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Arsinoé détaillait de loin les silhouettes des présents. Beaucoup de noir, du brun foncé chez ceux qui n'avaient pas les moyens d'investir dans une nouvelle tenue. Le vent perdait les paroles de celle qui prononçait quelques mots devant le cercle.

— En valait-ce la peine, vraiment ? gronda Élisée.

— Oui. Silence.

Il se tourna brusquement vers elle. Elle soutint sa mine orageuse.

— Pardon ?

— Silence ou je vous jure que je vous pousse là-bas et que je leur dis tout. Il paraît que sa fiancée est présente. Je parie qu'elle sera intéressée.

Ils se turent. Les fossoyeurs descendirent le cercueil. Une petite femme s'écroula dans les bras de son voisin.

— Quand nous rentrerons, je veux vous voir revenue à une attitude raisonnable.

— Oui, Père.

C'avait été cruel de sa part de lancer une menace pareille. Avec les années, Élisée était venu à considérer son fauteuil comme une partie de son corps, plus essentielle encore que ses lunettes ; elle ne venait ni plus ni moins que lui ôter une nouvelle fois les jambes. Au-delà de sa colère, Arsinoé savait qu'ils se méritaient bien, tous les deux : aussi mauvais l'un que l'autre.

Elle croyait avoir le temps. Peindre son portrait attendrait demain, écrire attendrait demain, le rencontrer attendrait demain. Son père disparaîtrait forcément avant son fils. C'était là l'ordre des choses, non ?

Il n'y avait plus rien à attendre désormais. Ne restait que le regret.

Elle chercha Philémon parmi les gens réunis. Elle hésita longuement, visage par visage. Peut-être n'avait-il pas eu la force... Il souffrait bien plus qu'elle, évidemment. Elle n'était rien. Son choix fait, son père avant son fils, elle ne pouvait pas se réclamer d'une quelconque maternité.

Quelqu'un croisa son regard et ne le lâcha pas. Arsinoé détourna la tête. La personne quitta le cercle et s'avança dans sa direction. En panique, Arsinoé lança qu'elle partait faire un tour et planta son père là. Elle le paierait plus tard. Ça valait mieux que de rencontrer un proche de Nicéphore en sa présence, sans aucun moyen de contrôler ce qui se passerait.

C'était une autre femme, plutôt jeune, plutôt grande, le cheveu noir et noué, l'air fermé. Elle tendit la main à Arsinoé.

— Bonjour. Pardonnez-moi, mais je dois vous poser la question : appartenez-vous à la famille maternelle de Nicéphore ?

Le cœur d'Arsinoé perdit son rythme. Elle pinça les lèvres, hocha la tête.

— Merci. Pouvons-nous nous voir, un de ces jours ? Un café qui vous convienne, sinon je connais quelques bonnes adresses. Voici la mienne, que vous puissiez me recontacter.

Elle sortit une carte de visite et la lui glissa dans un pli de bustier. Arsinoé la foudroya du regard et rangea le carton dans la poche de son manteau.

— J'attends de vos nouvelles, madame... ?

Elle ne répondit pas. L'autre enchaîna :

— Je suis Paule Tailleur. Enchantée.

Arsinoé tressaillit, répliqua bêtement :

— Oh, vous êtes la...

Elle s'interrompit. Passa entre les deux femmes la certitude qu'elles savaient désormais qui était qui. Arsinoé déglutit.

— À bientôt, dit Paule. J'attends ce café.

*

La tasse de thé réchauffant ses mains, Arsinoé contemplait les nervures de la table. Elle fréquentait l'établissement depuis plusieurs années, s'asseyait toujours au même endroit ; elle inspectait le bois par ennui plus que par curiosité.

L'oreillerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant