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Se pencher sur l'histoire est pareil à retourner un caillou.

Fascination mélangée dégoût, à voir grouiller tous les cloportes.

Dame Omérine de Virive


Louise-Manon-Carmenta Faveletti était une veuve courbée, percluse de rides, et parfaitement adorable. À mesure que le thé refroidissait et que les biscuits secs s'y amollissaient, elle discourait d'une voix posée sur toutes les actions de ses fonds de bienfaisance. Arsinoé, son hôtesse, ne pouvait que se féliciter d'avoir épargné cette entrevue à son père : il n'aurait rien supporté de la vieille dame et elle en aurait subi les conséquences pendant des jours.

— Mais, ma petite, puisque vous honorez mon rendez-vous à la place de ce cher Élisée...

Arsinoé sourit au sobriquet rapetissant. En partie parce qu'elle fêterait bientôt ses quarante-cinq ans et hésitait à laisser l'âge afficher sa victoire sur ses longs cheveux noirs ; également parce que son père ne savait rien de leur entrevue. Il n'aurait rien fait de bien d'une telle information.

— ... dois-je comprendre que nous devons nous tourner vers vous pour toutes affaires d'argent ?

Arsinoé tressaillit, son sourire toujours vissé à la figure, la réplique hésitante.

— Hum, non. Bien évidemment, non. Père possède toujours le contrôle des comptes.

— Alors c'est de votre père dont j'ai besoin. Il s'agit d'injecter des fonds dans les foyers pour orphelins ! Je ne suis pas venue vanter mon grand cœur à votre minois joli. Pensez à ces enfants si jeunes qui n'ont plus aucune famille, plus aucun parent pour les soutenir...

Une pause dans sa tirade. Elle ne nécessitait aucune autre précision, bien sûr. Comment ne pas éprouver de pitié pour qui était privé de la joie d'un père ?

Arsinoé se sentit horrible de ne pas y parvenir.

— Je verrai ce que je peux faire. Mais partez, maintenant. Les quêteurs comme vous ennuient Père.

— Quêteuse ! Moi ! C'est de ma fortune que j'ai soutenu cette opération des décennies durant, je ne cherche que des partenaires pour l'étendre et je ne mens pas sur mes intentions !

L'hôtesse pinça ses lèvres. La conversation déraillait. Le ton montait et s'il montait trop Père finirait par entendre du bruit. Il fallait que cette femme parte. Il fallait qu'elle parte aussitôt et il n'y avait plus le temps pour les mondanités, plus le temps pour la politesse et plus le temps de prendre des risques.

— Oh, allez-vous-en ! Il n'y a rien pour vous ici !

Louise-Manon-Carmenta Faveletti leva les yeux au plafond, ramassa sa canne et entreprit de se hisser hors de son fauteuil. Arsinoé lui tendit son bras. La vieille dame le refusa.

— Inutile d'appeler un domestique. Je trouverai mon chemin.

Sa voix douce virait plus sèche que l'herbe d'été. Arsinoé baissa la tête. La veuve Faveletti pensait qu'elle n'avait pas de cœur – et elle avait raison, elle était une mauvaise personne et rien n'y changerait jamais quoi que ce fût.

Arsinoé sortit racheter des couleurs pour se remettre de ses émotions. Elle y était autorisée parce que son père estimait que la pratique de la peinture constituait un répulsif efficace contre n'importe quel homme mal intentionné. Elle en profitait pour traîner dans la boutique, discuter avec les autres passionnées et prendre les dates d'événements divers.

L'oreillerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant