COLÈRE - Chapitre 3 : La couleur du péché

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Joshua observait méticuleusement son reflet dans le miroir. Il examinait avec attention l'amande de ses yeux, les reflets orangés dans le vert de ses prunelles, l'arrondi de ses pommettes, la courbe sèche de son menton. Il était beau. Pas qu'il ait franchement besoin de se le dire, il le savait. C'était une vérité immuable pour lui, aussi vraie que la Terre est ronde. Il était beau donc, et il ne doutait pas que Judith l'avait remarqué, elle aussi.

Car ils s'étaient rapprochés l'un de l'autre au court des derniers jours. Joshua s'était arrangé à maintes reprises pour se retrouver seul avec la jeune fille, et chaque fois il avait trouvé le moyen de se découvrir un nouveau point commun avec elle. Inventé de toutes pièces, certes ; mais l'essentiel était qu'elle y croyait dur comme fer. Il avait compris que jouer les tourmentés ne pouvait que lui attirer ses faveurs, puisqu'en bonne âme qu'elle était, Judith ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la compassion pour l'adolescent.

Et comme toujours, Joshua avait su en tirer profit. Glissant de temps en temps une phrase, un mot, un geste, un soupir qui exprimait la sourde douleur que lui causait son aîné. C'en était presque comique à force, parce que c'était trop facile. L'adorable Judith avait fini par se mettre en tête de rétablir les liens fraternels brisés, et comme Joshua l'avait prévu, ses petites manigances avaient commencé à semer la discorde dans le couple de son frère. La veille encore, il avait très clairement entendu les futurs mariés discuter de son cas dans la chambre de l'aîné. Judith tentait de comprendre, dépassée visiblement par l'attitude de Romuald. Et Romuald s'emportait, incapable de s'expliquer, incapable de lui avouer qu'il soupçonnait son frère d'être un dangereux psychopathe. Et comme toujours lorsqu'il était à court d'argument, il mit brusquement fin à la conversation en quittant le domicile familiale, claquant furieusement la porte au passage.

Et ce matin, il n'était pas rentré. Une aubaine pour Joshua qui voyait là un signe du destin. Son assurance lui soufflait qu'il était temps de passer à la vitesse supérieure. Il était persuadé que Judith allait lui tomber dans les bras aujourd'hui même. Et le plaisir qu'il éprouvait en songeant qu'il allait bientôt atteindre son but s'intensifiait encore lorsqu'il imaginait la peine immense qu'il allait causer à son imbécile de frère.

Une fois certain d'être parfaitement impeccable, le jeune homme quitta sa chambre et se rendit dans le salon. Il savait qu'il y trouverait Judith, probablement sa mère aussi. Quant à son père, il l'avait entendu quitter le domicile pour se rendre au travail car « l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ». Foutaises.

Lorsque Josh fit son apparition dans le séjour, il eut l'heureuse surprise de découvrir que sa chère mère était absente, et que Judith était seule. Il nota dans un coin de son cerveau que ses yeux étaient rougis, bouffis, et il attribua cela à un manque de sommeil. Et à quelques larmes versées très certainement. Décidément, les choses se présentaient merveilleusement bien.

Le jeune homme s'approcha comme si de rien n'était faisant mine de ne pas avoir remarqué son air abattu. Mentalement, il façonna de toutes pièces une expression affable et s'appliqua à la reproduire fidèlement sur ses propres traits. A son approche, Judith fit un mouvement de tête brusque et s'essuya brièvement les yeux. Elle aussi joua de ses talents pour effacer de son visage les marques du chagrin, mais pour une fois, elle ne surpassait pas Joshua et ce dernier eut tout le loisir de jouer les étonner.

Il marqua un arrêt, détendit ses traits, feignit habilement la surprise.

—Judith...ça ne va pas ?

Les traits de la jeune femme se figèrent et l'adolescent devina qu'elle hésitait entre se confier à lui et nier l'évidence. Une lueur étrange vacillait dans ses iris, ses tendons jouaient doucement sous sa peau laiteuse. Une larme qui avait échappé à ses doigts, avait stoppé sa course sur le haut de sa joue et l'espace d'un instant, Joshua se demanda si elle allait reprendre sa route, ou bien si elle allait rester là pour simplement disparaître et ne laisser rien de plus qu'un peu de sel humide.

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