THOMAS
La bosse était belle, douloureuse aussi. Et sa main effleurait à peine le front. Mais un moindre mal au vu du coup qui lui avait été porté. Les hommes de Vélia s'en prenaient de plus en plus durement à lui.
Demain, je resterai plus près des gardiens... En espérant qu'ils surveillent vraiment...
Plusieurs fois, son corps avait souffert alors qu'un garde se trouvait à moins de deux mètres. Les hommes de Vélia étaient parmi eux aussi. Il en était certain. Il était arrivé à l'évidence que tous dans cette prison étaient susceptibles de travailler pour le narcotrafiquant. La prison d'Eyroll était l'une des plus modernes des États-Unis, elle se voulait l'une des plus modernes du monde. Cela ne l'empêchait pas d'être l'une des plus corrompues.
Heureusement qu'ici je ne crains rien...
La bibliothèque avait un accès réglementé. Seuls les meilleurs éléments avaient le droit de s'y rendre. Ici, pas de garde, ou aucun en uniforme, pas de détenus violents, pas de prison. Rien qui ne la différenciait d'une bibliothèque du dehors. Les murs étaient gris, taupe et vert. Une grande salle de travail en demi-cercle à l'entrée d'où les rayons partaient dans toutes les directions. Il avait supposé que c'était un soleil qui devait être représenté. Un soleil renvoyant à toute sorte d'allégories de la connaissance. En tout cas, c'était l'idée qu'il se faisait des bibliothèques du dehors, d'après ses souvenirs.
Neuf ans qu'il n'avait pas vu dehors. Le monde avait sans doute changé. À quel point ? Il restait connecté grâce à la radio de sa cellule. Quelques informations événementielles, mais sans réelle importance. Le Canada avait une nouvelle majorité politique, des tempêtes harcelaient les côtes sud-est des États-Unis, comme toujours, la plus grande vague d'éruptions solaires perturbait certains réseaux de communication. Et après... ?
Il entendait parler des martphone, de tablette, de télévision 3D, de voiture hybride. Pourrait-il s'acclimater s'il avait dû sortir aujourd'hui ? Peut-être, oui. Il s'était acclimaté à cette vie de prisonnier après tout. Mais qu'il était facile de répondre quand le choix n'existait pas. Jamais, il ne sortirait de cette prison. Même mort. On avait prévu de l'enterrer ici, à côté des autres marcheurs. C'était ainsi que les gardes appelaient ceux qui se trouvaient dans le couloir de la mort.
La bibliothèque était peu utilisée. Souvent, très souvent, il était seul avec le bibliothécaire, Erwan Jones. Un homme qui avait du vécu, la cinquantaine, le ventre bedonnant. Jones ne parlait pas beaucoup. Il préférait lire, s'évader. Il lui avait dit une fois, il y avait des années, que sa vie était tellement insipide que les livres lui faisaient vivre des vies qu'il aurait aimées vivre.
La vie terrestre ne doit pas l'intéresser... ni femme, ni argent, ni sexe...
Aujourd'hui, la bibliothèque respirait un peu plus. La faute lui en incombait. Son éditeur avait organisé une séance de dédicace pour son dernier roman, La vie sans vie. Encore un thriller policier. Il ne savait qu'écrire que ce genre de roman. Et ça marchait. Il en était à son douzième depuis qu'il avait été condamné. Un auteur tueur d'enfants dans le couloir de la mort, rien qui ne faisait plus vendre, assurément. Sa fortune était faite. En million. Son père hériterait de tout.
Mon frère aura sa part le moment venu...
Sans ses romans, il aurait sombré. Sans but, sans objectif, difficile de ne pas le faire. Dès son premier jour, il avait écrit. Partout, sur les murs de sa cellule, dans la cour, plus tard, sur des feuilles de papier, enfin dans des cahiers. Comme ceux de sa cellule. L'écriture lui avait offert sa place dans l'aile nord. Il ne mettait pas le désordre pendant qu'il écrivait et les trois directeurs de prison qu'il avait connus avaient tous su en tirer avantage. Il était aussi une bête de foire, il le savait. Mais une bête rare et précieuse, endémique d'Eyroll. Ça aussi, il le savait.
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Eruptions
FantasyKhaty est avocate. Une brillante avocate. Elle a tout. Ou presque. Il lui manque le principal. Le bonheur. Loran a connu le bonheur. Il l'a perdu. Il l'a laissé s'échapper. Thomas erre dans les couloirs. Il n'attend plus rien de la vie. Il n'attend...