Némésis

LUXURE - Chapitre 1 : La femme qui hurle

Les consignes qu'avait reçu Johanna étaient simples ; les gosses attendaient leur professeur, il fallait les occuper pendant deux heures grand maximum. Rien d'exceptionnel, rien d'hors normes ; rien qui aurait pu la préparer à ce qu'elle s'apprêtait à vivre. Accepter ce poste de surveillante avait été la plus grosse erreur de sa vie – pas la dernière, mais ça c'est une autre histoire – et ce matin là, alors qu'elle tentait de se repérer dans les couloirs interminables, elle n'imaginait pas que son existence allait basculer pour toujours. Si elle l'avait su, il est certain qu'elle aurait tout fait pour s'en préserver.

Quoiqu'il en soit, à cet instant, loin de se douter des atrocités dont elle serait témoin dans un futur proche, Johanna paniquait pour une toute autre raison : elle était en retard. Elle aurait déjà dû se trouver en classe depuis cinq bonnes minutes. Et l'idée qu'il pouvait arriver n'importe quoi aux enfants supposément sous sa responsabilité depuis cinq bonnes minutes l'angoissait au plus haut point. Le stress lui picotait l'estomac, et elle se maudissait de ne pas avoir mieux étudié le plan de l'établissement qu'on lui avait remis à son arrivée. Elle pensait être sur le bon chemin, mais elle n'en avait pas la certitude, et c'était ce qui l'inquiétait.

Il y avait deux choses que Johanna ne supportait pas dans la vie : l'imprévu et l'inconnu. Elle était du genre à se complaire dans la routine, et d'ailleurs, des routines, elle en avait pour tout. Du lever au coucher, elle s'était fabriqué tout un tas de petits rituels qu'elle répétait inlassablement chaque jour de sa vie. Des sortes de points de contrôle de son existence qu'elle avait disséminé ça et là et qui lui permettaient d'affronter le quotidien avec un semblant de sérénité. La routine la rassurait ; elle se levait chaque matin en sachant très exactement ce qu'elle allait faire de sa journée.

Hors, ce jour là, ses plans avaient été contrariés. Et il n'y avait rien de plus terrible pour Johanna qu'une journée qui ne se déroulait pas très exactement comme elle l'avait planifiée.

Ce fut donc pour elle un réel soulagement de se retrouver enfin devant la porte – qui ressemblait à toutes les autres – qu'elle cherchait. Immédiatement, la panique laissa sa place à une légère appréhension. Plus que deux heures. Maintenant qu'elle avait surmonté ce qu'elle croyait être la plus grande épreuve de sa matinée – à savoir trouver cette fichue salle de classe – elle se disait qu'il ne lui restait plus que deux petites heures avant de retrouver le déroulement normal de sa journée. Deux heures à surveiller des mômes, ce n'était pas grand chose. Aussi se décida-t-elle enfin à pousser la fameuse porte une fois son calme retrouvé.

Immédiatement, le brouhaha qui régnait dans la salle de classe se dissipa, et une vingtaine de paires d'yeux fixèrent la nouvelle venue avec un savant mélange de curiosité et de déception. Les gamins avaient de sept à huit ans. La plupart étaient sagement restés assis à leur place tandis que d'autres s'étaient carrément levés pour rejoindre le copain ou la copine assis un peu plus loin. L'arrivée de Johanna provoqua une sorte de mouvement de panique tandis que les jeunes coupables regagnaient rapidement leur place sous les rires de quelques uns. Johanna n'avait pas l'habitude de traiter avec des enfants si jeunes, aussi parut-elle un peu maladroite lorsqu'elle s'adressa à eux :

—Euh, Bonjour. Monsieur Vambre a eu un contre-temps. Il sera là dans deux heures. En attendant c'est moi qui vous surveille. Je vais faire l'appel et puis je vais vous distribuer de quoi vous occuper en attendant. Euh, je m'appelle Johanna. Si vous avez des questions...

Quelques protestations s'élevèrent aux quatre coins de la classe, mais ce fut tout. Très vite, les enfants se résignèrent et acceptèrent l'idée que l'absence de leur professeur ne les dispensait pas de travailler. Johanna respira mieux. Tu vois ma vieille, pas de quoi paniquer, songea-t-elle en prenant place face aux élèves.