Loran

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LORAN


Le goût d'écrire était revenu. Celui pour la mort partie. Un peu. C'était peut-être le premier pas sur le chemin d'une vie meilleure. Ce n'était peut-être qu'un énième pas sur son chemin jonché de peine. L'avenir le lui dirait. Il devait uniquement apprécier ce moment. L'envie d'écrire était revenue, l'envie de vivre aussi.

Tout ça à cause d'un message...

La vie ne tenait parfois à rien. Un message. Non, pas à rien. Il ne pouvait pas appeler ça rien. Ce numéro était spécial pour lui. Jamais il n'avait pensé qu'il lui répondrait à nouveau. Et ce nom, si proche.

Pas de nouvelle inspiration pour son livre, seulement une ancienne. Pour la première fois, il avait rouvert un tapuscrit. Le Dernier Diamant. La vie tumultueuse d'un footballeur atypique. Aujourd'hui, il comprenait pourquoi cette histoire n'avait pas été publiée. Sa médiocrité lui avait agressé les yeux. Dès la première page.

Il l'avait réécrite en rouge, entre les lignes noires du tapuscrit. Il avait écrit, écrit. Tout le premier chapitre en une heure. Sept longues pages. Le point de vue adopté avait changé, celui d'un personnage à la place de l'omniscient. Il n'était pas Dieu dans la vraie vie, pourquoi l'être dans ces histoires ?

Les personnages avaient gagné en profondeur, l'histoire en volume. L'intensité lui avait noué la gorge. Ce chapitre était le plus abouti de ceux qu'il avait écrit. Loin devant aucun chapitre de Planète Blanche. Très loin devant. Le Dernier Diamant était un roman court, entre cinquante et soixante mille mots. À ce rythme, il l'aurait totalement réécrit avec la fin du week-end peut-être.

Tout ça à cause d'un message...

Un message qui avait remué une vase de sentiments au fond de son cœur. Un message qui avait fait réapparaître la vie momifiée qui se cachait en dessous.

Il posa son stylo, se leva. La cafetière était déjà prête à lui faire un nouveau café. Il prit une capsule, une à la cannelle. Sa préférée. Le vestige d'une vie qui venait de réapparaître.

Il se posta à la baie vitrée du salon, en ouvrit un pan. Les enfants des voisins jouaient juste à côté. Comme ils l'avaient toujours fait. Des rires, des cris, des pleurs qui l'avaient souvent ramené à la réalité lorsqu'il était loin, au fond de ses pensées morbides.

Les enfants, la seule force de l'humanité...

Il repensa à Kate. Kate l'inconnue. Kate et ce prénom qui réveillait les plus tendres douceurs en lui. Tout comme ces enfants, elle l'avait arraché aux griffes de la mort.

Elle n'en a sans doute pas conscience...

Il but la dernière gorgée de sa tasse. Il hésitait à reprendre l'écriture. Sa main était endolorie. Pas assez d'entraînement pour écrire autant. Mais c'était plus que ça. Son esprit avait besoin de repos. Pas assez d'entraînement aussi. Ses dernières histoires avaient été écrites en presqu'un an. La première en trois. Le Dernier Diamant pourrait être terminé en moins de quinze jours.

Il voulait écrire, terminer ce roman, l'envoyer au plus vite aux éditeurs. Il voulait surtout se prouver qu'il était capable. Une nouvelle désillusion serait peut-être au bout. Une nouvelle dépression suivrait, emporterait ce qui lui restait d'estime. Il ne survivrait pas à un nouvel échec. C'était sa dernière chance. Une dernière chance liée à une personne.

Il revint à la véranda, s'assit devant son tapuscrit d'encres rouge et noire. Les premières lignes du chapitre 2 étaient toutes aussi mauvaises que celles du chapitre 1. Il les réécrit. Le deuxième paragraphe semblait mieux, de la même trempe de ce qu'il avait écrit aujourd'hui.

Je n'étais pas si mal que ça...Pas tout le temps...

Il prit bien le temps de le relire. Il pianota son téléphone. Sans s'en rendre compte, il l'avait pris après avoir posé son stylo rouge. Ses doigts faisaient défiler la conversation avec Kate.

Tout ça à cause d'un message...

Il sourit. Son pouce se porta aux quatre coins du clavier.


Qu'est-ce que vous faites ?


Trois bips. Il n'avait pas eu le temps d'attendre.


Je travaille et vous ?


Je travaille aussi. Je vous dérange ?


Non au contraire. Quel est votre métier ?


Son métier ? Il travaillait, ça oui, il travaillait. Mais il n'avait pas métier. Un métier vous rapportait un revenu d'au moins 8500 euros par an. Voilà ce qu'était un métier. Il en avait eu un, il y avait longtemps. Il avait eu beaucoup d'argent. Énormément. Mais maintenant, il était au mieux un bénévole, au pire un raté.


Écrivain.


Ça ferait peut-être plaisir à Kate ? Ça l'étonnerait, sûrement.


Et vous ?


Je travaille dans la justice.


Une juriste ? Une policière ? Une femme à la vie pleine, remplie. Un court moment, cette idée lui renvoya sa propre vie si vide, une vie de perdant, de raté. Un court moment seulement. Car cette femme lui parlait. À lui. Il ne devait pas être si raté que ça.

Tout ça à cause d'un message...


Je vous laisse travailler. À bientôt.


À bientôt, oui.


Le stylo remplaça le téléphone.

Il se remit à écrire. Le temps d'un clignement des yeux. L'encre rouge avait recouvert neuf pages de plus.

Il souffla, rejeta son dos contre le dossier de sa chaise. Il transpirait, épuisé. Le souffle lui manquait. Il se leva, ouvrit le réfrigérateur, prit une grande bouteille d'eau. La moitié se vida en une seule gorgée.

Il se rassit devant son tapuscrit, relut les quelques pages qu'il venait d'écrire. Une claque. Rien que ça, rien que ces deux chapitres suffiraient à faire sa renommée. Elle serait beaucoup plus grande que pour Planète Blanche. Il écrivait bien, très bien. Pas une question d'ego. Il n'en avait plus depuis longtemps. Pas question de s'enflammer non plus. Il n'y avait plus rien à enflammer en lui. C'était un fait. Juste un fait. Ce qu'il venait d'écrire allait bien au-delà de tout ce qu'il avait bien pu lire jusqu'alors.

Tout ça à cause d'un message...


EruptionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant