Chapitre 6

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Une petite tempête brune aux grands yeux émeraude, trottinait en riant, son doudou dans une main. Son ombre longeait le mur blanc du couloir à ses côtés, grandissant, puis s'amenuisant, telle une flamme bercée au gré du vent. Elle flottait dans sa chemise de nuit légère, qui tournoyait autour d'elle, se mêlant à ses longs cheveux bouclés. Plus d'une fois, elle faillit trébucher dessus. Mais à chaque fois, elle se remettait à arpenter le petit appartement familial, sans faire attention à sa silhouette sombre sur les murs, qui la surplombait, lorsqu'elle manquait de tomber, sévère, effrayante.

D'abord, elle bifurqua une première fois pour s'engouffrer dans la petite cuisine, où un poêle grésillait tout le long de la soirée, aux côtés d'un minuscule réfrigérateur vrombissant, seul héritage laissé de sa grand-maman défunte. Son père était assis sur la banquette près de la fenêtre, et lisait, au coin d'une petite lampe à gaz. Elle se mit sur la pointe des pieds, et claqua son plus gros bisou sur la joue de son papa, lui souhaitant une bonne nuit. Ensuite, sans plus attendre, elle continua sa route et poussa la porte de sa chambre.

Son lit, encore un peu trop haut pour sa petite taille, la dominait de toute sa hauteur. Elle s'y hissa, non sans mal. En elle grandissait l'espoir de devenir une belle grande fille qui pourrait y monter sans soucis. Alors qu'elle remontait l'épaisse couette de plumes sous son nez pointu, sa maman apparut sur le seuil, et vint se poster sur le bord du lit. Suivant leur petite routine habituelle, sa mère lui baisa tendrement le front et éteignit la lumière, avant de s'en retourner et de fermer doucement la porte.

La petite fille ne faisait plus qu'un avec son ombre, maintenant.

Bien emmitouflée, serrant son lapin en peluche, dont la couture commençait à se déchirer, malgré certaines parties qu'on avait déjà vaguement rafistolées par un fil maladroit, tout contre sa poitrine, elle s'imaginait ce que celui-ci pouvait bien faire quand elle dormait. Parce que c'était certain, il devait finir par s'ennuyer, à la regarder dormir toute la nuit ! Elle était sûre qu'il faisait la fête, dans ses armoires, avec tous ses autres jouets, au milieu de ses habits de petite aventurière. Tiens, ça lui rappelait que pas plus tard que cet après-midi, elle avait troué son pantalon en allant chercher un ballon dans les ronces. Cela lui avait valu de nouvelles cicatrices aux genoux, de quoi agrandir sa collection de blessures dont elle était on ne peut plus fière.

Dans le noir, elle esquissa un sourire.

Demain, elle allait retrouver ses meilleurs amis pour jouer au ballon et elle avait déjà hâte.

Crrrrc !

Un craquement interrompit brutalement le flot hétéroclite de sa pensée. Elle se figea. Serra fort son doudou contre elle, mâchonnant ses moignons d'oreilles en tissu pour se rassurer.

Un jour, sa maman lui avait parlé des poutres qui soutenaient le toit qui faisaient ce genre de bruits. Elle ne se souvenait plus exactement de la raison, mais c'était certainement ces poutres-là qui lui avaient fait peur. De toute façon, cela arrivait souvent. Et ça lui fichait toujours la frousse ; elle s'imaginait que les poutres pouvaient dégringoler et casser tout l'immeuble, quand bien même sa maman l'avait rassurée, alors qu'elle était venue la trouver dans son sommeil pour lui faire part de ses inquiétudes, que ce genre de choses ne pouvait jamais arriver.

Ce n'est rien, allez, retourne te coucher.

Un choc heurta les volets, fit trembler la structure de la fenêtre. Elle sursauta.

Ça, sa maman ne lui en avait jamais parlé, c'était sûr.

Peut-être devrait-elle l'appeler ? Non. Pour une aventurière comme elle, il fallait faire preuve de courage. La nuit était peuplée de bruits, mais le jour aussi. L'absence de lumière les rendait seulement plus effrayants. Et elle voulait être une brave aventurière.

L'Empailleur d'EnfantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant