Cepelinai

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    - Je suis désolée, il ne va pas très bien aujourd'hui. Mais revenez demain matin, je suis sûre que votre présence lui fera du bien.


    De l'autre côté de la porte je peux entendre Alana demander à l'infirmière depuis quand je n'ai pas prononcé ne serait-ce qu'un seul mot. Et j'ai moi-même du mal à répondre à cette question. Je crois que ça remonte à deux, peut-être trois semaines. Je ne sais même plus depuis quand on m'a enfermé ici. Tout ce que je sais, c'est qu'ils m'ont transféré dans cet hôpital après que Jack m'ait annoncé qu'ils avaient retrouvé ton corps, sur une rive voisine à celle où j'ai échoué. Je me souviens d'avoir fait mine de ne pas comprendre et d'avoir insisté pour savoir dans quel établissement tu te trouvais. Je me souviens également de cet air apaisé que tirait Jack pour m'annoncer que tu ne faisais plus parti de ce monde dorénavant, et je crois que j'aurais pu lui foutre mon poing à la gueule si il avait rajouté un « on l'a enfin eu ce salaud ». Je me souviens d'avoir hurlé, jusqu'à en perdre la voix. Puis, plus rien. Plus un mot. C'était comme si tout s'était envolé, ma peur, mon stress, mon agitation, même mes cauchemars, pour faire place à un grand vide qui ne cesse de s'accroître de jour en jour. Je me sens tellement vide. Et je me surprends à m'imaginer ce que tu aurais pu me dire face à ça, quelque chose comme « ce vide Will, n'est rien d'autre que le reflet de ta douleur ». Je n'avais jamais ressenti ce genre de choses auparavant, ni après la mort d'Abigail ni même après ton escapade en Italie. Il a fallu que je te perde définitivement pour connaître cette putain de sensation.

    Assis sur la seule chaise de la chambre, j'observe le paysage qui donne sur les jardins de cet hôpital sans grand intérêt. Mes chiens me manquent. Tu me manques et je t'en veux de m'avoir laissé. Je t'en veux d'être parti sans moi, sans m'avoir attendu. Mais c'était ce que tu avais prévu, n'est-ce pas ? Tu prévois toujours tout. Me garder en vie était ton plan. Quelle connerie. Putain, j'ai juste envie de passer à travers cette fenêtre et d'atterrir trois mètres plus bas. Mais avec un peu de chance, la seule chose que j'arriverai à me faire c'est de me casser une jambe et encore, si on oublie le fait que cette fenêtre comporte une grille de protection bien évidemment. Mais après tout c'est comme si je l'étais, comme si j'étais mort avec toi cette nuit là. Ou du moins presque. Pathétique. Depuis quand je suis devenu aussi pathétique ? De toute façon, ce n'est pas comme si j'en avais quelque chose à foutre. Plus rien n'a d'importance à présent puisque tu n'es plus là.

*********


    - Will, je t'en prie parle-moi.


    Je dérive mon regard en direction d'Alana qui s'assoit sur le bord de mon lit, tandis que moi, je me trouve tout simplement sur cette même chaise, comme tous les jours depuis mon arrivée. Puisque la seule chose que je fais, c'est de faire des allers-retours entre mon lit et cette stupide chaise.


    - Ça fait des semaines que tu n'as pas ouvert la bouche et tu sais très bien que  Jack commence à perdre patience. Qu'est-ce qu'il s'est passé cette nuit là ?


    Cette fois-ci elle décide de se lever pour venir s'agenouiller à côté de ma chaise, une main sur la mienne et l'autre sur l'accoudoir. Eh bien qu'elle soit ce qui se rapproche le plus d'une amie, du moins,je crois, je me retiens de me dégager lorsqu'elle décide de passer ses doigts sur ma joue, autour de cette cicatrice qui me fait encore mal. Mais elle le fait à ma place quand elle s'aperçoit que je ne parlerai pas. En soupirant, elle s'agite une nouvelle fois, elle s'adosse contre la fenêtre afin de me cacher la vue, en pensant certainement que cela pourrait me faire réagir mais mes iris se concentrent sur la peau qui se trouve autour de l'ongle de son index, cette dernière qu'elle torture à l'aide de son pouce. Alana Bloom serait-elle nerveuse ? Ou perdrait-elle aussi patience ? Dans tous les cas, elle ne s'arrête pas là.


    - Je vais te dire comment ça s'est passé. Francis vous a retrouvé alors il s'en est     chargé. Dit-elle sans prononcer ton prénom, comme si l'entendre pouvait me faire encore plus de mal. Et tu savais que ce n'était pas que de la légitime défense. Alors tu as réalisé. Tu as réalisé à quel point il était nocif pour toi. Parce qu'il l'était et il l'est encore maintenant, pour nous tous. Regarde dans quel état tu es ! Dis-moi que tu as voulu le stopper et que ça s'est mal terminé.


    Lui répondre ne lui servirait à rien, puisque tout ce qu'elle veut c'est être rassurée. Ne vaut-il mieux pas être heureux dans l'illusion que d'être malheureux dans la vérité ? Je me demande ce que tu aurais bien pu répondre à ça. Cependant, rejeter la faute sur toi ne peut que m'énerver et c'est bien la seule chose que je ressens après des jours. La colère. Même si tu y es pour quelque chose, tu es toujours lié à quelque chose.


    - Je ne peux pas vivre sans lui. Je ne peux pas survivre à une quelconque séparation. J'étais enfin moi-même avec lui Alana et je ne peux l'être qu'avec lui. Alors je... J'ai... Il est mort.


    Ma voix se met à trembler et je sens mes yeux me piquer, mon regard s'abaisse en direction de mes doigts qui se resserrent sur mon vieux jogging. Je ne sais pas si c'est parce que c'est la première chose que je dis après tout ce temps ou si c'est parce qu'elle me voit enfin réagir, mais elle n'ajoute rien. Juste le son de ma respiration devenue irrégulière se fait entendre dans la chambre et je sais, je sais qu'elle a compris ce que je voulais dire malgré le fait que je n'ai pas pu terminer ma phrase. J'aurais aimé que tu sois à mes côtés, parce que tu es le seul qui est capable de me comprendre, parce que je suis le seul qui te comprend. J'aurais aimé que tu sois vivant. Mais si tu l'étais, je ne serais pas ici. Et j'ai envie de hurler à quel point tu me manques. A quel point cette douleur me compresse les poumons et qu'elle m'empêche de respirer. C'est horrible d'être en manque de quelque chose ou de quelqu'un, ça me donne envie de détruire tout ce qui m'entoure.

    De longues minutes s'écoulent durant lesquelles je laisse sortir ce que j'ai intériorisé pendant ces dernières semaines. Je finis cependant par ramener mes mains sur mes joues pour enlever ces perles salées bien que je grimace lorsque je touche par erreur ma cicatrice. Et c'est dans un murmure que je reprends.


    - Fais-moi sortir d'ici.


Pour toute réponse, elle se redresse et pose l'une de ses mains sur mon épaule, qu'elle appuie doucement. Je l'entends me répondre que je peux compter sur elle. Puis, c'est en silence qu'elle retrouve le chemin jusqu'à la sortie. Je me souviens de cette fameuse nuit où tu m'en as voulu de les avoir prévenu, avant que tu ne tues Abigail. C'est ce que tu veux, pas vrai ? Que même après ça, que même après ta mort, je te sois encore fidèle ? Tu veux que je m'occupe d'eux, de Alana. De Jack. Tu as tout prévu. C'est ton plan et c'est devenu le mien. Alors je te montrerai à quel point je te suis fidèle, que j'ai enfin pris ma décision.

Inside your veinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant