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La jeune Ada surprenait Arsinoé par son apparence. Quand elle avait ressenti une sorte de fierté égoïste à ce que Nicéphore convolât avec une grande femme brune, ce petit bout de fille osseuse et rousse la laissait mitigée. Qu'avait-elle de mieux que l'autre ? Probablement son caractère. Elle espérait que ce n'avait pas été sa faiblesse de caractère. Cette fragilité physique et mentale dérangeait ses plans.

Elles visitaient seules les différentes pièces de la maison. Arsinoé voulait faire passer certaines instructions qu'elle n'aurait pu donner en présence d'un domestique.

— ...si vous choisissez de vivre ici à plein temps, vous serez logée, nourrie et blanchie, tout en touchant le double de ce que je vous ai proposé tout à l'heure. Père se réveille parfois la nuit, toujours en grande souffrance.

L'auxiliaire médicale hochait la tête à intervalles réguliers, d'une façon qui suggérait l'amour professionnel du silence plutôt que l'ennui ou le dépassement. Sur ce point précis, elle émit un petit son d'arrière-nez, un hum intéressé.

L'accompagnement des personnes âgées ou infirmes faisait partie des tâches attendues des jeunes gens dans le soin ; certains en visitaient une dizaine chaque jour, pour un faible revenu. Ceux (celles aussi, mais en nombre négligeable) qui étaient repérés par une maison riche entraient volontiers à son service comme médecin de famille. À l'époque, Philémon racontait à son amante le clivage houleux entre les « de la rue » et les « domestiqués », qui n'avait pas disparu en vingt ans. Au moins, Élisée nécessitait vraiment une aide quotidienne, qu'Arsinoé assumait jusque là par habitude. Elle apprendrait plus tard qu'Ada consacrait son jour de repos hebdomadaire à d'autres visites.

Le tour des lieux fait et les avantages négociés, ne resta bientôt plus aux deux femmes que l'étape la plus importante de l'embauche.

Élisée ne répondit pas lorsqu'Arsinoé toqua à la porte de son cabinet de travail. Elle entra sans plus attendre.

— Père ? Je vous présente votre nouvelle aide.

Il se tourna, le sourcil haussé.

— Qui a besoin de ça ?

— Vous, et moi, parce que je ne rajeunis pas et que je me fatigue. D'autant que ces dernières années nous ont montré que vous tombez aisément malade, autant garder un médecin à la maison.

La petite s'avança.

— Je m'appelle Ada Rousseau. Mes références sont à votre disposition, monsieur.

— Est-ce qu'on vous a adressé la parole, à vous ?

Elle éclata de rire.

— Monsieur, vous allez oublier ce ton-là tout de suite, et nous deviendrons bons amis. Croyez-moi, dans votre situation, vous voulez d'une bonne amie.

Élisée resta estomaqué. Arsinoé sentit son cœur s'emballer. Bon, au moins, pour ce qui était faiblesse de caractère, elle avait fait fausse route. Il ouvrit la bouche pour protester, elle répliqua :

— Chut.

Il se tétanisa, horrifié. Arsinoé flottait. Ada mit ses poings sur ses hanches.

— Maintenant si vous permettez j'aimerais profiter du reste de l'après-midi pour faire le tour de ce dont vous aurez besoin au quotidien – notamment, combien de fois je vais devoir vous porter chaque jour. Vous vous êtes baigné aujourd'hui ? Non ? C'est l'occasion ! On y va.

Arsinoé contempla du coin de la porte de la salle de bain la façon dont l'auxiliaire médicale assistait le déshabillage, laissant l'espace et le temps à Élisée quand il pouvait assurer seul, prenant le relais dans l'instant si besoin était. Elle vit, rêveuse, tout le petit corps de la jeune femme faire levier pour manipuler le vieillard de la chaise à la baignoire, les muscles fins de ses bras se bombant sous l'effort. Élisée se retrouva enfoui sous la mousse du bain, l'air confus. Il se ressaisit et lança à Arsinoé :

L'oreillerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant