PARESSE - Chapitre 1 : Les hommes sont des cochons

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—Qu'les choses soient bien claires : j'ai rien cont'toi. Vraiment, je t'assures que si je pouvais t'garder, j'le ferais ; mais c'est pas possib', tu comprends ? C'est pas ma faute à moi, c'est la crise qui veut ça. Et c'est pas tous ces connards de politiciens qui vont y remédier, trop occupés qu'ils sont à s'tirer dans les pattes pour s'inquiéter de not' sort à nous autres. Ils s'en foutent que nous on soit obligés de trimer avec not' sang pis not' sueur pour avoir quelque chose à grailler à la fin du mois. Pis c'est bien connu ; le fric appelle le fric. Ils s'engraissent sur not' dos comme les gros porcs qu'ils sont, et pendant c'temps-là, des pov' gars comme moi doivent se séparer de pov'fille comme toi...

Grâce ne bougeait pas et écoutait le discours de son patron – ancien patron – qu'il avait passé des heures à répéter devant son miroir la veille au soir. Elle avait cru que le fait qu'il ait le béguin pour elle la mettrait à l'abri de ce genre de situation et visiblement, elle avait eu tort.

Elle l'écoutait donc, mais inexorablement, son regard qu'elle tentait de maintenir sur ses lunettes graisseuses se déplaçait malgré elle vers une mèche de cheveux qui ondulait sur son crâne presque chauve, et qui tressautait chaque fois qu'il appuyait ses paroles par des gestes convaincus.

Et étrangement, elle se sentait proche de cette mèche de cheveux qui tressautait sur le haut de son crâne. Parce que comme elle, elle était dans l'attente du moment où elle n'aurait plus la force de se cramponner pour sa survie, et comme elle, elle faiblissait de jour en jour. A la différence que la mèche de cheveux finirait simplement par rejoindre ses congénères dans le siphon de la baignoire tandis qu'elle, elle allait se retrouver sans emploi.

—M'enfin Grâce, tu sais...je voudrais surtout pas te laisser dans la mouise alors...

Elle sursauta en prenant conscience qu'il lui parlait toujours, et le regard étincelant qu'il lui jeta lui glaça inexplicablement les sangs, comme si elle avait parfaitement compris ce qu'il voulait insinuer sans pour autant vouloir se l'avouer.

Devant sa mine interdite d'ailleurs, son ex-patron paru mal à l'aise. Il se mit à gratter de ses ongles à demi fendus l'arrière nu de son crâne, et son regard se fit plus insistant d'une certaine manière.

—M'enfin, reprit-il avec une étrange tension dans la voix, tu es une belle femme et...

Il fit une pause, la jaugeant avec une ardeur nouvelle dans le fond de ses prunelles. Grâce ouvrit la bouche, peut-être choquée ou peut-être fatiguée. Éreintée de lutter en permanence contre les autres, contre les hommes. Contre la vie.

—M'enfin, tu vois ce que je veux dire ?

Le silence se fit, lourd et moite comme un brouillard de peine. Grâce n'en revenait pas. Elle était choquée tout compte fait, et même,elle était furieuse. Ses petites mains se serrèrent pour former un poing bien rond, et elle aurait tout donné pour l'abattre sur le pif rougeaud de ce gros cochon qui la dévorait sans gêne du regard. Ses narines s'ouvraient et se refermaient au rythme de sa respiration saccadée, ses lèvres charnues passèrent sous ses dents de devant.

Oh c'était pas l'envie de lui en coller une qui lui manquait. Parce qu'elle aurait eu raison de le faire, pas vrai ? C'était dégoûtant ce qu'il lui demandait. Répugnant même ; et rien que d'imaginer ses grosses mains calleuses et pleines de sueur sur son corps, ça lui donnait envie de vomir. Sauf qu'il y avait un hic.

Un hic avec deux zéro derrière – son salaire si on pouvait l'appeler ainsi. Parce que ce gros cochon avait bien choisi son moment : juste avant de lui reverser sa paie. Ça n'aurait pas posé de problème si tout avait été fait dans les règles, le problème c'est que ça n'avait pas été le cas.

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant