Chapitre 3

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Deborah a été efficace. Elle a recontacté une ancienne amie d'enfance, déjeuné avec elle dans la foulée, fait vibrer la corde sensible en évoquant leurs souvenirs de jeunesse et l'a convaincue de l'injustice du système américain qui recherche son cousin Michael pour une histoire abracadabrantesque.

L'idéaliste Lisa a immédiatement pris fait et cause pour le pauvre Michael. Lorsque Deborah lui a dit que son cousin, écœuré par cette affaire, ne rêvait plus que de quitter le pays natal pour tenter sa chance ailleurs, Lisa a été trop contente de pouvoir l'aider. Tom, son mari, est membre de l'équipage du Joliot-Curie. Ce cargo effectue la liaison entre Miami et le Havre, un port français que Tom lui a dépeint comme un endroit pluvieux où les températures descendent en-dessous de vingt degrés même en été.

Lisa a si bien plaidé la cause de Michael que son mari n'a pas pu refuser de les aider. Le physique de Tom reflète sa personnalité. C'est un homme petit, aux yeux ternes et dont le nez légèrement aplati complète un visage commun, non pas laid, mais sans relief ni éclat.

Ils ont convenu que Tom introduirait clandestinement Michael sur le Joliot-Curie. Pendant les dix jours de la traversée, Michael n'aurait comme compagnie que sa visite quotidienne, lorsqu'il viendrait lui apporter quelques vivres.

Michael ne peut détacher son regard de la clôture électrifiée qui barre l'accès aux quais. Depuis le onze septembre, le code ISPS impose aux ports une sécurité renforcée. Michael est persuadé que les caméras de sécurité sont braquées sur lui et que l'alerte troublera bientôt le calme de la nuit.

Il regarde Tom à sa droite. Celui-ci fixe l'horizon, la mâchoire crispée. La peur qui étreint Michael s'accentue. Il réprouve l'envie de prendre la main de Deborah pour se calmer.

Le trio s'avance jusqu'à l'entrée du port puis s'arrête à quelques mètres seulement de la haute clôture.

— Okay Michael, dit Tom. Pour les quelques minutes à venir, tu es un homme de l'équipage du Joliot-Curie. Je veux que s'ils regardent leur bande vidéo, les gardes se disent que nous sommes deux amis qui rentrons d'une soirée sur Miami Beach et qui avons décidé de dormir dans nos cabines pour être là à cinq heures du matin quand les préparatifs du départ commenceront.

Michael acquiesce et se tourne vers Deborah. Les yeux de son amie brillent dans le noir. Elle n'entrera pas avec eux dans le port.

— Bonne chance, souffle-t-elle. Tu vas pouvoir laisser les États-Unis derrière toi, recommencer une nouvelle vie en Europe comme tu le voulais. J'attendrai de tes nouvelles à ton arrivée !

— Merci Deb, dit Michael en l'étreignant. À bientôt, ajoute-t-il sans y penser.

Sa gorge se serre et il se détourne avant qu'elle ne le voie faiblir.

Il est temps de partir. La police a questionné tout son entourage pour retrouver sa trace. Il a vécu ces quelques jours caché chez Deborah, dans la peur permanente d'être découvert. Mais ce qui le terrifiait encore plus était la perspective de se retrouver de nouveau sous l'emprise de Gengis Khan, subjugué par ce guerrier brutal, impuissant devant l'horreur qu'il lisait dans les yeux de l'homme qu'il étranglait...

Le chuchotement pressant de Tom le ramène à la réalité. Michael presse le pas, peinant sous le poids de son sac à dos. Il suit le petit homme jusqu'au Joliot-Curie, le troisième des paquebots alignés sur la rive. Le sigle CMA CGM est peint en grosses lettres blanches sur son flanc.

Michael s'attend à tout moment à entendre un Hé, que faites-vous là ? qui signerait sa condamnation. Mais le port est désert et rien ne trouble le silence.

Tom s'avance sur le pont, Michael lui emboîte le pas. Quelques foulées plus tard ils entrent dans le cargo. Ils sont désormais invisibles aux caméras de surveillance.

Tom le mène vers les cales. À chaque intersection il lui fait signe de s'arrêter et scrute l'étroit couloir. Le cargo est vide. Les deux hommes descendent d'étage en étage, s'enfonçant dans les entrailles du bateau. Michael a l'impression d'aller vers sa tombe. Enfin, ils atteignent les dernières marches du long escalier.

Le couloir est d'un noir total. Tom allume une lampe de poche et éclaire une petite porte à quelques pas devant eux.

— C'est là, dit-il à Michael en faisant tourner la clé dans la serrure.

La porte s'ouvre avec un grincement. À la lumière de la lampe torche, Michael découvre l'endroit où il va passer les dix jours à venir.

C'est un local d'une quinzaine de mètres carrés, où sont entreposées dans un désordre total une multitude de pièces métalliques de diverses tailles et formes. Quelques caisses jetées çà et là regorgent de ferraille parfois rouillée et le sol est jonché de pièces qui ont dû rouler au sol au cours d'une traversée agitée. L'air sent le renfermé et une vague odeur saline y flotte.

— Ce sont des pièces de rechange du navire, lui explique Tom devant son air perplexe. Mais ne t'inquiète pas, même si nous avons besoin de rechange les marins n'iront jamais fouiller ici. Les pièces sont pour la plupart déjà utilisées et elles n'ont pas été triées depuis au moins une décennie. Il n'y a aucune chance de trouver quoi que ce soit dans ce désordre. Dans le pire des cas si quelqu'un vient, cache-toi derrière ça, lui dit-il en désignant une caisse en métal haute d'un mètre au fond de la pièce. Personne n'ira jusque-là.

Tom se tait, et le silence menace de s'installer entre les deux hommes.

— Je viendrai tous les jours t'apporter de quoi boire et manger, reprend le mari de Lisa. Je ne resterai pas longtemps, mais si quelque chose ne va pas tu pourras me le dire. Voilà, je te laisse maintenant.

Michael n'a pas la force de répondre. Il acquiesce, sort sa propre lampe torche de son sac et entre dans la pièce.

La porte grince quand Tom la referme. Le claquement sec résonne dans l'air comme un couperet. Michael entend la clé qui tourne dans la serrure, les pas de Tom montant l'escalier et qui se font de plus en plus lointains... puis il est plongé dans le silence. 



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J'espère que ce chapitre vous a plu, une tumultueuse traversée en perspective pour Michael... prochain chapitre : Louis XIV se révèle à tout le Hellfest !

Merci pour vos votes et vos commentaires, ça fait extrêmement plaisir :)

Pauline

RenaissanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant