PARESSE - Chapitre 2 : Le devoir d'une mère

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Lorsqu'il ouvrit les yeux ce matin là, les rayons du soleil illuminaient déjà la pièce dans laquelle il se trouvait, agressant sans vergogne ses yeux jaune pisse qui papillonnaient en vain des paupières pour limiter la brûlure du jour. Il grogna en se redressant, frottant de ses paluches crasseuses la boule qu'il sentait dans le bas de ses reins. Il savait qu'il empestait sans pour autant que cela ne semble le gêner, ou plutôt, il faisait en sorte que cela ne le gêne pas pour ne pas avoir à se traîner jusqu'à la salle de bain.

Il caressa sa barbe noire et ébouriffa sa tignasse grasse avec une lenteur accablante, toujours affalé sur le sofa du salon qu'il n'avait pas quitté de la journée – ni de la nuit d'ailleurs. Il se sentait las, un comble lorsqu'on sait que les coussins du canapé formaient un creux juste sous son postérieur, comme un nid douillet, comme une paume ouverte pour accueillir ses grosses miches de feignant. Il bailla pourtant, et son haleine fétide l'enveloppa de sorte qu'il ne pouvait ignorer l'état lamentable de son hygiène corporelle. Pourtant il n'en fit rien.

Il se leva parfaitement après quelques longues minutes. Sa langue épaisse se collait aux parois de sa bouche et il sentait malgré lui les aspérités de la crasse sur l'émail. Il se demanda depuis combien de temps il ne s'était pas lavé les dents. Depuis que Grâce avait perdu son emploi sans doute.

Il avança en titubant jusqu'à la cuisine, constata que comme la veille, le réfrigérateur était vide. Il soupira et se saisit de la bouteille de vin à moitié pleine laissée dans la contre-porte. De l'alcool, ça, il y en avait toujours. Grâce y veillait au grain parce qu'elle préférait que son époux se gave de tord boyaux plutôt qu'il n'aille dilapider l'argent qu'ils n'avaient pas dans les bars miteux du coin. Quitte à se priver de nourriture.

Charles rejeta la tête en arrière et combla le vide de son estomac avec le liquide violacé, ignorant le goût acide du vinaigre qui s'empara de sa bouche. Les soubresauts nerveux qui agitaient ses doigts prirent fin presque immédiatement et l'homme s'essuya la bouche d'un revers de manche.

Les choses étaient devenues bien difficile pour le ménage. Les maigres économies que Grâce avait mis de côtés s'étaient vite envolées et le couple peinait à joindre les deux bouts. La jeune femme passait ses journées à courir les usines pour trouver un poste, en vain. Elle ne récoltait que quelques rares missions payées à coup de lance-pierres et sans aucun lendemain.

L'homme se racla la gorge et fit craquer les os de sa nuque ; il se demandait ce qu'ils allaient devenir. Il n'arrivait pas à croire ce que ce trou-du-cul de Marty avait osé faire. C'était facile pour lui, l'argent tombait tout seul et il n'avait cas foutre les pieds sous la table et attendre que des petites mains comme Grâce fasse tout le travail. Enfoiré de capitaliste.

Lourdaud sur ses jambes, il se traîna jusqu'à la chambre à coucher qu'il n'avait pas occupé depuis longtemps. Grâce était là, assise dos à l'encadrure sur le lit conjugale, les épaules voûtées comme si elle portait toute la misère du monde. Il ne pouvait voir son visage, mais il savait que quelque chose clochait.

Il se redressa l'espace d'un instant et fit un pas en avant. La bouteille qu'il tenait toujours à la main rencontra le bois de la porte et le bruit fit sursauter Grâce qui leva la tête et sembla contenir un sanglot. Charles retint son souffle, effrayé d'une certaine manière. Ne sachant comment réagir devant le désespoir de sa femme. Il s'éclaircit la voix, pris une grande inspiration :

—On va s'en sortir.

Y croyait-il seulement ? Non, bien sûr. Il savait que la vie était injuste et il avait depuis longtemps cessé d'espérer quoi que ce soit d'elle. Il n'était plus qu'une enveloppe vide, moins qu'un corps vide puisqu'il n'avait même plus assez d'estime de soi pour s'entretenir. Sa seule ambition était de s'enivrer assez pour ne pas avoir à supporter sa propre existence. Arrosée de vin, la vie semblait moins lourde.

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant