Interlude

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Il faisait noir autour de lui. Complètement noir. Et l'obscurité l'oppressait, littéralement. Il lui semblait qu'il portait sur ses épaules le poids de la noirceur. Il ne parvenait pas à distinguer quoi que ce soit dans la pénombre épaisse et muette, pourtant, il savait qu'il était là. Il était toujours là. Il l'attendait – il n'attendait que lui. Charles déglutit. L'angoisse lui serrait la gorge à deux mains, il avait l'impression d'étouffer, de suffoquer de peur.

—Je vous en prie...

Les mots moururent dans sa gorge, il tremblait, avisant dans le noir deux yeux qui scintillaient comme des diamants. Il recula d'un pas, puis d'un autre, ses jambes semblaient faites de coton.

Un hurlement déchira soudain le silence et Charles tomba à genoux, terrassé par ce déchaînement de haine, sanglotant à présent comme un enfant, de grosses larmes tièdes roulant sur ses joues creusées par l'épuisement. Il se recroquevilla, pathétique, impuissant face au monstre qu'il savait tapis juste là, dans le noir.

—Je vous en prie..., couina-t-il encore.

Il distingua un mouvement et, prit de terreur, il tenta de reculer, battant minablement des jambes dans l'obscurité, gémissant de plus en plus fort tandis que la bête s'approchait de lui. Il ne pouvait la distinguer clairement, mais cela n'était pas utile. Il l'avait déjà vue, et à de nombreuses reprises. Le molosse gronda et cela sonnait comme le tonnerre, emplissant le noir de toute son implacable cruauté. Charles savait que s'il restait une minute de plus, il allait mourir.

—Je vous en prie, implora-t-il, laissez moi...

Sa voix mourut au bord de ses lèvres et il s'étrangla presque dans sa propre terreur. Le grondement se fit plus intense ; plus pénétrant. L'homme frissonnait de toute sa chair et il avait l'affreuse sensation de se liquéfier, comme si soudain il n'avait plus d'existence physique, comme si son corps était happé par une force démesurée, broyé, réduit à l'état de rien, mettant son âme à nue et à portée de crocs.

Son cœur pulsait dans sa poitrine et chaque battement résonnait jusque dans la moelle de ses os. Un jappement sourd lui arracha un hoquet de terreur et dans un réflexe futile, Charles leva les bras pour protéger son visage. Il ferma les yeux, mais même comme ça, il savait que le molosse était tout près ; il pouvait sentir son haleine brûlante sur sa peau.

—Pitié, gémit-il, pitié. Laissez-moi, laissez-moi...

Sa voix se brisa nette ; la gueule du monstre s'était refermée sur son avant-bras.

Il ouvrit soudain les yeux, couvert de sueur et tremblant de la tête aux pieds, allongé dans son lit, seul, terrifié. Son cœur battait toujours à tout rompre, et le pauvre homme scrutait chaque recoin de sa chambre afin de s'assurer que l'animal ne l'avait pas suivit. Ses draps poisseux de sang lui collait à la peau et, secoué de la tête aux pieds par d'affreux spasmes de terreur, il les souleva pour découvrir une morsure encore fraîche venue rejoindre celles qui couvraient déjà son corps meurtri.

—Pitié, dit-il à voix haute. Laissez-moi dormir...

Et il fondit parfaitement en larmes sans se rendre compte qu'une fois encore, il s'était pissé dessus.

* * *

Rien qu'à voir le visage de son père, Eva savait qu'il n'avait pas beaucoup dormi cette nuit encore. Cela n'avait d'ailleurs rien d'étonnant ; il était rare que ce dernier ne parvienne à somnoler plus de quelques heures. Et ça, c'était lorsqu'il était ivre. L'Autre disait que c'était sa punition. Il disait que c'était tout ce qu'il méritait et qu'il n'avait rien d'autre à faire que d'accepter de faire pénitence pour le mal qu'il avait fait et pour celui qu'il ferait à l'avenir.

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant