-Ouch !
Une goutte rouge perla sur le bout de son index droit, celui qui avait effleuré la lame aiguisée d'une dague qu'il tenait dans son autre main. Il porta rapidement son doigt à ses lèvres, pour y récupérer le sang qui commençait à s'en échapper. Avec précaution, il reposa l'arme sur la table en bois. Ensuite, il contempla le reste de l'attirail s'offrant à lui.
Alexander était de retour dans l'atelier sinistre d'Egon, et se tenait devant la paroi où étaient fixés tous ces outils plus étranges les uns que les autres.
Choisi-toi une arme.
C'était ce que Lynn lui avait recommandé.
-Elle me sera utile, et sera comme mon porte-chance. Je ne devrais jamais m'en débarrasser, c'est un choix que l'on fait pour l'éternité, répéta-t-il, en marmonnant.
Il sentait, dans son dos, les yeux de verre des présumées poupées darder sur lui un regard glacial.
Des empailleurs d'enfants.
Depuis sa première incursion dans cette pièce, depuis qu'il avait vu ce cadavre d'enfant recroquevillé sous un drap blanc, il avait su. D'une quelconque manière, il savait que cet étrange personnage qu'il avait tué menait de drôles d'expériences. Mais jamais il ne s'était attendu à quelque chose d'aussi gigantesque.
A présent, il se retrouvait là, à dévisager des armes mortelles, dans le but de poursuivre ces atrocités. Hier encore, il était assis dans un sofa dans l'arrière-boutique d'un magasin de miroirs et de diamants à l'apparence banale, à encaisser toutes ces informations qui le glaçaient un petit peu plus chaque seconde. Il n'avait pas trouvé une seule ouverture pour refuser la proposition. Parce qu'il n'y avait pas d'échappatoire, tout simplement. Il était venu de son plein gré, il s'était enfoncé tout seul dans la bourbe.
Comment ces deux femmes avaient-elles pu prendre la chose avec tant de légèreté ? Quel rôle pouvaient-elles bien avoir ?
Lui qui croyait trouver la réponse à son problème, ne s'était pas douté qu'il devrait faire face à quelque chose qui le dépassait totalement. Lui qui voulait se racheter de cette mort qu'il jugeait injuste ne savait plus où aller. Il était complètement perdu.
Et voilà qu'il se tenait debout, là, bêtement.
Choisir une arme, plus facile à dire qu'à faire.
Au fond, il avait l'impression que rien de tout ceci n'était réel, qu'il ne vivait que dans un épais cauchemar, duquel il finirait par se réveiller. Il en était presque persuadé de voguer dans une nébuleuse opaque. Même si, parfois, ce songe lui semblait bien trop criant de vérité pour n'être qu'une simple illusion.
Tout à coup, un éclat de lumière, le reflet des néons au plafond sans doute, capta son attention. Intrigué, il s'approcha, tâtonna, et fini par dénicher, dans une petite caisse, sous un tas d'affaires brisées, une très fine lame argentée, qui pouvait facilement passer inaperçue. Il l'extirpa de ce tas de vieilles antiquités cassées... mais il s'avéra que ça n'était pas qu'un simple coutelas. Sa découverte n'était autre qu'une mitaine de cuir râpé, dont les doigts se prolongeaient par des lames effilées.
Impressionné – sa bouche formait un O peu majestueux –, il fouilla dans la boîte à la recherche du deuxième gant, en vain. N'en déplut néanmoins pas vraiment à Alexander. En un sens, une main libre lui serait bien utile pour...
Non. Il fut saisi de frayeur. Pourquoi penser à ça ? Il voulait retarder ce moment le plus possible.
De plus, il croyait avoir sous les yeux l'une des armes d'un héros de l'une de ses histoires favorites, étant petit. Un héros qui se battait pour ses convictions, et qui n'hésitait pas à faire entendre sa voix parmi un monde fantastique, cruel, où d'horribles monstres informes attaquaient sans pitié des êtres sans défense. Un courage qu'il avait toujours admiré, ses yeux de bambin brillaient à chaque fois que l'épais livre, relatant les aventures de son personnage fictif préféré, se refermait dans un petit nuage de poussière.
L'ombre vague d'un triste sourire passa furtivement sur ses lèvres. O, souvenirs heureux ! Comme il regrettait ces moments d'insouciance, avec son frère aîné, ses parents, sa famille, ses amis.
Cela faisait quatre jours qu'il avait tué un homme. Pourtant, ce souvenir semblait avoir plus d'un an déjà. Il aurait tout donné pour revenir à sa vie d'antan, celle où il grognait lorsque ses amis le traînaient au pub le soir, où il commandait à manger depuis son petit appartement et lisait le journal dans son lit avant de se coucher. Il aurait tout fait pour revivre ces petits moments si insignifiants à l'époque.
Sa lèvre inférieure tressauta. Ses yeux devinrent piquants.
Fébrile, il tira une chaise qui se trouvait sous la table derrière lui et s'y assit. Instinctivement, il enfila la mitaine, plia les doigts, un par un, apprécia le confort du cuir froid. Une sensation terriblement agréable, qui le fit trembler.
Une boule se forma dans sa gorge.
Puis il se prit la tête entre les mains. Serra ses cheveux, presque à se les arracher. Ses épaules tressautaient, il respirait fort. Le cliquètement de ses longues griffes métalliques ne fit qu'empirer son état.
Alexander avait pris conscience de ce qui l'attendait. Ce soir, il allait devoir tuer à nouveau.
Lynn lui avait donné l'endroit et l'heure exacte.
Derrière ses paupières closes, tout était noir. Il contemplait ce noir, qui s'emparait de lui lorsqu'il fermait les yeux. C'était un noir indescriptible, trop profond pour même définir sa teinte exacte. Un noir dans lequel on sombrait avant de tomber dans le sommeil, un noir où l'on se perdait, un noir qui faisait office de canevas, où les souvenirs et le rêves se projetaient. Un noir comme...
-Meow !
Ce miaulement étouffé lui fit relever la tête, et le tira de son anxiété grandissante. A l'extérieur, sur le rebord de la fenêtre aux vitres jaunies et crasseuses, se tenait un chat noir, qui le contemplait de ses yeux émeraude. Voyant que le jeune homme ne bougeait pas, il poussa un deuxième cri. Alexander resta assis, ce matou le captivait bizarrement. Ce dernier, en comprenant qu'l n'obtiendrait rien, se mit sur son séant et entama sa toilette. Il se lécha les pattes, qu'il se passa ensuite sur le museau, et répéta la même action plusieurs fois.
Etrangement, le cœur du jeune homme s'apaisa, ses yeux, gonflés par les larmes qu'il tentait de retenir, perdirent leur couleur rouge, son corps se fit moins crispé.
Quel était donc cet animal ?
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L'Empailleur d'Enfants
Misterio / Suspenso«Ne traîne pas dehors le soir.» «Ne rentre pas trop tard» «Ne reste pas dans les rues désertes» «Ne parle pas aux inconnus» Combien de fois sa mère lui avait répété ces quelques phrases? Comment se douter que toutes ces rumeurs qu'on lui racontait...