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Arsinoé fredonnait, le pinceau ferme, l'humeur tranquille. Son fils prenait forme sur la toile. Un fils lumineux, un fils souriant, un fils vivant. Elle en ferait peut-être un second, s'il intéressait Philémon de conserver un souvenir de lui. Peut-être un troisième. Voire d'autres. Tant qu'elle aurait des toiles et de la peinture, pourquoi s'arrêter ? Et avec sa fortune, elle ne voyait pas de limite.

Tout allait mieux depuis l'installation d'Ada. Élisée n'avait pas changé – rien ne le changerait – mais il dormait davantage grâce aux bons soins de la jeune fille, qui s'occupait aussi de tous ces moments désagréables de la journée où Arsinoé avait coutume de prendre la mauvaise humeur de son père de plein fouet. L'auxiliaire elle-même paraissait imperméable à ses perfidies. Toutefois, il ne la connaissait pas encore assez pour savoir sur quels boutons appuyer, donc il s'améliorerait peut-être à l'avenir.

Élisée avait parlé de transférer le contrôle des comptes à sa fille. Elle n'en revenait toujours pas. Ce serait une excellente nouvelle, bien sûr : plusieurs dossiers se trouvaient en suspens parce qu'il ne prenait plus la peine de s'en occuper, la famille ratait des investissements prometteurs parce qu'Arsinoé savait que les faire accepter à son père lui demanderait trop d'énergie, elle souhaitait depuis longtemps augmenter le personnel de leur hôtel particulier en ville et de leur maison de campagne... Elle espérait que ce n'étaient pas des paroles en l'air.

Enfin ! Tout allait pour le mieux et il fallait que la situation perdurât.

On toqua à la porte.

— Entrez.

— Arsinoé, je dois faire une course en ville...

Arsinoé se figea. Ada aussi. La peintresse tenta de cacher la peinture.

— Qu'est-ce que c'est que ça ?

L'auxiliaire entra d'autorité dans l'atelier. Sur les murs, Nicéphore à ses quinze, seize, et ainsi de suite jusqu'aux vingt ans encore en cours de conception. Son petit acte de rébellion envers son père, pour garder toujours son fils auprès d'elle, d'une façon ou d'une autre. Sa petite veuve contemplait les portraits, anéantie.

— Vous êtes sa mère ?

Arsinoé hocha la tête, effrayée.

— Paule a dit... C'est à cause de lui ?

Ada serra les poings et quitta l'atelier en trombes. Arsinoé, le choc passé, suivit. La dispute faisait déjà trembler les murs. Arsinoé s'arrêta avant la porte, adossée, écoutant.

— ... bien dû vous faire rire de me voir vous occuper de vous. Assassin !

— Non, parce que je n'avais aucune idée que vous étiez la putain du bâtard, idiote.

— Moi qui vous ai cru dément. C'est pire. Vous avez toujours été comme ça.

— Oh, j'ai toujours défendu mon intérêt contre les faibles et les moins-que-rien ? Quelle horrible personne je dois être.

— Vous avez tué l'amour de ma vie. Vous avez signé le contrat de son assassinat.

— Je n'ai rien fait du tout. Sa mort me procure un intense plaisir, mais je n'en suis pas responsable.

— Vous espérez que je vous croie ?

— J'espère que vous reconnaitrez la qualité qui me différencie de vous, et des autres ordures de votre ruisseau ! Des parasites toujours aux crochets des puissants, à attendre la première occasion pour leur ouvrir la gorge, à se plaindre sans cesse de manques imaginaires pour arracher des larmes aux imbéciles fortunées, et à s'accoupler, et à grouiller, et à tout dévoyer, voilà tout ce que la plèbe sait faire !

L'oreillerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant