V.

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... la faim justifie les moyens...

Je partis à la chasse, courant à vive allure dans la pénombre puante de ce désert cadavérique.

Je ne rechignais pas à mourir mais l'idée d'être mangé me répugnait grandement.

Je préférais être de l'autre côté du couteau...

Je me rapprochais des cris.

Ils étaient atroces.

Au loin je vis un homme, à terre, la jambe droite arrachée. Un autre, agenouillé à ses côtés, dévorait les chairs sanglantes qui pendaient de son moignon.

L'être humain avait touché le fond.

La profondeur obscure de son âme animale.

Cette vision hideuse me fit vomir.

Dans un élan d'inconscience stupide, je me jettai sur eux pour achever ce prélude macabre à coup de lame acérée, plantée , ça et là, dans la chair molle des bestiaux.

Les viscères s'étalèrent.

Le sang s'éparpilla.

Les cris cessèrent dans une écume écarlate.

À présent, j'avais de quoi me nourrir plusieurs semaines...

***

Le temps passait.

Paisible.

Je n'avais plus besoin de sortir.

Les jours étaient mes nuits et les nuits étaient mes jours.

Mes réserves s'amenuisaient. Je n'étais pas certain d'en trouver d'autres...

Depuis quelques temps déjà, plus rien ne bougeait en surface. La température extérieure avait sensiblement augmenté et je sentais mon corps se vider de sa substance grise.

Mon cerveau s'éparpillait.

Le temps n'avait plus d'intérêt.

Je ne savais pas pour quelle raison je restais encore ici.

Pourquoi ne pas en finir au plus vite ?...

Le couteau posé devant moi me regardait avec insistance.
Je pouvais abréger cette souffrance par un simple geste.

Pourquoi ne l'avais je pas fait plus tôt ?

Avant de n'être plus que cette larve misérable, semblable aux autres morts avant moi...

Un insecte...

Une amibe...

Rien...

J'étais perdu dans ce tourbillon de désirs contradictoires.

Vivre ou mourir ?

Mon existence n'en valait plus la peine... la mort me faisait peur.
Ce sentiment était la seule chose qui grandissait encore en moi.

Je craignais mes propres réactions.

J'étais effrayé par moi même.

J'aurais pu me tuer à tout moment, mon esprit se dédoublait, les forces me quittaient.
Je décidai, malgré ça, de me séparer du couteau pour ne plus me soumettre à cette tentation morbide.

La nature ferait le reste...

***

J'ai 13 ans je crois..., ou peut être 14..., je ne sais plus...

Ça y est, j'y suis...

Je n'entends plus rien...

Cela fait plusieurs jours que je n'ai rien bu ni mangé...

Je ne peux plus me lever...

Mon corps s'enlise dans la poussière...

Je commence à sentir ma propre pourriture...

Je ne suis plus qu'un déchet, un rebut, le dernier...

Je suis la victime qui porte l'héritage d'un monde qui s'effondre...

Je suis seul dans ma grotte,
À regarder dehors,
Les étoiles qui flottent
Me mènent à la mort...
Je suffoque...
Je pleure...

Je meurs...

ORIGINALLY ( Nouvelle )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant