Thomas

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THOMAS


Le bruit des clés le fit sursauter. Les portes métalliques s'ouvraient les unes après les autres. Bientôt, la sienne. Sa tranquillité prendrait fin. Momentanément.

Le métal résonnait. De plus en plus fort. Les noms s'égrainaient les uns à la suite des autres. Toujours les mêmes. Toujours le même ordre. Comme un chapelet. Le chapelet du diable.

Simpson, Rosemond,MacArthur,...

Thomas se leva. La voix pleine d'emphase prononcerait sous peu son nom. Il posa son stylo, le plaça derrière la porte.

Tance...

La porte s'ouvrit sur Al, le gardien de prison. Un Afro-Américain qui prenait les prisonniers de haut, mais gentil dans le fond. Le gardien mastiquait un chewing-gum. Il l'avait toujours vu avec un chewing-gum. Pas un jour depuis qu'il était arrivé, la mâchoire carrée d'Al n'avait été immobile.

― À l'heure, comme d'hab...Allez dehors.

Il présenta ses poignets. Le fer glacé les enserra. Les menottes étaient ce qui lui rappelait le plus son emprisonnement. Le couloir était rempli de la file orange de prisonniers. Il la suivit.

Un cordon de gardiens était adossé au mur et les surveillait. Au moindre écart, ils se jetteraient sur eux.

Il sourit à quelques-uns. Certains étaient devenus ses amis. Normal après tout ce temps.

Il emprunta les escaliers. La cour n'était plus qu'à quelques pas. La lumière du jour lui dilata les pupilles. Il eut un vertige, un bourdonnement dans les oreilles.Ça lui faisait toujours le même effet, la même douleur.

C'est bientôt terminé...Encore un effort...

Dehors, on lui enleva les menottes. La cour était immense. Une très grande zone bétonnée recouvrait la totalité de la surface. Un terrain de basket et un court de tennis étaient protégés par des barrières. Seuls les privilégiés, ceux qui se comportaient bien, pouvaient y avoir accès. Il en avait tout de suite saisi le but, dès son premier jour, montrer leur récompense aux prisonniers. Ça marchait. Un peu.On le lui avait aussi proposé. Jouer, courir, s'amuser, ce n'était pas pour lui. Il serait plus une cible qu'un exemple. Une cible plus grande qu'il ne l'était déjà.

Tout autour, une large bande de terre. Assez grande pour y faire un footing correct. De part et d'autre de cette cour, les bâtiments de la prison. Le nord, le sien,était celui des tranquilles, des sans histoires. Cellules individuelles, toilettes et douche privées, interrupteur pour une radio locale, télé pour ceux qui le souhaitaient, accès semi-libre aux différentes salles du bâtiment. Un surveillant l'escortait toujours, mais il pouvait aller et venir à sa guise. Ou presque.

Le pénitencier d'Eyroll était l'un des plus modernes des USA. Moderne dans les bâtiments, moderne dans la gestion de détenus. Moderne, selon les employés.

La promenade était le seul moment où les quatre bâtiments se retrouvaient. Le moment de trop. Elle durait une heure. De dix à onze heures. Il restait toujours dans un coin. Jamais le même. Impossible. Aujourd'hui, il se cala entre un groupe d'une dizaine d'hommes et le terrain de basket. Le soleil tapait fort. Malgré la grande court, le vent ne descendait que rarement ici.

Un bâtiment moderne...

Ce matin, il n'y en avait pas.La cour à certains moments se transformait en un four géant. Peu importait, ça l'arrangeait même, les détenus bougeaient moins. Si le danger voulait frapper, il le verrait arriver.

La cour était tranquille.Quelques rires, quelques injures, mais tout était calme. Les détenues paressaient encore au soleil. Bientôt, la grande majorité chercherait de l'ombre, comme à chaque fois par temps de fort soleil. Il irait avec eux, se cacherait parmi eux. Il ne détonnait pas ici. Mince, taille moyenne, peau basanée, cheveux bruns, yeux marron. Il s'accordait parfaitement dans le patchwork de blancs, de noirs, de latinos, d'arabes. Il serait passé aussi incognito que n'importe qui.

La douleur lui terrassa soudain les côtes, lui coupa le souffle. Ils avaient fini par le retrouver. Ils y arrivaient toujours. C'était de sa faute, son esprit avait trop divagué. Il n'avait pas fait attention.

Le temps lui avait manqué pourvoir son agresseur. Il ne l'avait jamais vu. Une nouvelle douleur au bas ventre le plia en deux. Le pied arriva vite, trop vite. Sa main seulement eut le temps de protéger son visage. Il se sentit soulevé et basculé sur le dos. Un moment, un court moment, le noir emplit son esprit. Totalement. Le moment qu'il avait tant espéré, depuis si longtemps. Mais la lumière perça à nouveau. Encore.

Ce n'est pas encore fini...

Une main se posa sur lui. Il aurait aimé se recroqueviller, se protéger. Mais aucun membre ne répondait plus.

― Ça va mec ?

― Ouais...

Il avala sa salive et du sang chaud. Avec le temps, il avait appris à accepter ce goût.

On l'aida à se remettre debout. Il ne savait pas qui.

Rien de cassé. Quelques vertiges, mais ils disparaîtraient avant même la fin de la promenade.

Il ouvrit les yeux. C'était un gardien, Bill ou John. Son nom lui échappait encore, ce gardien n'avait pas encore été affecté à l'aile Nord.

― Je n'ai pas vu qui t'a fait ça... Tu les connais ?

Il balança la tête.

― Tu veux qu'on mène une enquête ? Avec les caméras, on trouvera.

Les images sont déjà effacées...

Il balança encore la tête. Pas la peine de les rechercher. C'étaient des fantômes qui lui faisaient ça. Les fantômes de son passé.

De toute façon, il serait bientôt libéré d'eux. Qui qu'ils furent. Encore sept jours à tenir. Sept jours et tout serait terminé. Sept jours et on l'électrocuterait.


EruptionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant