Les fers me meurtrissent les poignets. Et je suis gelée, là, à genoux sur les pierres froides et humides de la place déserte du village d'Arkaine. C'est une place circulaire tout à fait banale, entourée de boutiques et de petits commerces. Mais ceux-ci sont, pour la plupart, définitivement fermés. Au cours des derniers mois, ce village n'a cessé de dépérir jusqu'à devenir une ville fantôme. Les rares habitants encore présents restent uniquement par fautes de moyens.
Le ciel gris gronde au loin, tandis que la pluie, qui tombe drue maintenant, plaque mes cheveux sombres sur mon visage. Chaque goutte me transperce jusqu'aux os. Les chemins de terre battue qui serpentent entre les habitations se transforme peu à peu en chemins boueux. Un hiver glacial s'annonce.
Quatre gardes m'entourent et me menacent de leurs lames. Ils portent l'armure rouge sang qui indique qu'ils sont au service de la famille royale. Ils ont le visage fermé, exécutant fièrement les ordres de leur Roi. Deux d'entre eux rangent leur épée dans leur fourreau avant de m'attraper par les bras et de me forcer à me relever. Je me redresse avec un cliquetis de chaînes, puis ils me poussent sans ménagement vers la sortie du village.
Sur notre passage, quelques rideaux se relèvent, laissant apparaître des visages d'enfants curieux. Ils sont heureux de recevoir un peu de distraction dans leur triste village, mais aussitôt, leurs parents les éloignent des fenêtres. Cinq chevaux attelés nous attendent, gardés par un vieux fermier. Le pauvre homme est trempé et grelotte en attendant patiemment les gardes. Ces bêtes sont des pures races du pays. Ils sont grands et fiers, avec leur robe noir, aussi sombre qu'une nuit sans lune, aussi sombre que mon cœur.
Le voyage jusqu'à Rubilacs, la capitale du royaume d'Oxmoor, ne sera pas long, quatre jours environ. Si je veux vivre, il faut que je m'échappe avant de franchir les larges portes de la ville. Une fois à l'intérieur, mon destin sera scellé. Et je sais que c'est la mort qui m'attend. Je n'ai pas peur de la mort, car on finit tous par tomber dans l'oubli, un jour ou l'autre. Ce qui me fais peur est ce qui se trouve juste avant. Le Roi Oldrin voudra sans aucun doute me voir souffrir et se délectera de m'entendre hurler sous les lames aiguisées du tortionnaire. Et je le mérite, sans aucun doute.
Je savais que j'aurais dû refuser ce contrat, il était tellement insensé. Mais la récompense proposée l'a emporté sur la raison. Sam et moi avons été à l'abri du besoin pendant cinq mois grâce à cet accord. La faim et la peur du lendemain avaient finalement cessé. Jusqu'à ce qu'il me retrouve. La vie n'a jamais été simple pour nous deux, les coups durs ont été nombreux. Mais on a toujours pu compter l'un sur l'autre. Il est ce que j'ai de plus précieux au monde. Et je me battrais corps et âme pour le revoir ne serait-ce qu'une minute. Pour pouvoir le serrer dans mes bras, et lui dire à quel point il compte pour moi.
Après avoir marché toute la journée sous la pluie et le vent, les chevaux sont épuisés. Les soldats décident donc de passer la nuit dans une ferme, récemment ravagée par les flammes. Le toit s'est écroulé, et il n'y a plus que trois murs, noircis par la fumée, qui tiennent encore debout.
Le plus jeune des gardes, un blond un peu maigrichon, tire sur mes entraves pour m'obliger à descendre de ma monture. Il fait preuve d'une autorité sans faille malgré son jeune âge. On s'abrite du mieux que l'on peut. La nuit va être longue. Le plus gros des gardes enlève son casque, dévoilant des cheveux grisonnants lui tombant sur les épaules et dit, en sortant des morceaux de pain et des gobelets de son sac :
- Impossible de faire un feu, c'est beaucoup trop humide. On va encore se geler, cette nuit.
Il croque à pleine dents dans son bout de pain avant d'ajouter :
- Qui veut prendre le premier tour de garde ?
- Moi, je vais prendre le premier quart, affirme le benjamin, d'une voix enfantine.
- Très bien petit. Réveille moi dans deux bonnes heures.
Tandis que les trois autres soldats se couchent sur le côté et s'endorment, le maigrichon me libère une main pour s'attacher à moi. J'ai le poignet ensanglanté et douloureux à cause du frottement des fers. Il me tend un morceau de pain rassis et un verre d'eau en me demandant doucement :
- Comment tu t'appelles ?
Comme s'il ne le savait pas déjà.
- Enora.
- Moi, c'est Rick. Hum, qu'est-ce que c'est ? me demande t-il en désignant du menton mon pendentif en argent.
Un gros rubis taillé en forme de larme orne le centre de mon bijou, composé de trois cercles finement ciselés. C'est un symbole protecteur que Sam m'avait offert, il y a quelques années, en revenant d'un contrat. Il l'avait trouvé dans un grand manoir où sa cible, un grand Duc du nom de Hilbert de Louve-mont, vivait.
Je refuse de lui répondre, ça ne le regarde pas et c'est ainsi que plusieurs minutes s'écoulent dans le silence. Seul le bruit du vent dans les arbres trouble le calme apaisant de l'obscurité.
- Rick, est-ce que tu sais ce que j'ai fait ?
Il détourne le regard. Oui, il le sait, bien sûr.
- Je me demande juste... comment une fille aussi jeune que toi est capable de faire une chose aussi horrible.
- Tu ne sais pas ce que j'ai vécu, Rick. Il y a des mots et des gestes qui changent les gens. Des mots et des gestes qui poussent les gens à devenir violents, à avoir du sang sur les mains. Je fais ce qu'il faut pour survivre.
Il resserre sa main sur le pommeau de son épée. Son geste, teinté de naïveté, m'arrache un sourire.
Petit dessin pour vous présenter l'univers (désolé pour la qualité, ce n'est qu'un brouillon) :
VOUS LISEZ
L'Assassine de l'Ombre
Fantasy''Je fais ce qu'il faut pour survivre.'' Ainsi se défendent les assassins. Le roi Oldrin, dirigeant du royaume d'Oxmoor, veut la voir morte. Et il n'est pas sans raison... *** /!\ Cette fiction est la toute première histoire que j'ai couc...