamé. Oui, nous y sommes et dans 12 jours nous serons au printemps. Le temps marche lentement, mais sûrement. Je viens de relire mes 20 cartes et mes 12 lettres. Ça me réconforte. J'ai rarement le cafard maintenant. Le soleil a fait sa réapparition, et la température est douce. Je me promène dans la cour de la fabrique avec mon nouveau camarade de Valenciennes Léon Coget et nous bavardons du pays, de l'avenir. Je constate que je n'ai pas assez profité de la vie avant de partir au régiment. Il est vrai que j'étais jeune et bien surveillé. Mais maintenant, je rentrerai chez nous, majeur, âgé de 22 ou 23 ans ? Vieilli moralement et physiquement et ayant compris que le chemin de la vie est plus encombré d'obstacles que semé de roses. Et qu'il faut cueillir les fruits mûrs qui sont à notre portée. Je rentrerai donc avec la volonté de rattraper le temps perdu. Je veux profiter, sinon de tous les plaisirs, au moins de beaucoup : la musique, la lecture, les sports calmes : pêche, chasse, natation, camping, etc. Et je veux connaître l'amour : les rendez-vous, les promenades au clair de lune, les serments fous, les baisers enivrants, les étreintes passionnées... Je profiterai de ma jeunesse, car tout n'a qu'un temps ici-bas. Ma détention m'aura fait comprendre qu'il faut déguster son bonheur quand on le peut. J'attends donc calmement plutôt avec forte patience qu'avec tristesse. Nous ne savons encore rien de neuf. Nous espérons que la bagarre anglo-allemande va se déclencher, car c'est notre seul espoir d'être libéré cette année. Qui vivra, verra. Notre captivité nous aura endurcis pour réaffronter la vie civile. Pour l'instant je suis content d'avoir pu écrire une lettre et une carte dimanche passé, 2 mars. Vous aurez enfin de mes nouvelles d'ici 3 semaines. Mon seul souci est que tu te tracasses sûrement trop pour moi maman et je ne puis te rassurer.
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Journal d'un prisonnier de guerre
Non-FictionCeci n'est pas une fiction. C'est le journal d'un jeune homme de 21 ans, qui a été fait prisonnier au tout début de la Seconde Guerre Mondiale. Il est resté prisonnier en Allemagne de Juin 1940 à avril 1945. C'était aussi mon grand-père. J'en ai hér...