Chapitre I

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Pauline Stavinsky se réveilla, comme chaque matin, à six heures.


Elle sortit de son lit à moitié endormie.

Une douche bien chaude plus tard, elle s'habillait de son uniforme préparé la veille, une chemisette blanche rentrée dans une jupe plissée bleu marine qui lui tombait au dessus des genoux. Le tout était recouvert d'un pull à col en V bleu marine, où l'écusson de son lycée était brodé au niveau du cœur.

Elle vérifia l'ensemble par réflexe, ajusta quelques plis. Elle ferma les yeux et expira doucement, encore remuée d'une nuit effroyable.

Comme d'habitude, elle avait fait un de ces cauchemars, si réalistes qu'on croirait être éveillée. Si bien qu'à y penser, elle le revivait.

Je cours à en perdre haleine dans une forêt tropicale où il ne doit pas faire plus de quinze degrés. Une pluie fine se dépose tel un voile sur la végétation. Des frissons remontent le long de ma colonne vertébrale lorsque la peur s'empare de moi. Puis un bruit, une explosion... Des oiseaux s'envolent, des animaux de toutes sortes sortent des buissons et s'enfuient. Aucun ne se soucie de moi. Un homme surgit entre les arbres et s'approche. Il porte une sorte de vêtement de moine entièrement noir et une capuche qui dérobe son visage à mon regard. Il me fait peur, je recule d'un pas.

"Tu dois partir, vite, cours, avant qu'ils n'arrivent !

-Avant que qui n'arrive ? Qui êtes-vous ?"

Il s'appelle Daniel.

Des bruits de pas retentissent et plusieurs hommes habillés comme lui nous encerclent, et l'un d'entre eux me vise avec un pistolet. Il me dévisage et se met à rire, d'un rire de véritable prédateur ; mon sang se glace. Il se calme, puis me regarde quelques instants. Il lâche quelques mots, comme un adieu. Daniel s'interpose au moment où le coup retentit. Il s'effondre dans un son mat, je hurle et cours.

Elle ouvrait toujours les yeux au même moment, juste après son hurlement. Ce cauchemar lui revenait si souvent... Elle en était bouleversée.

Elle resta dans un état second pendant quelques minutes encore, laissant son esprit vagabonder à diverses réflexions. Bientôt la vue de ses parents souriants, figés dans un cadre sur sa table de chevet, suffit à lui arracher un sourire.

Elle finit par prendre une profonde inspiration et sortir de sa chambre. Elle longea le long couloir pâle jusqu'aux escaliers en bois, de ceux qui craquent intimement sous les pieds à chaque marche. Elle aimait tant cette maison...

Elle tremblait encore de sa mésaventure nocturne et faillit chuter en descendant jusqu'à la cuisine, où l'attendait ses parents.

Chaque matin, ils se levaient aux aurores pour la voir avant son départ et profiter de sa compagnie. Ils se refusaient à laisser leur fille déjeuner seule, et Pauline n'était nullement à s'en plaindre. Car, tout comme leur enfant leur était plus précieuse que tout ce que la vie pouvait leur offrir, ils étaient ce que Pauline avait de plus cher au monde. Elle avait eu une si douce enfance avec ces parents aimants...

Elle perdit son regard embrumé dans la contemplation de ses parents. Son père Nikolaï venait d'avoir quarante-cinq ans ; son visage avait les vestiges d'un charme désinvolte et son corps, ceux de la musculature fine d'un athlète de haut niveau. Ses yeux étaient d'un brun chaud et sa bouche riante. Il était resté beau malgré un ventre qui s'arrondissait et des cheveux grisonnants.

Isabelle, sa femme, avait quarante-et-un ans. Elle était menue et atteignait péniblement un mètre soixante-cinq ; le blond pâle des cheveux ondulés qui lui tombaient aux épaules attisait l'éclat de ses grands yeux émeraude, qui éclairaient sa peau d'un blanc trop pur.

Aucun d'eux n'avait jamais levé la main sur Pauline. Même lorsqu'elle l'aurait mérité.

Cela avait eu pour conséquence de la rendre paisible et agréable, assez détachée dans l'ensemble. Leur famille, quoique réduite, était équilibrée et complète.

Tous les ans, ils se rendaient en vacances dans le lieu de son choix. Trois ans plus tôt, ils étaient partis deux semaines à Moscou se rapprocher des origines de Nikolaï, et l'année suivante en Suède à la saison des aurores boréales. L'an passé, ils étaient allés en Grèce, le plus grand rêve de Pauline. Enfin elle avait pu voir ces anciens temples grecs, ces amphithéâtres, ces cirques, ces arènes, tant marqués par l'histoire au fil des siècles. Cinq semaines durant elle avait rêvé, éveillée.

Pauline aimait lire presque autant qu'elle chérissait sa famille. Elle passait des soirées entières à lire des livres d'Histoire ou de légendes en tous genre, empruntés à la bibliothèque du coin. La bibliothécaire, Mme Duquette, s'était habituée à ses visites quasi quotidiennes et l'accueillait toujours avec chaleur et mille nouveaux conseils chaque jour.


Lorsqu'elle revient à elle, elle était debout sur le seuil de la cuisine immaculée. Elle sourit et prit place à table.

"Bonjour papa, bonjour mama.

-Bonjour, milaya moya. Tu es prête pour ton contrôle de maths ?

... Ah. Elle détestait l'admettre, mais elle était beaucoup trop orgueilleuse pour se permettre de réviser. Alors, elle préférait être notée sur ses capacités brutes plutôt que sur l'exploitation de ses impressionnantes facilités.

Ce jour-là ne faisait pas exception, mais son père détestait être confronté au principal défaut de sa fille, tant chérie.

-Oui, papa, j'ai révisé toute la soirée, hier."

Elle jeta un coup d'œil distrait sur l'horloge. Elle était en retard. "Pour changer", ironisa-t-elle intérieurement.

Sa mère lui tendit sa poche de petit déjeuner dans lequel elle avait glissé un beignet au sucre glace et une pomme. Elle l'embrassa sur la joue, la remercia et s'approcha de la porte d'entrée.

Isabelle l'interpella alors qu'elle venait de poser sa main sur la poignée de la porte.

"Bonne chance, ma chérie !" lança-t-elle avec un grand sourire.

Pauline lui sourit, fit un dernier au revoir et s'en alla.

KleïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant