Ils gisent dans le champ terrible et solitaire.
Leur sang fait une mare affreuse sur la terre;
Les vautours monstrueux fouillent leur ventre ouvert;
Leurs corps farouches, froids, épars sur le pré vert,
Effroyables, tordus, noirs, ont toutes les formes
Que le tonnerre donne aux foudroyés énormes;
Leur crâne est à la pierre aveugle ressemblant;
La neige les modèle avec son linceul blanc;
On dirait que leur main lugubre, âpre et crispée,
Tâche encor de chasser quelqu'un à coups d'épée;
Ils n'ont pas de parole, ils n'ont pas de regard;
Sur l'immobilité de leur sommeil hagard
Les nuits passent; ils ont plus de chocs et de plaies
Que les suppliciés promenés sur des claies;
Sous eux rampent le ver, la larve et la fourmi;
Ils s'enfoncent déjà dans la terre à demi
Comme dans l'eau profonde un navire qui sombre;
Leurs pâles os, couverts de pourriture et d'ombre,
Sont comme ceux auxquels Ézéchiel parlait;
On voit partout sur eux l'affreux coup du boulet,
La balafre du sabre et le trou de la lance;
Le vaste vent glacé souffle sur ce silence;
Ils sont nus et sanglants sous le ciel pluvieux.
Ô morts pour mon pays, je suis votre envieux.
VOUS LISEZ
L'année terrible
PuisiPoèmes écrits d'août 1870 à Juillet 1871, par monsieur Victor Hugo. La France est alors en guerre contre les états coalisés sous l'égide de la Prusse, qui allait devenir l'empire d'Allemagne, après avoir terrassé le second empire français. Paris se...