Chapitre VIII

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La conduite de Maïssa était fluide et sans à-coups. Pourtant, il allait vite ; beaucoup trop, pour toute dire, mais il ne pouvait pas se permettre de traîner, car il sentait le malaise de Kleia sitôt qu'ils montaient en voiture.
Il la regarda ; elle s'était endormie. Son doux visage était détendu, et son corps se soulevait au rythme de sa respiration calme. Respirer, se souvint-il.
Il se sentait envahi tout à la fois de douceur et de ressentiment, mais il devait se pardonner. Après tout, c'était sa sœur... Elle était belle, jeune encore, pure. Même s'il savait ce dont elle était à l'origine, et malgré les explications de Reslei, il ne pouvait se résoudre à lui vouer la haine qu'elle méritait. Même si elle lui devait toute la vie qu'elle avait détruite.
Des souvenirs envahirent son esprit tourmenté. Peu à peu, les paysages de la campagne laissèrent place dans ses yeux fatigués aux hauts arbres imposants qui l'avaient vu naître, et il vécut à nouveau ce qu'il avait cru effacé à jamais.

Il court, suivant un sentier tracé par des loups et trop bas pour lui. Les branches fouettent son visage et ses yeux asséchés par un vent des terres trop fort, et ses jambes ploient sous le choc de foulées toujours plus longues et puissantes, celles d'un homme qui poursuit un destin manqué.

Pourtant, jeune encore, il ne poursuit que son devoir d'enfant ; il doit sauver son père. S'il ne l'a pas appelé, il l'a tout de même entendu.

Au bout de quelques instants, il débouche sur une clairière lumineuse. Sur l'herbe asséchée, rougie par la lumière brûlante, un homme est étendu. Il a retrouvé son père.
Quelqu'un est penché sur lui, son visage masqué par un large capuchon noir. Mais il reconnaît cette énergie ; régulièrement, il la sent rôder aux alentours du village. Il regrette maintenant de l'avoir négligée, et sent que son père va souffrir. Et lui aussi. Mais n'a pas le choix ; il doit faire son possible.
L'homme relève la tête, rejetant du même coup son capuchon en arrière ; il sourit et agite la main, et les membres de Maïssa sont figés.

Il comprend. C'est une attaque déloyale, et il ne peut rien faire pour s'en sortir. Alors l'homme se saisit d'une petite lame et transperce la gorge de son père. Maïssa baisse la tête et lui fait des adieux.

Lorsqu'il la relève, un autre se dirige vers lui. Il va le tuer ; mais il est prêt. Il ferme les yeux.

- Bien, petit, quel est ton nom ?

Serait-ce cela ? La voix qui garde l'entrée de l'au-delà ?
Lorsqu'il ouvre les yeux, il n'a pourtant pas quitté la clairière. Le même homme en face de lui a un genou à terre. Il sait qu'il le regarde dans l'ombre de large vêtement noir.
Ses mains tremblent. Il n'a pas froid, mais la peur le tétanise. Il ne peut pas résister, et sa voix vacille lorsqu'il répond :

- Maïssa. Je.. Je m'appelle Maïssa.

- Très bien, Maïssa, tu vas me conduire jusque chez toi. Il y a quelque chose là-bas qui m'appartient.
Il s'apprête à répliquer, mais l'homme le coupe :

- De gré ou de force, petit Maïssa.

Une vague de terreur le submerge, et l'homme le sait ; il ressent son sourire glacial.

Il baisse la tête une nouvelle fois. Il n'a pas le choix ; il se met en route. Que le chemin lui paraît long...
En entrant au village, il regarde autour de lui. Les habitants sont là, au bord du chemin, les enfants à leurs pieds ou dans leurs bras. Dans les yeux se mêlent compassion et colère.
La nuée de capuchons sombres qui le suit n'est pas pour apaiser les mâchoires crispées et les yeux plissés. De toute évidence, certains savent ; même les plus valeureux des hommes détournent le regard au passage de la procession.

Alors une terrible explosion retentit. Il a grandi ici, il en connaît précisément la provenance. Il court.
Kleia !


En arrivant devant chez lui, des larmes troublent sa vision aiguë. L'origine n'en est pas tant la chaleur des flammes meurtrières que la douleur poignante qui l'envahit. Kleia...
Où est-elle ? Une silhouette menue apparaît à l'angle de la bâtisse en feu. Lorsqu'elle s'approche, il se baisse pour la cueillir et la prend dans ses bras.
Elle s'y blottit comme un poupon et, entre deux sanglots silencieux, parvient à s'endormir. Il ne peut s'empêcher de sourire ; elle a bien passé l'âge de roupiller dans des moments pareils.
Il sonde le petit corps et se heurte une énergie étrangère, qui est en train de la débarrasser de ses souvenirs de ce jour. Cette attention le touche, car il n'aurait su le faire lui-même, et il veut lui éviter toutes les douleurs possibles.
Leur mère a disparu. De toute évidence, elle a fui. Il est secoué d'un haut-le-cœur de déception et de tristesse.

Il baisse les yeux sur sa sœur, blottie contre sa poitrine musclée. Il l'embrasse sur le front et laisse tout son amour s'écouler de son plexus solaire jusqu'au cœur de l'enfant. Il jurerait la voir sourire dans son sommeil. Il la contemple ainsi quelques minutes, savourant chaque instant de paix hors du temps et de l'horreur.
Le craquement d'une branche derrière lui met tous des sens en éveil ; pourtant, son esprit est troublé par un voile indéfinissable. Il parvient néanmoins à sonder l'homme qui s'approche. Il reconnaît l'énergie qui soulageait sa sœur quelques temps auparavant, et la lui donne sans réfléchir lorsqu'il tend les bras vers lui.

Un capuchon est rabattu sur ses épaules. Son visage est fin et délicat, il ressemble aux elfes des légendes que racontaient les parents. Il lève la tête et sourit.

- Maïssa... Il faut que tu me suives. Pour l'heure, je ne peux rien t'expliquer, mais il le faut. Fais-moi confiance, malinki.

  Cet accent cassant, rocailleux mais chaud à la fois, il le reconnaît. Il le reconnaît et il l'aime ; sa mère l'imite quelquefois. L'homme prend sa main, et il cligne des yeux.


Lorsqu'il revint à lui, Kleia s'agitait sur le siège passager ; elle lui semblait à la fois euphorique et torturée, et il posa une main protectrice sur son bras. Il tendit son esprit vers elle afin de l'adoucir de son mieux.  

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Voilà, voilà, n'hésitez pas à me dire ce que vous en penser! ^^

KleïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant