Rainy Night

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Il pleuvait, ce jour-là. J'avais les cheveux mouillés et mes vêtements me collaient à la peau. J'avais décidé d'aller sur le balcon pour m'isoler du bruit, et je m'étais assise sous les trombes d'eau qui coulaient du ciel. Ça ne m'avait pas tellement dérangée. Pas plus que ça. J'avais la tête qui tambourinait, et ça me faisait mal. J'aurais voulu qu'elle se vide comme les nuages se vidaient de leur pluie.
Une bouteille de bière à moitié pleine se dressait à ma gauche. Je m'étais dit que si je remplissais ma tête, peut être qu'elle finirait par déborder. Ça m'a parut une bonne idée sur le coup. Je me suis mise à avaler gorgée sur gorgée, sans essayer de savoir où cette bouteille avait traîné. A vrai dire, je n'en avais pas grand chose à faire.
J'ai commencé à laisser mon esprit vagabonder, se défenestrer et se jetter par dessus le balcon. La pluie avait fini par me percer de toute part, et je ne sentais plus que l'eau qui ruisselait sur ma peau. Et puis, sans raison, elle a commencé à couler de mes yeux.
Je ne fis pas un geste pour essuyer mes larmes. J'étais déjà trempée de partout. Je restai immobile, laissant l'eau salée goutter de mes joues.
Puis, quelqu'un s'assit à côté de moi. Il sentait l'alcool et la cigarette. Il fumait.
Ni l'un ni l'autre n'avions jeté un regard vers notre voisin. Il me demanda soudain si j'aimais la pluie. Je savais pas quoi répondre. Je haussai les épaules. Je le sentis recracher de la fumée. "C'est pour ça que tu pleures?" me demanda-t-il. Sur le coup, je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire, et je ne savais pas la façon dont il avait pu dicerner mes larmes à travers la pluie. Est-ce qu'il voulait dire que c'était parce qu'il pleuvait que je pleurais, ou que c'était parce que je ne savais pas, ou que c'était pour une toute autre raison qu'il m'était impossible de comprendre? Je haussai les épaules de nouveau. "J'sais pas" j'ai dit. C'était vrai. Je savais plus rien.
Il m'a dit qu'il aimait bien la pluie. Je lui ai pas demandé pourquoi. J'ai juste regardé les gouttes qui tombaient du ciel, se mélangeant aux bribes de fumée. Et j'étais d'accord. J'aimais bien la pluie, à ce moment-là.
Alors, il a dit "Embrasse-moi". Je crois qu'il était bourré, et je n'aimais pas trop le goût de l'alcool. J'ai haussé les épaules. "Pourquoi?" J'ai demandé.
"Parce que la pluie arrive pas à effacer les souvenirs."
J'ai tourné la tête vers lui. Il était trempé, le bout incandescent de la cigarette semblant vaciller. Il me regardait tristement, et son visage ruisselait d'eau. Mais une goutte coulait de son oeil, et alors je compris comment on pouvait différencier une larme d'une goutte de pluie. Elles ne brillaient pas de la même manière.
Lentement, comme rouillée par l'eau qui s'infiltrait de toute part, je me penchai vers lui et posai mes lèvres sur les siennes, sans rien penser. Je ne me souviens plus de leur goût. Elles devaient sentir le tabac et l'alcool fort. Sûrement. Je m'éloignai et il me dit simplement "merci".
"Je crois que personne peut effacer les souvenirs. Je crois qu'on peut juste essayer de vivre avec du mieux possible." je dis en regardant au loin. Il sourit et il me prit la main, comme pour se raccrocher à la réalité. Je ne fis rien pour me dégager. Nous restâmes sous la pluie sans rien dire, liés dans le silence.
Puis, je laissai une dernière larme rouler sur ma joue, s'envoler avec le vent et l'eau. Je fermai les yeux. Et le souvenir de son sourire vint doucement éclairer ma nuit.

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