Chapitre II

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Je me réveille en sursaut, la tête douloureuse et le cœur au bord des lèvres. Ce cauchemar, ou plutôt ce souvenir, me hante depuis plusieurs années maintenant. Mon premier meurtre. Il ne m'avait pas laissé le choix : c'était lui ou moi.

Je venais tout juste d'avoir douze ans. Il était revenu soûl de l'auberge, une fois de plus. Chaque pièce d'or qu'il ramenait à la maison était dépensée le soir même. Ce jour-là, il avait hurlé, et m'avait frappé plus fort que d'habitude. Le sang se mêlait à mes larmes et me brouillaient la vue. Je m'étais alors allongée à ses pieds, simulant un évanouissement pour que les coups cessent enfin. Il était comme ça depuis la mort de maman, survenue trois ans plus tôt.

Une fois qu'il fut écroulé sur son lit, ivre-mort, je m'étais emparée de son couteau de chasseur et je l'avais poignardé en plein cœur. Son sang chaud coulait sur mes mains. C'était une sensation agréable, qui me procurait un sentiment de force et de puissance. Sam m'avait aidé à enterrer son corps dans la forêt, éloigné de tout. C'était notre secret. Je n'ai plus versé une larme depuis ce jour.

Le soleil n'est pas encore levé mais les soldats préparent déjà leurs sacs pour le départ. Rick, toujours attaché à moi, tire doucement sur la chaîne pour que je me lève.

- On a décidé de te laisser attacher à moi. C'est plus sûr... me dit-il.

- Plus sûr pour qui ? répliqué-je avec un rire amusé, dévoilant mes dents.

Il ignore ma réponse, mais je remarque qu'un frisson traverse son corps, puis il me fait monter sur un cheval. Il s'installe sur celui juste à côté de moi. La pluie ne s'arrête pas, mais nous sommes partiellement protégés tant que nous traversons la forêt de Fadël. Elle est la déesse de la nature et de la chasse. Mais le sens de ce nom est, depuis longtemps, oublié par la plupart des habitants du royaume d'Oxmoor. Je l'ai lu dans un livre sur les anciennes croyances, retrouvé dans le coffre de ma mère. Dans ce coffre en chêne massif se trouve toute ses affaires. Il y a de nombreux livres anciens, ainsi que quelques bijoux et autres affaires lui ayant appartenu.

La lumière du jour baisse rapidement à l'horizon et les gardes décident de dormir chez l'habitant. Lorsque nous arrivons dans un petit village, du nom de Molyra, composé de quatre maisons et de deux fermes, nous sommes accueillis par le dirigeant du petit hameau. C'est un vieil homme d'une soixantaine d'années, habillé d'un pantalon en toile de jute, et d'une veste en peau de mouton. Le gros soldat descend de son cheval pour aller à sa rencontre. Leurs paroles sont avalées par les rafales de vent. Rapidement, il nous indique que nous pourrons passer la nuit chez l'artisan du village, qui se trouve être un cordonnier. Néanmoins, il ne m'autorise pas à dormir à l'intérieur.

Excellent. Ce soir, je m'évade.

La nuit et les ténèbres ont fini par envelopper les maisons du village, et des bancs de brouillard traînent entre les habitations. Rick, qui est toujours attaché à moi, s'assoit sur l'une des chaises que les gardes ont installée pour la nuit. Il tire sur la chaîne pour que je m'assois à mon tour. Mais je ne le fis pas. J'enroule la chaîne autour de son cou en plaquant ma main sur sa bouche et lui dis au creux de son oreille :

- Maintenant Rick, tu vas venir avec moi ! Et n'essaye pas de tenter quelques choses contre moi, tu sais très bien de quoi je suis capable. Je n'ai pas peur de faire couler ton sang.

À ces mots, je le force à se lever puis je lui prends son épée. On marche en direction de la grange où sont enfermés les chevaux. Évidement, ils sont inaccessibles car mon prisonnier ne détient pas la clé. Tant pis, nous partirons à pied.

Où aller ? Vite, réfléchis ! Peut-être que... Oui.

Nous nous dirigeons vers le nord. Un ami très puissant possède un manoir. Je pourrai m'y reposer et me débarrasser de ces chaînes.

Mon prisonnier commence à ralentir en traînant des pieds. Je me retourne et le menace de ma lame.

- Rick, tu ferais mieux d'accélérer le pas. Sinon, je vais devoir te tuer ! J'irai plus vite seule.

- Et bien vas-y. Tue-moi ! Tu y prendras sûrement beaucoup de plaisir, j'en suis sûr. Tu n'es qu'une meurtrière, une assassine. Alors, qu'est ce... hurle t-il, les yeux brûlant de rage et de haine.

Je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase et lui tranche la gorge, d'un geste rapide et précis. Aussitôt, son sang gicle de la plaie béante et une flaque se forme à mes pieds, rougissant l'herbe humide. Il s'effondre avec un terrible gargouillis, m'indiquant que ma victime venait de rendre son dernier souffle.

- Je ne voulais pas, Rick. Je suis désolée, mais tu ne m'as pas laissé le choix. Je fais ce qu'il faut pour survivre.

Je m'agenouille à côté de son corps sans vie et prends le temps de lui fermer ses paupières. Je lui tranche la main afin de le libérer des fers. Puis, je me relève et poursuis mon chemin sans un regard en arrière.

Un mort de plus sur la conscience. Une conscience déjà bien lourde.

L'Assassine de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant