Juste retour des choses - Ezarel

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  Arrivés dans le hall des portes, Miiko nous balaya du regard sans un mot. Elle tourna ensuite les talons et se dirigea vers la salle du cristal, suivie de nous tous dans un silence pesant.

Pas d'engueulades dans un lieu où on pouvait nous entendre.

Leiftan s'y trouvait déjà. Il resta un pas en arrière derrière Miiko tandis que nous nous placions en ligne devant elle, moi au milieu, bien face à la kitsune.

- Alors ? lâcha t-elle froidement. Dis moi ce qui s'est passé et n'omet aucun détail car je le saurai.

Aucun doute que l'ordre s'adressait à moi. Fuyant toujours son regard, j'expliquais donc comment et pourquoi j'avais agi ainsi. Je ne pouvais toutefois pas me résoudre à dire que Merry m'avait aidé, je ne voulais pas lui attirer d'ennuis. Mais comme la chef venait de le dire, elle savait si je mentais.

- Les gardes m'ont dit que tu étais accompagnée d'un petit garçon et qu'il t'a fait passer, inutile de chercher à le protéger.

Etonnamment, sa voix n'était pas plus forte que d'habitude même si elle était glaciale à en refroidir l'air. Je sentais quand même que c'était juste le calme avant la tempête.

Elle se tourna ensuite vers les garçons et leur demanda de faire leur rapport.

- Nous n'avons trouvé aucune trace de l'homme en noir, expliqua Ezarel. Il n'y avait rien d'anormal non plus dans la forêt, aucune trace. Nous avons en revanche rencontré le Gardien mais il n'avait rien vu non plus. Il a quand même promis de nous signaler s'il constatait quoique ce soit, tout en précisant qu'il faisait déjà attention à tout depuis Yvoni.

- Très bien, et comment vous l'avez trouvée ? questionna Miiko en me désignant du menton.

- Un des gardes des portes est arrivé quand nous parlions avec le gardien, répondit Valkyon. Nous avons donc commencé à la chercher et lui aussi. Au final il est revenu avec elle et son familier peu de temps après.

Voilà donc pourquoi il était tombé sur moi, il savait que j'étais non loin.

- Je vois. Vous écrirez votre rapport comme d'habitude. Maintenant laissez nous, je veux lui parler seule à seule.

Sans un son ou presque, les garçons sortirent, à l'exception de Leiftan qui restait en arrière. Quand la porte de la salle claqua, Miiko plongea son regard dans le mien.

- Tu as ouvertement désobéi à mes ordres, c'est un crime très grave. Et tout ça pour quoi ? Pour un familier !

- Je...

- SILENCE ! Je conçois que tu tiens beaucoup à ton animal mais nous n'avons pas de temps à perdre avec ton égoïsme ! Tes décisions provoquent aléatoirement des découvertes ou des catastrophes qui te mettent en danger mais nous aussi !

Elle marqua une courte pause et se massa les tempes avant de reprendre d'une voix un peu plus calme.

- Je voulais t'intégrer à la garde une fois assez formée et habituée à nos usages mais de toute évidence tu n'es pas digne de confiance.

J'étais blessée et je ne cherchais même pas à le cacher. Je ne regrettais rien cela dit et restais convaincue que de toute manière, ils n'avaient jamais voulu me faire entièrement confiance et m'avaient intégré à des missions par la force des choses. Il y avait entre autres le voyage avec Chrome chez les Kappa car le petit Eliot s'était pris d'affection pour moi.

J'étais tiraillée entre ma raison qui me disait que oui, j'avais fait une grave erreur et que tout ne pouvait pas tourner autour de moi car ils avaient mille et un autres problèmes . Puis il y avait ma colère qui me susurrait qu'ils ne feraient rien pour m'aider car ils ne se dérangeraient pas pour moi, me condamnant à rester ici. Ses paroles « une fois habituée à nos usages » semblaient confirmer mes soupçons.

- Tu resteras au QG jusque nouvel ordre. Si tu tentes à nouveau d'outrepasser mes ordres, sache que je pourrai me montrer encore plus sév... OU EST-CE QUE TU CROIS ALLER ?

- Dans ma chambre, ça fait partie du QG non ?

Ne pouvant pas entendre un mot de plus, je sortis sous les yeux écarquillés des deux chefs de la garde. Je venais très probablement d'empirer ma situation mais sur le moment, je ne voyais pas ce qui pouvait encore me tomber dessus.
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Je passais la nuit à m'occuper de ma petite Elya, enfin, à la regarder dormir plutôt.

Je repensais aux événements et à ce que j'allais faire emprisonnée ici . Passer mon temps à la bibliothèque ? M'entraîner ? Il faudrait que je le fasse très certainement toute seule car je doute qu'un des garçons accepte de passer du temps avec moi après leur en avoir fait perdre hier.

Tenir un journal m'occuperait mais pour y écrire quoi ? Mes soupçons ? Mes angoisses ? Ou un simple récit des événements pour me rappeler que depuis mon arrivée j'avais risqué ma vie plus de fois que toute mon existence dans mon monde ?

Me reglisser sous les couvertures me parut au final une très bonne idée.

Jusqu'à ce qu'on frappe à ma porte.

Encore mal coiffée et même pas rafraîchie, j'ouvris et tombai sur Leiftan.

Il sembla un peu étonné de tomber sur moi ainsi mais enchaîna.

- Bonjour Alaynna. Je ne te dérange pas j'espère ? On dirait que je suis venu trop tôt.

- Euh... Non, non ! Pas du tout, je... Je pensais juste ne pas sortir aujourd'hui, me faire oublier... Du coup, je me suis mise à l'aise.

- Je suis justement venu voir comment tu te portais, s'enquit-il l'air sincère.

- Et bien...

En fait, je ne savais pas quoi répondre. C'était pourtant simple d'admettre que je regrettais mon attitude non ? Malgré tout, j'hésitais en fuyant obstinément le regard de Leiftan.

- Je me doutais que tu agirais comme ça à un moment où à un autre.

Sa voix me tira de mes pensées. Il s'y attendait vraiment ?

S'aperçevant de mon incompréhension, il développa son opinion.

- Je ne peux qu'imaginer ce que ça fait d'être projeté dans un monde inconnu, d'apprendre que retourner dans son propre monde est quasi impossible tout en devant s'habituer aux us et coutumes de là où on a atterrit. Malgré toute la bonne volonté de la personne, c'est très dur à encaisser, d'autant plus que tu as du assumer des missions qui ne se sont pas toujours très bien terminées. Tout le monde finirait par craquer, moi aussi si j'arrivais soudainement chez toi, j'en suis sûr.

Je sentais sa sollicitude sincère et le remerciais donc d'un timide « merci ».

- Toutefois, il faut aussi comprendre que nous sommes à une période délicate où nous devons assurer la sécurité de centaines de civils et ce n'est pas toujours facile. En plus de ces problèmes, ton arrivée a amené tout un lot de questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre et autant dire que nous n'en avions pas besoin.

- Je comprends, glissai-je timidement, comprenant que je n'échapperai pas au sermon.

- Ce n'est certainement pas ce que tu veux entendre mais nous te demandons de prendre tes distances vis-à-vis de tout ça, surtout en mission. N'oublie jamais que tu pourrais provoquer par inadvertance beaucoup de mal, même avec les meilleures intentions possibles, juste car tu ignores comment nous fonctionnons ici.

J'avais l'impression d'être une gamine. Ce pour quoi j'avais dû passer très certainement. Mais je trouvai enfin le courage de parler.

- Je ne voulais pas apporter plus de problèmes. J'étais inquiète et je n'ai pas compris pourquoi j'ai été mise à l'écart.

- On ne te mettra pas à l'écart dés qu'on saura que tu as bien compris tout ça. C'est d'accord ?

- Oui, d'accord.

Pas d'autre choix que d'approuver.

- Bien. Je peux enchaîner sur la deuxième raison de ma visite alors. J'ai réussi à persuader Miiko de ne pas te jeter aux cachots tout de suite mais tu ne pouvais pas t'en tirer impunément non plus.

Oula... je voyais déjà le pire venir... et j'avais raison.

- Pour avoir obligé les garçons à te chercher alors qu'ils avaient autre chose à faire, tu devras passer un jour avec chacun d'eux. Une journée où tu devras faire tout ce qu'ils demandent.

- Pardon ?

Cette nouvelle avait été un coup de massue. Passer une journée entière avec chacun des garçons ? Ca n'était pas la pire partie en fait mais être à leur service... pendant 24 heures... Autant dire que pour certains d'entre eux, j'allais déguster.

- Ce n'est pas si terrible, ils sont responsables quand ils veulent, tenta de me rassurer Leiftan.

« Quand ils veulent » c'était bien l'expression clé. Leiftan allait repartir quand il se souvint d'une dernière chose.

- Tu devrais te préparer, tu commences aujourd'hui. Rejoins Ezarel dans le laboratoire d'alchimie dans vingt minutes. Bonne journée.

Il partit en me laissant totalement stupéfiée à la porte de ma chambre. Ezarel... fallait que je commence par lui ?

Bon... inutile d'angoisser pour ça. Disons qu'il fallait mieux commencer par le pire pour finir plus tranquillement, ce qui pour moi signifiait Valkyon.

Quelle poisse... Mais bon, je l'avais cherché.
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Après avoir laissé Elya toute seule avec double ration de friandises pour me faire pardonner, j'allai au laboratoire d'alchimie.

Je ne pris pas la peine de frapper et entrai pour tomber directement sur Ezarel tenant un parchemin d'une main et une fiole remplie d'un liquide bleu de l'autre. Il semblait très concentré et ne fit pas attention à moi, d'autant plus qu'il me tournait le dos. Je restais alors dans un coin et espérais qu'il m'oublie.

- Ne reste pas dans l'ombre, approche toi. Tu ne pensais quand même pas que j'avais pas reconnu ton pas de scronge ?

Grillée...

- T'avais l'air occupé, tentai-je de me justifier.

- Oui bien sûr, on sait tous que tu as envie de mon corps de rêve, tu voulais juste l'admirer avoue.

- C'est quoi un scronge ? lançai-je pour détourner la conversation.

Il se tourna enfin vers moi avec son habituel sourire moqueur.

- Tu n'as pas appris ça avec tous les bouquins que tu lis ?

- Moui... ça n'avait donc rien d'un compliment.

- Tu te méprends voyons.

Toujours ce même sourire.

- Les compliments mis de côté, Miiko t'a envoyé sous mon aile protectrice pour touuuute la journée. Je peux donc demander de toi absolument tout et n'importe quoi.

- Ton aile protectrice... Si tu avais des ailes, elles ne pourraient même pas recouvrir ton ego, encore moins l'entourer.

- Ouch, le chaton commence à avoir des crocs on dirait. Il est temps que je te donne quelque chose pour t'occuper alors.

Il me tendit ensuite un morceau de papier sur lequel étaient inscrites mes instructions. A première vue donc, j'allai passer une bonne partie de la journée dans le laboratoire d'alchimie. Bon... ça pourrait être pire. Enfin, il fallait voir la liste avant.

1) Aller dans la cuisine

2) Passer la matinée à me préparer un repas spécial complet, entrée-plat-dessert et surtout, un dessert SUCRE

3) Me le servir en tenue de service

4) Revenir au laboratoire d'alchimie et laver toutes les fioles dans le bac d'eau

5) Ranger les fioles par ordre de taille et de capacité de contenance

6) Venir me voir pour de plus amples instructions

7) Aucune plainte ne sera acceptée et chaque fiole brisée équivaudra à un service à me rendre plus tard ~

A peine avais-je fini de lire qu'il me mit à la porte du labo et me demanda d'exécuter les trois premières consignes.

- AH NON, PERSONNE DANS MA CUISINE ! J'AI AUTRE CHOSE A FAIRE QUE SURVEILLER UNE BLEUE !

Comme je m'y attendais, Karuto refusait ma présence et le fit comprendre à corps et à cris. Toutefois, il fallait bien que je fasse ce repas, ne serait-ce que pour avoir la paix, et aussi parce que ça me plaisait. J'aimais bien cuisiner, même si ça n'était que des plats simples. Le problème ici serait de trouver tous les ingrédients sachant que la plupart était assez... meh...
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- NON, NON ET NON, DEHORS !

Malgré ses protestations, je réussis à persuader le cuisinier de me laisser rester puisqu'il s'agissait d'un ordre de chef de garde. Il me mit dans un coin en précisant plus d'une fois qu'il ne m'aiderait « sous aucun prétexte même si je devais prendre feu spontanément » puis il me laissa tranquille.

Choppant un tablier dans un coin, je jettai donc un coup d'œil au garde-manger pour avoir une idée. Il me restait quelques heures avant l'heure du déjeuner écrit par Ezarel mais comme je ne savais pas comment cuisiner certains ingrédients, je ne savais pas si j'allais y passer beaucoup de temps.

Il y avait des sortes de tomates, des herbes aromatiques, enfin... ça en avait l'air même si elles étaient un peu gluantes, des pâtes, d'autres légumes et pour le dessert.... Il voulait quelque chose de sucré mais sans four comme j'avais l'habitude, je ne pouvais pas faire mes gâteaux habituels. Encore du popcorn ? En dernier recours je pourrais. Cependant, je finis par tomber sur de la farine, des sortes d'œufs, du lait et du miel. Tout de suite je pensais à des crèpes, si tout était bien les ingrédients auxquels je pensais.
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Après avoir passé tous les ingrédients au crible pour vérifier que c'était bien ce à quoi je pensais, j'avais commencé par faire la pâte à crêpes, pour qu'elle ait le temps de reposer, puis je m'occupais du reste.

Au bout de quelques heures, tout était prêt et ressemblait assez à ce que je voulais. En entrée, il y aurait donc une salade avec ce qui semblait être de l'avocat et une herbe au goût d'oignon frit, en plat principal j'avais fait des pâtes à la bolognaise mais sans viande, toutefois les herbes gluantes avaient apporté un goût très intéressant, et en dessert, les fameuses crêpes. J'avais même eu le temps de faire une petite confiture avec un fruit bleu au goût d'orange/pamplemousse.

Je remerciais mentalement ma mère et ma tante avec qui j'avais fait ces plats plusieurs fois quand j'étais enfant. Des souvenirs douloureux allaient revenir à la surface quand je me souvins de la règle 3, la tenue de service.

Je n'avais strictement aucune idée de ce que ça pouvait être. Karuto ne semblait pas en avoir mais vu l'esprit tordu d'Ezarel, il serait étonnant qu'il s'agisse juste du tablier.

- Coucou Alaynna ! m'interpella une voix féminine.

Je me retournais et vis Alajéa. Je la saluais mais à peine passée du côté cuisine, et déjà le cuisinier hurlait qu'elle sorte pour qu'elle ne provoque pas d'autres incidents. Ayant déjà entendu parler de la maladresse de la sirène, je me dis que sa demande devait être justifiée.

Elle n'en tint pas compte cependant et me tendit un paquet.

- Ezarel m'a dit de t'apporter ça.

- Qu'est-ce que c'est ? demandai-je prudemment en soupesant le colis.

- Aucune idée, il ne me l'a pas dit. Il a dit par contre qu'il venait plus tôt que prévu et qu'il espère que t'es prête.

- Oui, oui, tout est prêt.

- Cool ! Et.... Ton familier,il va bien ? interrogea t-elle l'air inquiet.

- Je l'ai retrouvée blessée mais ma sowige va mieux. Elle récupère ses forces.

- Super ! C'est une bonne nouvelle. Bon ! Je dois te laisser, j'ai encore des choses à faire.

- Oh d'accord, merci pour le paquet.

- De rien ! Bon courage !

Elle s'éclipsa ensuite rapidement sous le regard suspicieux de Karuto qui ne reprit son travail qu'une fois la sirène hors de la salle.

De mon côté, je fixais le colis. A quoi j'allais avoir droit encore ? Bon, s'il venait bientôt, je ne pouvais pas tergiverser des heures.

Allez ma fille, courage, c'est qu'une journée !

Un, deux, trois... ouvrage du colis.
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- Alors ? Où est ma cuisinière personnelle du jour ? chantonna joyeusement la voix d'Ezarel, déjà installé à table.

Je me crispais dans mon coin de cuisine. Comment avait-il OSE me faire porter ça. Il s'agissait d'une sorte de veste/tunique noire, dont l'intérieur était vert avec les coutures et les boutons sur le devant dorés. Les manches étaient du même vert que l'intérieur mais transparentes. Le devant était court mais derrière ça m'arrivait en dessous des genoux.

Pour le bas, j'avais une jupe noire fluide arrivant jusqu'aux genoux avec des petites chaussures à talons style escarpins. Je devais admettre que j'aimais beaucoup cette tenue même si je ne me voyais pas servir avec.

Bon, pour être honnête, je m'attendais à bien pire, style tenue de soubrette mais ils ne semblaient pas connaître le concept, heureusement pour moi.

Grande inspiration, je pris l'assiette de l'entrée et allai côté tables.

- Oooh !

Je pensais au départ qu'il n'y aurait qu'Ezarel mais non, les trois garçons étaient là et je remarquais même Chrome dans un coin non loin, à côté de Keroshane. Moui... ça aurait été surprenant au final de n'avoir que l'elfe qui me verrait.

Nevra et Valkyon avaient déjà leur assiette et si leurs regards s'étaient posé sur moi au départ, ils dévièrent vite sur ce que j'apportais à leur confrère. Nevra tenta même de piquer quelque chose de la pointe de sa fourchette mais Ezarel garda farouchement son assiette.

- Bas les pattes crocs pointus ! Tu l'auras demain toute la journée, attend ton tour.

Sérieusement, ils allaient tous me transformer en cuisinière attitrée ? J'allais repartir en cuisine mais mon responsable du jour ne l'entendait pas de cette oreille.

- Non, non, non, reste là. Tu débarrasseras dés que j'aurai terminé comme ça.

- C'est bon ? demanda Valkyon en lorgnant du coin de l'œil ce que j'appelais l'avocat.

- C'est pas mauvais oui. On devrait pas l'inclure dans la garde en fait, mais la mettre en cuisine.

Si cela partait d'un vrai compliment –ça se voyait juste à la vitesse à laquelle son entrée avait disparu-, je me vexais quand même à l'idée qu'ils me laissent effectivement ici. Heureusement, il venait de finir et je pus repartir en cuisine préparer le plat.

Peu de temps après, j'apportais les pâtes à la bolognaise, ou plutôt à la sauce tomate. A l'aspect, c'était très similaire au plat de mon monde, mais je devinais vite que quelque chose n'allait pas à la tête que fit Ezarel à la première bouchée.

- Oh mon... mais t'as cherché à me coller une intoxication alimentaire ?

- Quoi ? Mais non pas du tout ! protestai-je vigoureusement.

Interpellés par cette réaction, Nevra et Valkyon se permirent de piquer dans le plat et firent la même tête que leur ami.

- Goûte ! Mais c'est atrocement amer, on dirait du...

- C'est ça je crois oui, approuva le vampire sans que je comprenne à quoi ils faisaient référence.

L'elfe me tendait une fourchette que je pris pour vérifier si c'était atroce à ce point. Je savais que la sauce était très bonne, car je l'avais déjà goûtée mais pas les pâtes. Je pris donc une bouchée de pâtes et eut la même réaction que les garçons. C'était en effet extrêmement amer, comme un concentré d'endives mais en dix fois plus puissant.

- C'est immonde... dis-je d'une voix presque plaintive.

- On est d'accord. Le goût ne veut pas partir... se plaignit l'elfe, suivit par les deux autres.

- J'apporte le dessert tout de suite.

J'avais surtout hâte de prendre une cuillérée de confiture pour faire partir ce goût. Au moins, les deux autres garçons n'auront pas envie de me remettre aux cuisines de peur de revivre cette expérience.

Allez, il restait encore les crêpes.

Comme il y avait beaucoup de pâte, j'avais pu faire assez de crêpes pour les trois garçons. Ils pouvaient en plus les recouvrir de miel et de confiture. J'avais goûté les deux, alors je savais que c'était bon.

Quand je revins en salle avec le dessert et les confitures dans les mains, je vis que Miiko les avait rejoints. Ses yeux me défigurèrent de la tête aux pieds en voyant ma tenue mais elle ne dit rien au final.

Je posais le plat sur la table et soulevais la cloche de métal qui les masquait.

Un nouveau « ooooh » admiratif s'éleva et je dissimulai à grand peine ma fierté. L'incident du plat principal semblait déjà oublié et je vis qu'en effet j'avais marqué des points quand la pile de crêpes finit par disparaître dans les quatre estomacs des chefs de garde.

La confiture et le miel disparurent aussi très rapidement à ma grande satisfaction. A les voir ainsi, ils ressemblaient à un groupe d'enfants repus après leur goûter gourmand et prêts à retourner jouer.

- Je dois admettre que je ne pensais pas que tu t'en sortirais aussi bien en n'y connaissant rien, avoua l'elfe.

- En effet c'était excellent, renchérit Valkyon.

- Ca m'a donné une idée, lança Nevra avec un petit sourire qui ne m'inspirait rien de bon.

Miiko ne dit rien mais comme pour le popcorn, ça semblait lui plaire. Elle finit par repartir et Ezarel suivit, sans m'oublier.

- Change toi et viens au labo, tu as encore des choses à faire.

Pas le choix, je devais le faire. Une matinée de tranquillité, ça aurait pu être pire, il fallait l'admettre. Mais toutes les bonnes choses ont une fin.
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Je pensais que l'après-midi serait une suite de répliques taquines d'Ezarel sur la manière dont je faisais le travail mais au final il me laissa tranquille. Il venait quand même jeter un coup d'œil de temps à autre mais globalement, il resta concentré sur ses formules d'alchimie.

J'aurais bien aimé en apprendre un peu plus sur toutes ses potions et leurs propriétés mais je me contentais de laver des fioles et de les ranger. Je n'aurais pas imaginé qu'il pouvait y avoir autant de fiole de différentes formes et tailles et ça me prit réellement des heures à tout nettoyer. Ezarel me reprit deux fois sur le rangement tout simplement car la forme de certaines bouteilles faussait leur contenance et ça me perdait un peu.

Vers la fin d'après-midi, je m'accordais un petit break.

Assise non loin de l'elfe, je lorgnais quelques feuilles sur la table et tentais de comprendre un trucs ou deux, sans grand succès. Je comprenais les mots, mais impossible de leur donner un sens.

Ezarel finit par se lever de son livre et alla à l'arrière prendre un autre ingrédient, sans doute. A ce moment-là, je m'aperçus que j'avais soif, et faim, car ce que j'avais mangé au final ne s'était limité qu'à ce que j'avais goûté en cuisine plus quelques crêpes. Sur la table, j'avisais un verre contenant un liquide transparent comme de l'eau. Sauf qu'étant dans un labo d'alchimie, il ne valait pas vraiment se baser sur la vue.

- Tu peux m'apporter..., commença d'une voix faible l'elfe

- Dis Ezarel c'est quoi le verre à côté de ton livre ? demandai-je, coupant et n'entendant donc pas ce qu'il m'avait demandé.

- ... un verre d'eau ? acheva t-il.

Sur le moment, je n'entendis que « verre d'eau ». Contente de pouvoir étancher ma soif, je me saisis du verre et but son contenu d'une seule traite.

Quelques secondes passèrent encore.

- Alors ça vient ? surgit la voix de l'elfe.

- Quoi donc ?

- Et bien mon verre d'eau !

Quand m'avait-il demandé un verre d'eau ? Je me levai et allai le voir à l'arrière du labo.

- Tu ne m'as jamais demandé ça.

- Alors lave toi les oreilles ma grande car j'en ai demandé un. Et vite, sinon je te colle une potion qui te donnera des oreilles de sirènes !

Je restai figée un moment car je me demandai ce que j'avais pu boire donc. Non, ça n'était qu'un verre d'eau, ça n'avait même pas eu de goût quand je l'avais bu. Il avait juste du anticiper qu'il en aurait besoin et l'avait préparé en avance.

J'allais donc aller chercher son fameux verre quand mon crâne se mit soudainement à me brûler.

- AAAH !

Ezarel leva la tête rapidement et resta bouche bée en me fixant. Et moi j'étais là à me tenir le cuir chevelu qui me brûlait toujours.

- Mais fais quelque chose !

Je parvins à articuler cette phrase ce qui le fit enfin réagir. Toutefois trop tard, la douleur s'était déjà estompée.

Sauf qu'il était toujours silencieux ce qui me fit angoisser.

- Qu'est ce qu'il y a ? Qu'est ce qu'il s'est passé ? demandai-je paniquée.

- Tu...

Il ne termina pas sa phrase mais se mit plutôt à chercher frénétiquement quelque chose. Il finit par sortir un petit miroir rond de sous un tas de feuille et le mit en face de moi pour que je puisse me voir.

Et là...

- JE... Que... C'EST QUOI CA ?

Ma chevelure, chatain d'habitude était devenue blanche, totalement. Mes doigts glissèrent dedans et je m'aperçus que c'était bel et bien les miens et que... quoi ? Ils avaient en plus quasi doublé de longueur et m'arrivaient en dessous des fesses !

- Dae... souffla Ezarel sans pouvoir se détourner de mes cheveux blancs.  

Lorsque la vie bascule - EldaryaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant